1
L’administration pénitentiaire
et la protection judiciaire de la jeunesse
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
La crise sanitaire liée à l’épidémie de covid
19 a constitué un
événement sans précédent, tant par son ampleur que par sa durée. Associée
au confinement généralisé de la population, la limitation d’activité des
services publics aux missions prioritaires a eu un fort impact sur le
fonctionnement du ministère de la justice, des juridictions, comme des
services de l’administration pénitentiaire (DAP) et de la protect
ion
judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Dans la continuité des observations déjà formulées par la Cour sur
le plan de continuité d’activité (PCA) des juridictions judiciaires
250
, le
présent chapitre analyse les conditions dans lesquelles la DAP et la PJJ
ont fait face à cette crise sans précédent et quels ont été ses effets sur le
niveau d’activité et le fonctionnement des services jusqu’à l’été 2021.
Ces deux administrations étaient peu préparées à la survenue de la
crise sanitaire
mais elles ont, malgré tout, réussi à s’adapter
aux
circonstances (I). La protection des personnels et des personnes placées
sous main de justice a ainsi été assurée, sans dérapage budgétaire (II).
Cependant, certains enseignements doivent aujourd’hui être tirés de la
crise (III).
250
Cour des comptes,
Le plan de continuité d’activité des juridictions judiciaires
pendant la crise sanitaire
liée à l’épidémie de covid
19,
communication à la
commission des fin
ances de l’Assemblée nationale, mai 2021.
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COUR DES COMPTES
252
I -
Des administrations peu préparées mais
qui ont réussi à
s’adapter aux circonstances
Même si la DAP et la PJJ étaient peu préparées à une crise aussi
profonde et durable que celle de l’épidémie de covid
19, elles ont su
s’adapter aux circonstances au prix d’une forte réduction de leur activité.
A -
La DAP et la PJJ étaient peu préparées
à la survenue d’une crise grave et durable
1 -
Une culture de gestion des risques peu développée
Le ministère de la justice n’a que très récemment mis en place un
dispositif de gestion des risques et des crises. La sphère judiciaire
–
envisagée au sens large
–
occupe une place à part au sein de la politique de
défense et de sécurité définie par le code de la défense. Les principales
missions assurées par le «
secteur d’activité d’importance vitale des
activités judiciaires
» (SAIVAJ) institué par le Premier ministre sont
présentées dans un document de politique ministérielle de défense et de
sécurité (PMDS). Celui-ci précise que «
le ministre de la justice assure en
toutes circonstances la continuité de l’activité pénale ainsi que l’exécu
tion
des peines. Il concourt par la mise en œuvre de l’action publique et
l’entraide judiciaire internationale, à la lutte pour les intérêts
fondamentaux de la Nation
».
L’émergence de la fonction de préparation à la survenue de crises
majeures, assumée par le secrétaire général, haut fonctionnaire de défense
et de sécurité (HFDS), doit aussi être replacée dans le contexte de
renforcement continu du secrétariat général depuis sa réforme en 2017.
Celle-
ci visait à renforcer les fonctions d’expertise et de pi
lotage des
réformes législatives du secrétariat général et à faciliter la coordination
entre les différents services du ministère. Pour autant, le partage des rôles
entre le secrétariat général et les grandes directions « métier » demeure
insuffisamment clair, notamment en matière de gestion des risques.
En outre, le ministère de la justice n’avait pas pleinement anticipé la
possibilité d’une crise sanitaire d’une telle ampleur et aussi longue. La
stratégie ministérielle en matière de prévention des risques demeure
silencieuse sur les risques sanitaires et les moyens de protéger les
personnels et les publics. Un exercice « variole » a certes été mené en
novembre 2019 sous l’égide du secrétariat général de la défense et de la
sécurité nationale (SGDSN), mais
il n’a pas véritablement associé les
services territoriaux de la DAP et la PJJ.
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DE LA JEUNESSE
253
Au sein de la DAP, si le risque pandémique n’avait pas été envisagé,
le risque sécuritaire faisait l’objet de protocoles précis et d’une
planification développée. Par ailleurs, les principaux établissements
pénitentiaires des départements et territoires ultra-marins sont dotés de
plans cycloniques dont la forme et le contenu sont proches d’un plan de
continuité d’activité (PCA). Enfin, la DAP a connu une crise sociale en
2018 qu
i lui a donné l’expérience d’un fonctionnement contraint dans la
durée. À compter de mars 2020, elle a doté de PCA une très grande partie
de ses établissements pénitentiaires, de même que ses services
pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).
En ce qui concerne la PJJ, la situation était plus contrastée avant
mars 2020 dans la mesure où, à l’exception des directions interrégionales
qui disposaient d’un PCA, les établissements d’hébergement et les services
de milieux ouverts relevant de sa compétence en étaient dépourvus.
2 -
Une organisation insuffisante de la gestion de crise
La gestion de la crise sanitaire se structure autour d’une architecture
double constituée, d’une part, du centre interministériel de crise (CIC),
responsable du pilotage intermi
nistériel de la crise et, d’autre part, de la
cellule situation anticipation (CSA) du ministère de la justice, qui a été
« armée » le 6 mars 2020. Cette instance est placée sous la responsabilité de
la secrétaire générale, HFDS, et au quotidien animée par le HFDS adjoint.
La cellule de crise ministérielle a principalement été une instance de
liaison facilitant l’appropriation par les services du ministère de la justice
de la doctrine sanitaire mise en œuvre par le Gouvernement. Toutefois, son
fonctionnement a été marqué par plusieurs lacunes, dont certaines étaient
toujours d’actualité après une année de gestion de crise.
Ainsi, la participation des directions « métier » au fonctionnement
de la cellule n’a pas été pleinement assurée, soit par manque de ressources
disponibles au début de la crise, soit par la volonté de conserver une
maîtrise de la stratégie mise en place pour assurer la continuité de service.
