RAPPORT SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE
Conférence de presse
Mercredi 7 octobre 2020 – 10h
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence
,
heureux de vous accueillir à la Cour des comptes pour
vous présenter l’édition 2020 de notre rapport sur l’application des lois de financement de la
sécurité sociale, le Ralfss. J’ai à mes côtés évidemment Denis Morin, le président de la sixième
chambre, Michèle Pappalardo, la rapporteure générale de la Cour, et Stéphane Seiller,
conseiller maître, qui est le rapporteur général de ce rapport. Je salue également la présence
dans la salle du rapporteur général adjoint, Antoine Imberti. Je veux les remercier
chaleureusement pour leur implication, ainsi que la vingtaine d’autres rapporteurs qui ont aussi
contribué à ce travail, qui est attendu et qui est très exigeant, et mobilise beaucoup la sixième
chambre. C’est un rapport très complet et très sérieux.
Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre
de la mission d’assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement.
Il accompagne
le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, qui sera déposé cette semaine
sur le bureau de l’Assemblée nationale. J’irai d’ailleurs cet après-midi devant la commission
des affaires sociales de l’Assemblée et demain devant celle du Sénat pour présenter nos
constats et recommandations.
Ce rapport est un exercice traditionnel pour la Cour, mais il n’y a en vérité plus grand-
chose de traditionnel dans ce que nous faisons et il n’échappera à personne que le
rapport a été réalisé cette année dans un contexte exceptionnel, celui de la crise
multidimensionnelle et sans précédent que nous traversons depuis mars avec la Covid-
19.
Nous sommes dans ce contexte économique difficile et, dans ce contexte, nos transferts
sociaux, c’est une caractéristique de notre pays et de l’Union européenne en général, ont
d’ailleurs joué et continuent à jouer un rôle essentiel et bienvenu pour amortir les
conséquences de cette crise pour nos concitoyens, notamment en comparaison d’autres pays.
Ce point est très important, car il nous rappelle la place qu’occupe la protection sociale dans
notre pacte républicain, auquel nous sommes très attachés en tant qu’institution de la
République.
La situation à laquelle notre pays et nos concitoyens sont confrontés est exceptionnelle
et l’impact, c’est logique, de la crise actuelle sur la trajectoire de la sécurité sociale
absolument considérable.
Je vous en donne tout de suite la preuve.
En 2020, le déséquilibre des comptes sociaux atteindra des niveaux historiques, avec
un déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse s’élevant à 44,4 Md
€
.
En
comparaison, je pense que ce sont des chiffres qui frappent, il était de 28 Md
€
en 2010 à la
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suite de la crise financière. Donc l’impact de la crise de la Covid est nettement supérieur à
celui de la crise de 2010.
Cette situation a conduit le Parlement, l’été dernier, à voter une nouvelle reprise de dette
par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la fameuse Cades.
Cette reprise, elle
aussi, est inédite par son montant, qui s’élève à 136 Md
€
, et elle a pour conséquence de
prolonger l’existence de la Cades jusqu’en 2033.
2020 est donc un exercice complètement hors norme pour nos comptes sociaux.
C’est
dans ce contexte particulier et dans des conditions d’instruction difficiles, parce que les
administrations et les organismes étaient, et on le comprend, très mobilisés dans le champ
sanitaire – et la Cour elle-même subissait les conséquences de la crise dans son organisation
– que nos équipes ont travaillé pour permettre à la Cour d’apprécier la situation financière de
la sécurité sociale. Je précise que nous n’avons pas abordé la gestion de la crise sanitaire en
elle-même. Ce sont d’autres travaux qui s’en chargeront.
Notre rapport cette année porte un message simple, qui est le suivant : si nous voulons
sauvegarder notre système de sécurité sociale, qui est un maillon essentiel de cohésion
et de solidarité dans notre pays, alors nous devons progressivement reconstruire une
trajectoire de retour à l’équilibre des comptes sociaux. Chaque mot compte.
La sécurité sociale ne peut être financée à l’infini par l’emprunt. Tendre vers l’équilibre doit
donc être, hors situation exceptionnelle, un objectif nécessaire pour éviter de de pénaliser les
générations futures. C’est un message que la Cour porte de façon têtue.