Confrontées à des contraintes opérationnelles fortes, la DAP et la DPJJ ont
ainsi privilégié une animation « en silo » de leur gestion de crise en vue
d’assurer le fonctionnement de leurs services. La gestion de crise o
rganisée
par la CSA du ministère de la justice s’est dès lors attachée à structurer une
doctrine de protection des personnels et des publics et à organiser la
distribution des équipements de protection.
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254
Les cours d’appel de zones de défense auraient dû
constituer la
courroie de transmission de la cellule de crise ministérielle. Pourtant, alors
que cet échelon territorial aurait dû permettre une meilleure coordination
de l’ensemble des acteurs judiciaires, le bilan du fonctionnement de ce
réseau pendant une année de crise est peu satisfaisant. En effet, le
positionnement des chargés de mission dédiés, au sein des cours d’appel
de zones de défense, les a disposés à traiter en priorité des problématiques
relevant du fonctionnement des juridictions judiciaires. Leurs interactions
avec les directions interrégionales de la DAP et de la DPJJ se sont
essentiellement limitées au recueil des données relatives à la situation
sanitaire en matière de ressources humaines et aux besoins en équipements
de protection de ces services.
Au quotidien, les modalités de gestion de crise ont enfin fait apparaître
des coûts de coordination élevés pour les services déconcentrés de la DAP et
de la DPJJ. Ils rendaient compte de leur action auprès de leur direction en
administration centrale et auprès de la cellule de crise ministérielle animée
par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint (HFDSA) et,
in fine
, à la direction générale de la fonction publique, les remontées
d’informations demandées n’étant ni homogènes ni p
artagées.
B -
Une activité adaptée dans le milieu fermé
et fortement réduite en milieu ouvert
1 -
Le milieu carcéral et les hébergements de la PJJ
ont fait l’objet d’une attention prioritaire
Le milieu fermé de la DAP et de la DPJJ a fait l’objet de mesures
exceptionnelles visant à préserver son fonctionnement dans un contexte de
crise aiguë. Dans les deux cas, la diminution des publics a permis
d’améliorer l’acceptabilité des mesures de confinement.
Sur la base de l’article 11 de la loi n° 2020
-290 du 23 mars 2020
instaurant l’état d’urgence sanitaire, l’ordonnance n°
2020-303 du 25 mars
2020 portant adaptation de règles de procédure pénale a ouvert la voie à
des mesures de réduction de la population carcérale par des libérations
anticipées, sous certaines conditions strictes, de détenus dont la fin de peine
était proche. En plus de mesures de simplification
permettant d’augmenter
le nombre de sorties, deux mesures exceptionnelles ont été créées : la
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255
réduction de peine et l’assignation à domicile
251
. Sur la base d
e l’article 28
de cette ordonnance, le procureur de la République peut décider que les
personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans
d’emprisonnement et dont le reliquat de peine restant à exécuter est
inférieur ou égal à deux mois, exécuteront la fin de leur peine en étant
assignés à domicile.
Par ailleurs, le ministère de la justice a encouragé les parquets des
juridictions à utiliser les dispositions issues de la loi n° 2019-222 du
23 mars 2019 de réforme pour la justice (dite du « bloc peines ») qui
permettent de mettre en œuvre des mesures alternatives à l’incarcération.
La réforme dite du « bloc peines »
Dans son volet pénal, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme
pour la justice se fixe comme objectifs de redonner sens et efficacité à la
peine, de renforcer la place du débat sur son prononcé et de mettre fin aux
emprisonnements de courte durée.
Pour atteindre ces objectifs, plusieurs dispositions de la loi visent à
faciliter le recours à des sanctions par des voies alternatives à la
comparution devant le tribunal correctionnel et à limiter les peines
d’enfermement. Le champ des infractions pénales susceptibles de donner
lieu au prononcé d’une amende forfaitaire ou d’une mesure de composition
pénale a été élargi, ainsi que les possibilités de comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité.
D’autres peines ont été développées, comme la détention à domicile
sous surveillance électronique (pour une durée comprise entre quinze jours
et six mois). La loi a également créé le sursis probatoire, fusion du sursis
avec mise à l’épreuve, du sursis
-TIG
252
et de la contrainte pénale.
En parallèle, la réforme favorise le recours à la peine de travail
d’intérêt général, en élargissant les conditions de son prononcé, et
uniformise la peine de stage pour encourager son prononcé.
251
L’article 27 de l’ordonnance
prévoit ainsi l
a possibilité pour le juge de l’application
des peines d’octroyer aux personnes condamnées et écrouées, en fonction de leur
comportement au cours de la crise sanitaire, des réductions de peine liées aux
circonstances exceptionnelles afin de leur proposer une sortie selon les modalités de
l’assignation à domicile.
252
Travail d’intérêt général.
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256
Au-delà de la création ou du développement des peines alternatives
à l’incarcération, la loi du 23 mars 2019 supprime la possibilité pour le juge
de condamner à une peine ferme inférieure ou égale à un mois.
Enfin, la loi pose le principe que lorsque le tribunal correctionnel
décide, au regard de la gravité des faits et de la personnalité de l’auteur, de
prononcer une peine d’emprisonnement ferme comprise entre un et six
mois, cette peine s’exécute, par princi
pe, en dehors de la prison, sous la
forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique, d’un
placement dans un centre de semi-
liberté ou d’un placement extérieur
auprès d’une structure d'accueil.
L’ensemble de ces mesures, ainsi que la baisse de l’activité des
tribunaux et celle de la délinquance en général, ont réduit la population
carcérale de manière significative. Durant le premier confinement, la
population en détention a diminué de 12 016 personnes, passant de 70 739 en
janvier 2020 à 58 723 en juillet 2020 (soit une baisse de près de 17 %). Au
début de l’année 2021, elle restait encore inférieure de 8
066 personnes à ce
qu’elle était avant l’épidémie. Cette baisse n’a concerné que la population
détenue condamnée à des peines légères ou présentant les meilleures chances
de réinsertion, à l’exception des personnes condamnées pour des crimes ou
des faits de terrorisme et de violence.