Ce message n’est d’ailleurs que la déclinaison logique, dans le domaine de la sécurité sociale,
de celui que nous avons porté en juin dernier dans notre rapport sur la situation et les
perspectives des finances publiques, et de la position du Haut Conseil des finances publiques
(HCFP) dans ses derniers avis, qui datent d’il y a une grosse semaine. La soutenabilité de la
dette publique, qui comprend bien sûr la dette sociale, est un enjeu décisif à nos yeux et, je le
crois, pour la France.
Je vais revenir sur ces éléments dans la première partie de ma présentation.
Seul le prononcé fait foi
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Pour atteindre cet objectif – et ce sera la deuxième partie de mon propos – le contexte
actuel de nos finances publiques ne nous laisse pas d’autre choix que d’agir dans la
durée sur la qualité et la sélectivité de la dépense sociale.
La Cour formule en ce sens trois types de recommandations :
d’abord, nous voulons agir sur les ressorts structurels de la dépense de sécurité
sociale, notamment dans le champ de l’assurance maladie, sans réduire, bien sûr, la
qualité de prise en charge des patients ;
ensuite, nous proposons de porter une attention plus grande aux publics défavorisés,
en ciblant mieux certaines prestations de solidarité et en prévenant les impacts, sur
ces publics, des mesures générales de maîtrise de la dépense ;
enfin, nous suggérons de poursuivre les efforts pour améliorer la qualité et l’efficience
de la gestion des organismes de sécurité sociale, pour permettre d’offrir un meilleur
service à l’usager à un meilleur coût.
***
Je vais d’abord commencer par la situation financière actuelle de la Sécu, en la mettant
en perspective avec sa trajectoire antérieure, notamment les évolutions qu’elle a
connues depuis la crise de 2008.
Depuis les années 1990 en vérité, à l’exception d’une très brève période au tout début
des années 2000, la sécurité sociale a toujours été en déficit.
Juste avant la récession de
2009, son déficit s’élevait à près de 9 Md
€
. En 2010, au plus fort de la crise, il a atteint un
niveau alors inédit de près de 30 Md
€
. Durant toute la décennie qui a suivi, c’est-à-dire sur la
période 2010-2020, le déficit a ensuite été réduit de manière continue, de sorte que l’équilibre
a presque été atteint en 2018 et en 2019.
Cette trajectoire de redressement s’est ensuite infléchie. La loi de financement pour 2020, qui
a été votée à l’automne 2019, prévoyait déjà un déficit de 5,4 Md
€
. Donc il y avait une rupture
de la tendance régulière observée dans les années précédentes de retour à l’équilibre des
comptes sociaux, qui est antérieure à la crise sanitaire.
Bien sûr, comme l’ensemble de nos finances publiques, les finances sociales sont
entrées fragilisées dans cette crise, qui, à son tour, a profondément dégradé leurs
perspectives et du coup, l’impact a été celui d’un effet d’entrainement considérable.
En
2020, le déficit des comptes sociaux devrait atteindre, je le répète, le niveau exceptionnel de
44,4 Md
€
. Pourquoi ?
Ce déficit résulte essentiellement d’un choc sur les principales recettes de la sécurité
sociale, lié aux conséquences du confinement, mais aussi, dans une moindre mesure,
de dépenses supplémentaires, essentiellement au titre de l’assurance maladie.
S’agissant d’abord des recettes
, elles chuteraient de
27,3 Md
€
par rapport à la prévision
pour 2020 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Pourquoi ? Parce
que la masse salariale du secteur privé, qui constitue la principale assiette du financement de
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la sécurité sociale, diminuerait en effet de près de 8 % en 2020, contre une prévision de
croissance de 2,8 % dans la LFSS 2020.
Cette chute entraînerait à elle-seule près de 22 Md
€
de pertes de recettes.
S’agissant ensuite des dépenses
, elles sont pour la plupart directement liées à la crise
sanitaire et provoquent une progression de l’objectif national des dépenses d’assurance
maladie (Ondam) de
7,6 %,
contre 2,45 % prévu dans la LFSS 2020. Ce niveau est le plus
élevé depuis la mise en place de l’Ondam en 1997. Selon la commission des comptes de la
sécurité sociale, l’assurance maladie supporterait ainsi un surcroît de 15 Md
€
de dépenses
directement lié à la crise.