En conséquence, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires
est passé de 116 % avant la crise sanitaire à 97 % au 1
er
juillet 2020. La baisse
a surtout été importante dans les maisons d’arrêt, qui abritaient des populations
susceptibles de bénéficier des mesures exceptionnelles. Les établissements
pour peines ont été peu concernés. Depuis le premier semestre 2021, un
renversement de tendance est patent
: le taux d’occupation augmente
régulièrement ; il atteignait 108 % au 1
er
mai 2021.
Sans déroger aux missions sensibles en matière de sécurité, comme
le suivi des détenus radicalisés, ces mesures ont permis, dans la plupart des
établissements pénitentiaires, d’assurer une prise en charge minimale des
détenus dans un contexte de réduction des contacts avec l’extérieur et de
diminution des activités proposées selon une logique de mise en place d’un
véritable « cordon sanitaire ».
À l’image des mesures prises au plan national, les interactions entre
les établissements et le monde extérieur ont été limitées drastiquement.
L’impact le plus sensible a été la suspension des parloirs et visites des
proches. Ces décisions ont donné lieu à des mesures compensatoires
(forfaits téléphoniques, organisation de visioconférences par exemple).
Conjuguées à un effort important de communication à l’égard des
personnes détenues, elles ont contribué à ce que le confinement carcéral ne
débouche pas sur des troubles majeurs ou sur une augmentation
significative des incidents. En matière de violences envers les personnels
pénitentiaires ou entre détenus, les indicateurs marquent même une légère
diminution par rapport aux deux années précédentes.
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257
Des priorités ont également été établies pour l’accueil des mineurs
dans les établissements d’hébergement du secteur public et du secteur
associatif habilité (SAH) de la PJJ. Dans les centres éducatifs fermés et les
centres éducatifs renfor
cés, seules les activités collectives à l’extérieur de
l’établissement ont été réduites ou suspendues.
Par ailleurs, les juges des enfants ont pris des décisions d’élargissement
des droits de visite et d’hébergement (DVH) des mineurs placés, leur
permettant de revenir dans leurs familles pour des durées plus longues. De
manière générale, les services de la PJJ n’ont pas organisé le retour
systématique des mineurs dans leur milieu familial. Les décisions judiciaires
de mainlevée ont été peu nombreuses et seuls 545 mineurs sont retournés à
domicile (principalement dans le cadre de DVH) au cours du premier
confinement (sur 6 680 mineurs faisant l’objet d’une décision de placement).
2 -
Les activités de suivi et d’insertion
ont été sensiblement réduites
La crise sanitaire a posé un défi aux agents des SPIP qui ont dû
assurer la continuité du service sans pouvoir aisément travailler à distance,
par manque de matériel ou faute de réussir à adapter rapidement leurs
pratiques professionnelles.
Les SPIP
Les services pénit
entiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont
des services déconcentrés du ministère de la justice qui assurent le suivi et
le contrôle des personnes placées sous main de justice en milieu fermé ou
en milieu ouvert.
Les conseillers d’insertion et de p
robation (CPIP) interviennent
auprès des personnes condamnées afin de prévenir la récidive et de favoriser
leur réinsertion socio-professionnelle, en lien avec des partenaires
institutionnels et associatifs.
La priorité a été donnée au suivi des personnes considérées comme
les plus dangereuses ou les plus vulnérables. Concernant les mesures de
semi-liberté et de placement extérieur, les autorités judiciaires ont examiné
la possibilité de libération conditionnelle ou de suspension de peine. Des
dispositions ont également été prises pour différer la pose des dispositifs de
surveillance électronique dans la première partie de la crise sanitaire. Les
modalités de surveillance des détentions à domicile ont également été
affectées par la réduction des contacts physiques : le recueil des informations
par voie téléphonique ou par courriels a été massivement développé.
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258
Au sein de la PJJ, les activités de milieu ouvert ont, elles aussi,
fortement diminué tout au long de la période. Ces activités concernent le
suivi
éducatif et les activités d’insertion mises en œuvre par les éducateurs
ainsi que le travail d’investigation et d’aide à la décision des magistrats,
conduit dans le cadre des recueils de renseignements socio éducatifs et les
mesures judiciaires d’investigation éducative (MJIE). La mise en œuvre
des mesures de réparation ordonnées par les juges des enfants était
également concernée.
Le délai moyen de prise en charge des mesures nouvelles, qui s’était
allongé entre 2018 et 2019 en milieu ouvert, du fait de la combinaison
d’une légère hausse du volume de mesures en cours et de l’allongement de
leur durée (de 9,9 mois à 10
mois), s’est encore accru en 2020 (12 mois).
Cette tendance s’est combinée avec une baisse du nombre de mesures en
cours (- 9 % par rapport à
2019). Les mesures d’investigation, comme les
autres mesures de milieu ouvert, nécessitent des prises de contact avec les
mineurs et leurs familles et constituent des activités qui peuvent
difficilement être conduites à distance. Les PCA initialement élaborés par
la PJJ imposaient une suspension de la quasi-totalité de ces activités.
Comme il n’était pas envisageable d’interrompre les contacts avec ce
public pendant plusieurs mois, des modalités nouvelles de suivi à distance
des mineurs ont dû être élaborées rapidement.
3 -
Des modalités très proches de gestion de la crise sanitaire
par les administrations pénitentiaires européennes
Durant la pandémie de covid 19, les États européens ont mis en place
des mesures exceptionnelles, qui convergent pour une large part. Sauf en
Italie, où les confinements locaux mis en place au début du mois de mars
2020 dans le nord du pays ont été à l’origine de plusieurs mutineries, il n’a
pas été constaté d’incidents majeurs dans les établissements européens
durant cette période.
L’effort de régulation, voire de diminution, de la population
carcérale a été général. Des mesures de libérations anticipées ont ainsi été
adoptées massivement par 22 gouvernements lors du premier confinement
pour prévenir la contamination des détenus. 143 000 personnes ont ainsi
retrouvé la liberté. À Chypre, en France et au Portugal, cela a représenté
entre 17 et 23 % de la population carcérale totale. Entre le 1
er
janvier 2020
et le 15 avril 2020, le nombre de personnes incarcérées a diminué de 7,6 %
en France, 9,6 % en Ecosse, 9,4 % en Italie, 8,9 % aux Pays-Bas, 8 % au
Portugal, 1,8 % en Angleterre et au Pays de Galles
253
.
253
Source
: Conseil de l’Europe, statistiques pénales annuelles.
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259
La surveillance électronique et, de manière générale, les alternatives
à l’emprisonnement ont été également utilisées par les États
membres. Lors
des premières semaines de crise sanitaire en France, l’administration
pénitentiaire préconisait de différer les poses de bracelet (afin de diminuer
les contacts physiques entre les personnels et les détenus). Cette consigne
a été progressivement assouplie, notamment en ce qui concerne la
possibilité de déplacement à domicile. D’autres États ont eu une politique
moins restrictive en la matière et se sont fortement appuyés sur les
techniques de surveillance à distance dès le début de la crise. En Pologne,
afin de désengorger les prisons, de nombreuses peines d’emprisonnement
ont été converties en peines de détention à domicile sous surveillance
électronique. En Italie, pour tous les reliquats de peines jusqu’à 18 mois, la
condamnation pouvait être exécutée à domicile et, si la détention prévue
était supérieure à six mois, la mesure du bracelet électronique était
appliquée. La même tendance a été observée en Espagne.
Les mesures sanitaires mises en place en Europe ont été très
similaires. Outre la
création d’un secteur de confinement, dès le début de
la crise, la plupart des établissements européens ont organisé des quartiers
de quatorzaine spécifiques pour les personnes nouvellement écrouées. Des
politiques de tests systématiques ont été également développées, à des
degrés divers selon les pays et en fonction des moyens logistiques et
sanitaires disponibles. Ces mesures ont permis de diminuer la durée
d’isolement des détenus nouveaux entrants dans les établissements ou de
lever plus rapidement les suspicions sur les cas de contaminations internes.
Le maintien des liens familiaux et avec l’extérieur et d’activités de
socialisation a constitué une priorité fluctuante selon les États. Les
politiques menées en matière d’élargissement de l’accès à la tél
éphonie et
à la visiophonie sont souvent allées plus loin que celles déployées par la
France. Des expérimentations de distribution de tablettes en cellule ont
ainsi été menées en Suède, afin de permettre aux personnes détenues de
communiquer avec leurs enf
ants. D’autres États ont par ailleurs organisé la
distribution de
smartphones
au sein des établissements.
Comme en France, l’administration pénitentiaire polonaise a versé
aux détenus indigents des aides monétaires. Le développement de la visio-
conférence a été fortement encouragé, mais essentiellement dans le cadre
de la procédure judiciaire.
Enfin, plusieurs États se sont distingués par l’attention portée au
moral des détenus. Le Royaume-
Uni disposait d’un « plan de management
des prisons en situation exceptionnelle » faisant une part importante à la
prévention des effets du confinement dans la population carcérale et portant
le maintien des relations avec les familles au premier rang des priorités.
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260
Cette démarche était également portée par une communication importante
auprès des détenus et de leurs familles. Enfin, dans plusieurs pays, la
reprise des activités collectives a été organisée plus rapidement qu’en
France (notamment au Royaume-
Uni ainsi qu’au Danemark).
L’Espagne a eu une approche régionalisée
de la gestion de la crise
au sein de ses établissements pénitentiaires, qui en a limité les effets
délétères sur le moral des détenus : dans les zones où le virus circulait
moins, les possibilités de visites ou d’activités étaient plus largement
offertes aux personnes incarcérées.
II -
La protection des agents et des publics
a été assurée, sans dérapage budgétaire
L’analyse des données disponibles au 31 juin 2021 montre que les
mesures de gestion de crise prises par la DAP et la PJJ ont permis d’éviter
la propag
ation de l’épidémie, sans dérapage budgétaire.
A -
La protection sanitaire des agents et des détenus
a été assurée
Les mesures de protection sanitaire dans les prisons, visant les
détenus et les agents pénitentiaires, ont été prises à partir de la fin du mois
de février (note de la secrétaire générale du 26 février 2020) et ont été
actualisées régulièrement par la DAP et le SG. Au début de la crise, les
chefs d’établissement et les directeurs interrégionaux ont pris des
initiatives locales de gestion de l’épid
émie avant les consignes nationales.
1 -
Les consignes sanitaires ont été efficaces
pour assurer la protection des agents
Les consignes sanitaires nationales, concernant les mesures
barrières, les doctrines de désinfection-aération, de traitement des agents
symptomatiques, etc., ont été transposées par l’administration pénitentiaire
et la protection judiciaire de la jeunesse. Elles ont permis de protéger leurs
agents.
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Graphique n° 1 :
évolution des cas de covid 19 chez les personnels
de l’administration pénitentiaire
Source : Cour des comptes à partir des données du ministère de la Justice
Comme le montre le graphique n°
1, le nombre de cas d’infection à
la covid est resté modeste parmi les personnels de la DAP, autour de
200 cas environ (500 cas au plus fort de la deuxième vague sur
38 000
agents). Des mesures de septaine ont été prises par l’administration
lors des trois vagues de contamination pour protéger les agents.
Les chiffres de contamination des professionnels de la PJJ font
apparaître une augmentation régulière du nombre de cas avérés depuis
septembre 2020 et plus brutale en mars-avril 2021 (40 cas ont ainsi été
recensés sur la seule journée du 8 avril). 1 010 cas ont été recensés sur
l’ensemble de la période.