Quelles sont ces dépenses ? Pour l’essentiel, elles comprennent des dotations
supplémentaires à Santé publique France pour l’achat de matériel médical, notamment de
masques, à hauteur de 4,6 Md
€
, et aux établissements hospitaliers et services médico-
sociaux, avec notamment des primes et des revalorisations des heures supplémentaires des
personnels. Mais elles comprennent aussi des dépenses exceptionnelles d’indemnisation
d’arrêt de travail pour 2Md
€
, de réalisation des tests diagnostiques pour 1,5Md
€
ou de
compensation des pertes d’activité des professions libérales pour 1,4Md
€
.
Je précise que ce surcroît de dépenses est en partie compensé par une forte baisse d’une
part de l’activité des professionnels de ville et de la consommation courante de médicaments
et de dispositifs médicaux, à hauteur tout de même de 4,5Md
€
, ce qui est très significatif.
En tout cas, l’impact de la chute brutale des recettes et de l’augmentation des dépenses
sur la dette sociale est massif.
Au titre de la seule année 2020, la dette augmenterait en
effet d’environ 30 Md
€
pour atteindre 145 Md
€
, sa réduction intervenue entre 2016 et 2019
étant donc quasiment effacée.
Dans ce contexte, l’horizon d’extinction de la dette sociale a été reporté d’une décennie et
demeure assez incertain.
La décision de transfert de dette à la Cades a par ailleurs été prise sans visibilité précise sur
la trajectoire financière de la sécurité sociale et sur les conditions à réunir pour aborder un
nouveau cycle de désendettement.
Or, nous savons que la crise sanitaire pourrait avoir une empreinte durable sur les
comptes sociaux.
Pourquoi ? Parce que ce que nous appelons la croissance potentielle
pourrait être durablement affectée par l’impact de la crise sur nos capacités productives. Cette
modification éventuelle du PIB potentiel impacterait l’ensemble de
nos ressources publiques.
Dans ce contexte d’incertitude élevée, la définition d’une nouvelle trajectoire de
référence du PIB à travers une loi de programmation des finances publiques, que la
Cour et le HCFP appellent de leurs v
œ
ux, est donc indispensable.
Nous redisons que
l’horizon pertinent de cette loi de programmation serait le printemps 2021. Elle sera
particulièrement utile pour mieux piloter l’évolution de nos finances sociales.
Seul le prononcé fait foi
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Les dépenses pérennes appellent un effort accru de sélectivité pour en améliorer la
qualité et la pertinence.
Elles ne feraient sinon que contribuer à accentuer l’écart structurel
entre le niveau des recettes et celui des dépenses à financer. De la même manière, il sera
important que les mesures de régulation des dépenses annoncées en 2021 à hauteur de
3,5 Md
€
fassent l’objet d’un suivi rigoureux dans leur mise en
œ
uvre.
Face à la hausse des dépenses, l’augmentation des recettes affectées au financement
de la sécurité sociale apparaît aujourd’hui, disons-le, peu envisageable.
Les prélèvements obligatoires ont atteint en France 44,1 % du PIB en 2019. C’est un niveau
plus élevé que chez nos principaux partenaires européens. Je ne parlerai pas de ras-le-bol
fiscal, c’est une phrase qui a eu son heure de gloire, mais il ne paraît pas non plus souhaitable,
compte tenu de la situation budgétaire de l’Etat, de l’amputer de certaines de ses recettes pour
les affecter à la sécurité sociale, ou de lui faire porter la charge de nouvelles dépenses à la
place de cette dernière. Bref, la piste des recettes ne semble pas à privilégier.
Pour la Cour, remettre les finances sociales sur la voie de l’équilibre structurel et
assurer la soutenabilité de notre dette sociale n’offre donc pas d’autres options que de
définir une nouvelle trajectoire de dépenses.