2 -
L’épidémie a été contenue parmi les
personnes placées
sous main de justice
Le suivi des contaminations par la covid 19 des personnes placées
sous
main de justice (PPSMJ) n’est pa
s entièrement fiable, surtout au début
de la crise sanitaire où les tests n’étaient pas toujours disponibles et non
systématiques. De même, les personnes placées en milieu ouvert n’ont pas
toujours été détectées en cas d’infection, sans compter celles qui étaient
asymptomatiques. Un suivi centralisé a toutefois été réalisé par le
ministère.
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Graphique n° 2 :
évolution des cas de covid 19 parmi les PPSMJ
Source : Cour des comptes à partir des données communiquées par le HFDSA. Entre
mars et juin : les cas marqués en isolement sont des cas symptomatiques non testés
Le nombre des cas de covid enregistrés dans la population des
PPSMJ est resté contenu à moins de 200 personnes simultanément, sauf
durant les mois d’avril et de mai 2021, où un pic de 400 personnes infectées
a été atteint, avant de redescendre brutalement fin mai.
En dépit des inquiétudes exprimées et du contexte initial de
surpopulation carcérale et de grande promiscuité, le
bilan s’établissait
à
l’été 2021 à trois décès de détenus (survenus en mars 2020, décembre 2020
et mai 2021) et trois déc
ès d’agents. La diminution du nombre des détenus
en milieu fermé a rendu possible l’encellulement individuel, ce qui a
facilité les mesures de confinement et de gestion des
clusters
. De même, la
restriction des activités et des visites aux parloirs a limité les interactions
entre détenus et entre détenus et personnes extérieures. Ce constat est
partagé par la contrôleure des lieux de privation de liberté qui, dans son
rapport sur la gestion de la crise sanitaire, a observé que «
la prévention
[avait] été efficace et que le nombre des contagions [avait] été faible : le
risque majeur de développement d’une épidémie dans la promiscuité des
milieux clos et au sein d’une population que son état de santé rend souvent
particulièrement vulnérable a été évité
»
254
.
254
CGLPL -
Les droits fondamentaux des personnes privées de liberté à l’épreuve de
la crise sanitaire
, Journal officiel du 19 juin 2020.
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263
Les publics pris en charge par la PJJ ont également été peu affectés
par l’épidémie, pour plusieurs raisons. D’une part, les mineurs sont peu
touchés par les formes symptomatiques ou graves de la maladie et, d’autre
part, les publics placés dans des établisse
ments d’hébergement ont fait
l’objet de mesures de confinement, à l’instar du reste de la population. Au
total, 293 jeunes ont été contaminés sur la période du 2 mars 2020 au
15 juin 2021
255
, surtout en Île-de-France, en Outre-mer, dans le Nord et le
Grand Est. Ces chiffres doivent toutefois être considérés avec prudence
dans la mesure où les campagnes de tests systématiques en cas de suspicion
de
cluster
dans un établissement, mises en place localement en
collaboration avec les agences régionales de santé et les caisses primaires
d’assurance maladie, n’ont commencé à être développées qu’au cours de
l’été 2020. Il est probable que le nombre de cas asymptomatiques a été plus
important au cours de la période.
B -
La gestion de la crise sanitaire n’a pas entraîné
de dérapage budgétaire
La période de crise sanitaire a modifié de manière significative les
prévisions budgétaires de la DAP et de la PJJ pour l’exercice
2020. Des
dépenses imprévues ont dû être décidées pour faire face aux besoins, et des
économies ont été r
éalisées du fait du ralentissement de l’activité du
service. Globalement, toutefois, sur la base des données disponibles au
31
juin 2021, la crise sanitaire n’a pas entraîné de dérapage budgétaire, les
dépenses supplémentaires ayant été compensées par des économies.
1 -
Des dépenses supplémentaires à hauteur de 68,3 M€ en 2020
Les dépenses imprévues sont liées, pour l’essentiel, aux mesures de
protection sanitaire des agents et du public (achat de gel hydro-alcoolique,
de masques, de produits de nettoyage, etc.), aux mesures de compensation
des restrictions d’activité en milieu fermé et à l’acquisition des
équipements nécessaires pour développer le télétravail. Les dépenses
exceptionnelles générées par les protocoles sanitaires ont atteint 7,6
M€
pour l’année 20
20 au sein de la DAP et 4,7
M€ pour la DPJJ.
255
Sur une population d’environ 9
000 mineurs fai
sant l’objet de mesures de placement
judiciaire en 2020 et accueillis dans les structures de la PJJ.
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264
Par ailleurs, afin de permettre aux personnes détenues de supporter
les conséquences de la crise sanitaire, notamment la perte de tous liens
sociaux, la DAP a pris des mesures d’aides en leur faveur (crédit
té
léphonique, gratuité de la télévision, aide sociale…). L’ensemble de ces
mesures a coûté 12,65
M€ en 2020.
Lorsque le confinement a été mis en place, la DAP comme la DPJJ
se sont trouvées dans l’obligation, afin de poursuivre leurs missions
prioritaires, de déployer le télétravail, en achetant des ordinateurs
portables, des
smartphones
et divers équipements numériques. L’ensemble
de ces dépenses a atteint 16,6
M€ en 2020 et 2021 pour les deux
administrations.
Enfin, la prime covid octroyée aux agents de la DAP, de la PJJ et du
secteur associatif habilité a représenté un total de 26,7
M€.
2 -
Des économies estimées à 45,3 M€ en 2020
Ces dépenses supplémentaires, d’un montant total de 68,3
M€ en
2020 pour les deux administrations, ont été en partie compensées par des
économies, estimées à 45,3
M€ (30,3
M€
pour la DAP et 15
M€ pour la
PJJ). Pour la DAP, ces moindres dépenses ont notamment résulté
d’économies sur les
transports de détenus (- 14,7
M€), les
activités de
réinsertion (- 4,9
M€) et les mesures de
placements extérieurs et de semi-
liberté (- 0,6
M€). La forte déflation de la population carcérale a également
permis de faire diminuer certaines dépenses (restauration et consommation
d’eau notamment).