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Le Parlement vient d’arrêter en juillet dernier le principe d’un désendettement de la sécurité
sociale à hauteur des déficits cumulés sur la période 2020-2023, en limitant ce
désendettement à 92 Md
€
. La Cour relève toutefois que la trajectoire de solde qui figure au
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 conduirait en vérité à ce
qu’apparaisse un nouvel endettement cumulé de l’ordre de 29 Md
€
à la fin de l’année 2023 et
de près de 50 Md
€
à la fin de l’année 2024.
Cette perspective présente pour nous le risque de mettre en place un mode de
financement permanent de la sécurité sociale par la dette.
Au-delà de la crise
exceptionnelle – qui appelle des mesures exceptionnelles que nous ne critiquons pas, mais
quand la situation sera revenue à la normale – la soutenabilité de notre dette publique doit être
le pilier de notre future stratégie financière.
***
Donc, et c’est la deuxième partie de mon propos, nous devons identifier les leviers qui
permettent de remettre les comptes de la sécurité sociale sur la voie de l’équilibre en
agissant sur la qualité de la dépense.
Qualité de la dépense, soutenabilité de la dette publique : nous retrouvons toujours les deux
bornes conceptuelles qui doivent structurer nos finances publiques.
Nous avons profité de cette situation particulière pour examiner les enseignements tirés du
passé. Que nous apprennent-ils ?
D’abord, que les résultats obtenus ces dernières années par les différentes branches
dans la maîtrise de leurs dépenses sont globalement positifs et doivent être soulignés.
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Ensuite, que ces efforts, pourtant réels, ne sont pas suffisants et surtout, qu’ils diffèrent
beaucoup entre branches, à la fois dans les leviers utilisés et dans la portée des
décisions adoptées. Je m’explique.
Du côté de la branche famille, la maîtrise des dépenses a été facilitée par l’inflexion de la
natalité depuis 2014, mais aussi par des mesures reposant sur des choix clairs, qui ont visé à
aider en priorité les familles les moins favorisées. Les pouvoirs publics ont donc visé ici un
double objectif de rigueur et d’équité.
Le système de retraite a, quant à lui, connu – on le sait – entre 1993 et 2014 cinq réformes
d’ampleur touchant les retraites de base. En plus des hausses de cotisations, ces réformes
ont agi sur l’âge de départ à la retraite, sur la durée de cotisations et sur le niveau des
pensions, les principaux paramètres. L’indexation sur l’inflation des pensions et des droits
acquis pendant la carrière professionnelle des assurés a également joué un rôle substantiel.
Ces réformes ne suffisent pas à assurer l’équilibre du système à l’horizon de la fin de la
décennie, mais elles ont ramené l’évolution des dépenses à un rythme proche de celui du PIB.
Il faut, là aussi, le souligner.
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Enfin, les dépenses d’assurance maladie ont vu leur progression significativement ralentie.
L’Ondam rapporté au PIB a en effet été stabilisé au cours des dernières années et son respect,
avant la crise sanitaire, était assuré depuis 2010. Sa progression depuis 2016 a toutefois été
fortement desserrée, au-delà de l’objectif de 2,3 % pourtant prévu par la loi de programmation
des finances publiques 2018-2022. Je redis qu’à notre sens, cette loi est caduque.
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Après un premier relèvement en 2019 pour la stratégie « Ma santé 2022 », la crise des
urgences puis la crise hospitalière ont conduit en 2020, avant même l’épidémie de la Covid-
19, à fixer un taux de 2,45 %, relevé par rapport à 2,3 %. Le PLFSS 2021 entérine de son
côté, je l’ai dit, une révision majeure de l’Ondam pour 2020, qui est porté à 7,6 %.
Pour la Cour, ces évolutions soulignent les limites de la maîtrise des dépenses de santé
reposant sur le seul dispositif de régulation purement financier que constitue le pilotage
par l’Ondam.
Evidemment, un pilotage reste indispensable ; évidemment, l’Ondam reste un
outil précieux. Nous estimons d’ailleurs nécessaire de développer pour les professionnels de
santé libéraux, dont le rôle est essentiel, des outils analogues à ceux qui existent pour les
établissements de santé. Mais ce pilotage ne peut suffire à organiser une maîtrise durable des
dépenses de santé, qui soit à la hauteur à la fois des besoins de nos concitoyens et des
exigences d’équilibre que je viens de rappeler. En clair, la contrainte financière seule, sans
rénovation du système, ne suffit pas.