Les 15
M€ d’économies constatées au sein de la DPJJ e
n 2020
s’expliquent surtout par la baisse d’activité durant le confinement, pour
9
M€, dont 3
M€ liés à la diminution des frais de déplacement et 2
M€ sur
les dépenses d’intervention
256
. Plusieurs opérations immobilières (création
de centres éducatifs fermés du secteur public) et la remise à niveau du parc
immobilier ont dû être décalés dans le temps, générant une économie de
2,2
M€ sur l’exercice 2020.
256
Notamment au titre de la tarification conjointe des hébergements pour mineurs
délinquants en structure non spécialisée du service associatif habilité.
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265
III -
Les enseignements à tirer de la crise
Même si l’impact de l’épidémie a été contenu et que la DAP et la
PJJ se sont adaptées aux circonstances exceptionnelles, la crise a mis en
lumière les faiblesses structurelles de l’organisation du ministère de la
justice, notamment l’insuffisante coordination entre ses acteurs et avec
leurs partenaires. Elle a aussi mis en évidence de regrettables défaillances
dans la politique de prévention sanitaire (ou médecine préventive) à l’égard
d’agents publics affectés dans un cadre professionnel spécifique.
A -
Mieux coordonner les acteurs judiciaires
1 -
Une gestion de crise locale à redéfinir
Les relations entre les acteurs judiciaires ont manqué de fluidité.
Ainsi, la doctrine du « cordon sanitaire » tôt adoptée par la DAP pour
préserver ses établissements de la contamination a gêné la réalisation de
missions prioritaires pour la PJJ. L’
intervention des éducateurs de la PJJ
dans les établissements pénitentiaires s’est en effet souvent heurtée,
pendant le premier confinement, aux restrictions mises en place par les
responsables de la DAP à l’entrée de personnels extérieurs. Le maintien
des activités au sein des quartiers pour mineurs des établissements
pénitentiaires et au sein des établissements pour mineurs (EPM) figurait
pourtant au rang des missions prioritaires de la PJJ.
De la même manière, l’impact du télétravail sur les services du
secrétaire général chargés, notamment, de la paye, a contraint la DAP à
mettre en place des procédures exceptionnelles en vue d’assurer directement
le versement de certains éléments de rémunération de ses agents.
Ces exemples montrent qu’aucune procédure p
révoyant la mise en
place d’une cellule de crise, au niveau départemental ou interrégional,
n’avait été imaginée en amont de la crise. Le dispositif reposait tout entier
sur le rôle des chargés de mission des cours d’appel de zones de défense,
dont la capa
cité d’animation était faible et dont la géographie
d’intervention était inadaptée aux réseaux de la DAP et de la PJJ.
2 -
Des instances de coordination « métier » à développer
Plus généralement, la crise a révélé l’absence de politiques
judiciaires intégrées et de réflexion sur la « production de justice ».
L’activation des PCA des juridictions judicaires a ainsi été mise en œuvre
sans concertation avec les autres directions « métier » qui exécutent
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266
pourtant leurs décisions. De la même manière, dans certaines inter-régions
et ressorts de cours d’appel, la reprise de l’activité juridictionnelle à la
rentrée 2020 a été menée sans considération pour les capacités des pôles de
rattachement des extractions judiciaires (PREJ) de l’administration
pénitentiaire. En l’
absence de concertation entre les acteurs judiciaires, des
procès d’assises fortement consommateurs de ressources ont été
programmés simultanément dans les mêmes ressorts de cours d’appel,
alors même que les capacités d’extractions des services pénitentiai
res
étaient amoindries par les contraintes sanitaires.
Ces constats mettent en évidence la nécessité d’une plus grande
concertation entre les acteurs, qui pourrait s’inspirer du modèle de
collaboration promu par la DPJJ. Au sortir du premier confinement, elle a
institutionnalisé la mise en place d’instances de concertation quadripartites
associant les départements (services de l’aide à l’enfance), les parquets des
mineurs, les tribunaux pour enfants et ses services territoriaux, palliant
l’absence de chef de file identifié en matière de protection de l’enfance.
Enfin, durant la gestion de la crise, les magistrats ont utilisé des
dispositifs juridiques permettant de réguler la démographie carcérale.
Associés à la baisse de la délinquance et de l’activité des
juridictions, ceci
a permis de prévenir une « flambée » épidémique. La remontée progressive
du taux d’occupation des établissements pénitentiaires fin 2020 et surtout
au premier semestre 2021, en particulier au sein des maisons d’arrêt,
devrait inciter le ministère de la justice à poursuivre ses efforts pour
identifier la contribution respective des différents facteurs à ces évolutions.
En particulier, l’impact des mesures dites du «
bloc des peines » doit
continuer d’être évalué en vue d’en tirer les ensei
gnements. La démarche
consistant à organiser des réunions associant, sous l’égide du secrétariat
général, l’ensemble des directions «
métiers » du ministère, les chefs de
Cour et les services déconcentrés de la DAP est une première étape du
travail partenarial qui doit être conduit entre tous les acteurs du ministère.
B -
Prévenir l’isolement de la DAP et de la PJJ
en cas de crise
Pendant plus d’un an, les services et éta
blissements de la DAP et de
la PJJ ont été contraints de compter sur leurs propres moyens pour
poursuivre leur activité. Cette situation résultait d’un choix délibéré,
consistant à limiter les interactions entre le milieu fermé et l’extérieur.
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267
Cependant, dans un grand nombre de cas, ce sont les acteurs qui
concourent habituellement à l’exercice
des missions de ces administrations
qui se sont retirés des dispositifs d’insertion et éducatifs.
Les contacts établis par la PJJ avec l’Éducation nationale ont ainsi
été interrompus à compter de mars 2020 et progressivement renoués à la
rentrée de septemb
re. Les établissements d’enseignement étaient
majoritairement injoignables au cours du premier confinement et les
rectorats n’ont développé aucune démarche spécifique visant à assurer une
continuité de service au sein des services de la PJJ. Les personnes suivies
par la PJJ comme celles prises en charge par l’administration pénitentiaire
ont été traitées comme le reste de la population. Ce n’est qu’après le
premier confinement que des démarches ont été mises en œuvre à travers
des protocoles en cours de signature
257
.
Les structures de formation et d’insertion professionnelle ont elles
aussi été affectées par la crise sanitaire. Les liens avec les collectivités
territoriales intervenant dans ces domaines ont été rompus durant une
longue période. Les stages en insertion ont également été suspendus,
compliquant l’élaboration du projet de sortie des dispositifs des jeunes.
La situation était identique dans l’administration pénitentiaire,
s’agissant des collaborations mises en place par les SPIP avec les structures
d’insertion ou celles accueillant des personnes condamnées à des travaux
d’intérêt général.
À l’avenir, les services déconcentrés de la DAP et de la DPJJ
gagneraient à sécuriser les ressources et les interventions extérieures, au
sein du milieu fermé comme du milieu ouvert, par le biais de protocoles
conclus avec les partenaires institutionnels, afin de permettre un pilotage
de ces activités sur une longue période de crise.
C -
Renforcer la politique de prévention sanitaire
à l’égard des agents
Même si l’épidém
ie de covid 19 a été contenue au sein des
établissements pénitentiaires et des services de la PJJ, la crise a révélé
combien les spécificités des métiers des agents concernés restent mal prises
en considération en termes de politique de prévention sanitaire.
257
Une circulaire portant sur les dispositifs relais a été élaborée par la DPJJ et la
direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'éducation
nationale. Elle a été publiée le 19 février 2021.
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268
Tout d’abord, le réseau de médecine de prévention
a été
particulièrement peu présent aux côtés des responsables déconcentrés lors du
premier confinement au printemps 2020. À la DAP, les directeurs
d’établissement ont surtout sollicité les unités sanita
ires internes, rattachées
à un centre hospitalier. Chargées de prendre en charge les détenus, elles sont,
de fait, venues en appui des établissements pour définir les protocoles et
mesures à l’égard des agents alors que cela ne relève pas, théoriquement, d
e
leurs missions. De même, dans le réseau de la PJJ, les responsables ont pu
s’appuyer sur les conseillers sanitaires afin de mettre en place une stratégie
de prévention des risques de contamination destinée aux personnels.
Les difficultés de coordination avec la médecine de prévention
rencontrées à l’occasion de la crise révèlent plus profondément une prise en
compte insuffisante des problématiques « métier » de la DAP et de la PJJ. Le
ministère de la justice doit œuvrer au renforcement de ses services de
médecine préventive, en lien avec le ministère de la santé, tout en favorisant
leur meilleure articulation avec les services de la DAP et de la DPJJ.
Ensuite, la protection des personnels de ces deux administrations a
donné lieu à la définition de doctrines sanitaires locales fluctuantes, qui ont
parfois généré des tensions entre les différents acteurs. Ainsi, les
définitions retenues par plusieurs agences régionales de santé (ARS) pour
les foyers de contamination (
clusters
) ou les « cas contacts » au sein du
milieu fermé auraient abouti à des décisions d’éviction de personnels, si
elles avaient été strictement suivies, et auraient désorganisé le
fonctionnement des établissements
258
. Les services déconcentrés de la PJJ
et de la DAP ont malgré tout réussi à nouer des contacts étroits avec les
délégations territoriales des ARS pour la mise en place de campagnes de
tests de dépistage, à partir du second semestre 2020.
Enfin, les agents de la DAP et de la PJJ n’ont bénéficié
, au début de
la crise, d’aucune priorité
pour l’accueil de leurs enfants en crèche ou dans
les écoles, ce qui a singulièrement compliqué l’organisation du service et a
contribué à l’augmentation des autorisations spéciales d’absence (ASA).
La stratégie vaccinale mise en place par le Gouvernement le 27 décembre
2020 n’a pas non plus retenu le milieu carcéral comme une cible prioritaire.
258
Les services se sont appuyés sur l’a
vis moins restrictif du Haut conseil de santé
publique relatif à la conduite à tenir pour les professionnels intervenant en
établissements de santé et en établissements sociaux et médico-sociaux selon leur statut
vis à vis du SARS-CoV-2, 28 mai 2020.
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269
Des initiatives ont certes été prises par le SG pour conventionner
avec des centres de vaccination de droit commun et des points de
vaccination ont été ouverts aux abords de quatre établissements
pénitentiaires
259
. Cependant,
les détenus, comme les personnels, n’ont été
rendus éligibles à la vaccination qu’au même rythme que le reste de la
population, par classe d’âge et comorbidité. On peut comprendre que le
publi
c mineur accueilli dans les structures d’hébergement de la PJJ, moins
exposé aux formes graves de la maladie, n’ait pas été considéré comme
devant être protégé prioritairement. Néanmoins, les caractéristiques du
milieu fermé, associant privation de liberté et difficulté à maintenir des
gestes barrières, auraient dû conduire à prioriser ces publics, notamment au
début du printemps 2021, au moment de l’élargissement de la cible
vaccinale.
À la date du 27 octobre 2021, le taux de vaccination des personnes
détenues (46,14
%) était inférieur de trente points à celui de l’ensemble de
la population (76,29 %)
. L’administration pénitentiaire n’a pas été en
mesure de fournir des chiffres de vaccination des personnels. Comme dans
la population générale, la stratégie vaccinale repose sur le volontariat. Il est
regrettable qu’une stratégie visant à augmenter la couverture vaccinale de
l’ensemble du milieu fermé, s’adressant aux personnels comme aux publics
pris en charge, n’ait pas été mise en place. Élaborée avec les aut
orités
régionales de santé, celle-ci devr
ait s’appuyer sur les unités sanitaires des
établissements pénitentiaires pour mener la campagne vaccinale. La mise
au point d’une telle stratégie s’impose de façon urgente, d’autant que la
reprise des activités collectives au sein des établissements, ainsi que celle
des visites, dépendent de l’augmentation de la couverture vaccinale.
259
Cent
re pénitentiaire de Réau, maison d’arrêt de Villepinte, centres pénitentiaires de
Fresnes et d’Osny
.
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COUR DES COMPTES
270
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La DAP et la DPJJ ont réussi à faire face à la crise sanitaire malgré une
préparation insuffisante et des modalités de coordination au sein du
ministère qui sont à améliorer. Les priorités ont été définies et respectées,
la continuité du service a été globalement assurée, la sécurité et la santé
des agents et des publics pris en charge ont été sauvegardées, malgré les
craintes initiales. Ces résultats ont été atteints sans dérapage budgétaire,
sans conflit social et sans tensions majeures avec les détenus.
Pour autant, la crise a révélé des difficultés de coordination entre les
différents services du ministère de la justice et la faiblesse de certains
partenariats dans la prise en charge des publics. Elle a également révélé
les carences de la médecine de prévention et l’articulation parfois difficile
avec les autorités sanitaires locales. La crise peut
enfin s’avérer riche
d’enseignements sur l’application de la réforme du «
bloc peines » de
2019. Une analyse plus approfondie permettra d’en tirer toutes les
conclusions quant à sa contribution à la baisse de la population carcérale.
La Cour formule les recommandations suivantes :
1.
mettre en place des cellules de crise locales associant les responsables
des services déconcentrés du ministère de la justice et les chefs de
juridiction (SG) ;
2.
définir une stratégie vaccinale contre la covid 19 volontariste visant à
étendre le plus possible la vaccination à l
’é
gard des agents de la
pénitentiaire et des détenus (DAP, DPJJ) ;
3.
a
méliorer l’articulation du réseau de médecine de prévention avec les
directions « métier » du ministère par l’élaboration d’un protocole
précisant les missions de chaque acteur, notamment en matière de
gestion de crise (SG) ;
4.
développer une approche partenariale de préparation aux crises, au
niveau
local,
garantissant
la
participation
des
acteurs
de
l’enseignement et de la formation à la contin
uité du service (DPJJ).
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Réponse
Réponse du Premier ministre
..................................................................
273
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RÉPONSE DU PREMIER MINISTRE
Le Premier président de la Cour des comptes m’a adressé le
26 novembre 2021 un chapitre, destiné à figurer au rapport public annuel,
intitulé « L’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la
jeunesse face à la crise sanitaire ». Il m’inspire les remarques suivantes.
Le rapport souligne « la mise en évidence de regrettables défaillances
dans la politique de prévention sanitaire et/ou médecine préventive à l’égard
d’agents publics affectés dans un cadre professionnels spécifiques ». Ce constat
est en lien avec la recommandation n° 4.
Cependant, il ne semble pas refléter la réalité des actions conduites
par le ministère de la justice qui s’est au contraire préoccupé de mettre en
place une stratégie visant à augmenter la couverture vaccinale de ses
agents, malgré le contexte connu de pénurie à laquelle faisait face la
médecine de prévention.
Dès que les médecins du travail ont pu bénéficier de doses de
vaccins anti-covid utilisables en ambulatoire, le secrétariat général a mis
en place des offres de vaccination complémentaires à l’ensemble des
agents du m
inistère et notamment de la direction de l’administration
pénitentiaire (DAP). Il a procédé, via ses délégations inter-régionales, à
la mise en place de points de vaccination sur le territoire, notamment à
proximité d‘établissements pénitentiaires.
À cette fin, des partenariats ont
été mis en place avec la mutuelle MFP (Mutualité fonction publique) dans
le cadre d’une convention, des centres de santé, des organismes avec
lesquels des conventions ont été passées, des hôpitaux ou des pharmacies
(voir à titre
d’exemple l’action de la délégation inter
-
régionale de l’
Île de
France développée dans le relevé d’observations provisoires).
Dans le contexte de la stratégie vaccinale définie par le ministère
des solidarités et de la santé, le ministère de la justice a porté avec
détermination une demande de priorisation de vaccination des agents de
l’administration pénitentiaire comme de ceux de la protection judiciaire
de la jeunesse (PJJ), obtenue en avril 2021.
Depuis le début de la crise, la DAP entretient des échanges soutenus
avec le ministère des solidarités et de la santé (MSS) pour renforcer les
efforts en faveur de la vaccination des personnes détenues. Ainsi, les fiches
du MSS sur l’organisation de la campagne vaccinale en détention ont été
réalisées en concertation avec la DAP.
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COUR DES COMPTES
274
Consciente de l’importance de la vaccination pour limiter la
propagation de l’épidémie au sein des lieux de détention, la DAP a
souhaité une accélération de la vaccination des personnes détenues, dès la
généralisation de la vaccinatio
n à toutes les classes d’âge en juin 2021. La
doctrine de vaccination diffusée par le MSS à ses services le 5 juillet 2021
a ainsi prévu la systématisation de la proposition de vaccination pour tout
nouvel arrivant par les professionnels de santé des unités sanitaires en
milieu pénitentiaire (USMP) et l’obligation de proposer la vaccination à
l’ensemble des personnes détenues au 31 juillet 2021. Une campagne de
promotion de la vaccination a donc été menée activement par les USMP
en lien avec les chefs d’établissement : l’objectif était d’atteindre 100 %
de propositions de vaccination contre la covid
19 d’ici la fin du mois
de juillet 2021.
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