Le retour sur un chemin d’équilibre de l’assurance maladie que nous appelons de nos
v
œ
ux nécessite donc des actions structurelles.
La Cour a déjà fourni plusieurs pistes par
le passé. Nous développons cette année trois illustrations à l’appui de cette orientation.
La première concerne les groupements hospitaliers de territoires (GHT).
Je rappelle que,
adoptée en 2016, la réforme de la coopération hospitalière visait à améliorer l’accès de la
population à des soins de qualité et à rechercher une gestion plus économe, par des
mutualisations ou des transferts d’activité entre hôpitaux d’un même groupement.
Cette réorganisation est encore incomplète. Elle doit être poursuivie. Nous avons en effet
constaté que certains GHT réunissaient parfois un nombre trop faible d’établissements
sanitaires pour être en capacité d’atteindre les objectifs de la réforme.
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Nous relevons aussi qu’un nombre significatif d’entre eux n’offrent pas certains types de prises
en charge à la population : c’est le cas, par exemple, de la psychiatrie, qui n’est exercée que
dans 79 % des GHT.
De même, la composition des GHT ne permet pas de réduire partout les effets de la pénurie
de certaines spécialités médicales. Conclusion de tout cela : nous préconisons de revoir le
découpage territorial de plusieurs GHT, de généraliser la mise en place de directions
communes pour agir à l’échelle pertinente – c’est bien de cela qu’il s’agit – et permettre de
combler ces manques.
La deuxième illustration que nous développons dans notre rapport concerne la
simplification du système de financement des activités hospitalières.
Les établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés, sont, je le rappelle, financés
depuis 2004, pour l’essentiel, en fonction de leur activité sur la base de tarifs de séjour. Des
financements spécifiques ont toutefois vocation à compenser certaines charges. C’est le cas
par exemple des dotations dites pour « Missions d’intérêt général et d’aides à la
contractualisation » (les fameuses Migac) et des fonds d’intervention régionaux (les FIR), dont
disposent les ARS pour financer des actions de santé publique d’intérêt régional.
Ces deux sources de financement sont très significatives puisqu’elles représentaient
en 2019 un total de près de 11 Md
€
.
Mais l’enquête de la Cour, approfondie, montre
l’existence de chevauchements entre les différentes enveloppes financières et un empilement
croissant de lignes budgétaires – dont certaines de faible montant – qui est en réalité
difficilement compréhensibles par les établissements de santé. La simplification de ces
dispositifs et une répartition plus claire dans l’attribution de ces financements entre
l’administration centrale et les ARS sont donc, pour nous, indispensables si nous voulons
améliorer l’efficacité de l’action publique et en réduire le coût.
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La troisième illustration sur laquelle nous avons travaillé pour agir sur les ressorts
structurels de la dépense de santé a trait aux dispositifs médicaux eux-mêmes.
Ces derniers concernent un vaste ensemble de produits et de services, allant du simple
pansement au dispositif implantable de haute technologie, qui peuvent être fournis ou prescrits
à l’occasion d’un soin.
Ils sont utilisés dans un nombre croissant de maladies, avec une dépense correspondante
évaluée à 15 Md
€
, qui progresse d’environ 4 % chaque année, soit beaucoup plus vite que
l’ensemble des dépenses retracées dans l’Ondam, de 2,3 ou 2,4 % en sortant 2020 du cadre.
Jusqu’à présent, les mesures de maîtrise ont principalement porté sur les prix de ces
dispositifs ; il faut désormais, selon nous, agir en parallèle sur la pertinence de la prescription,
sur l’optimisation des achats par les établissements de santé, sur la lutte contre les abus et
fraudes, en inscrivant ces actions dans un cadre pluriannuel.
Je viens donc de vous présenter quelques exemples de champs dans lesquels on peut avoir
des efforts de maîtrise et de sélectivité des dépenses sociales. Mais il y en a bien sûr d’autres.
Nous pensons dans tous les cas qu’il est essentiel, dans la mise en
œ
uvre de ce type
de mesure, de respecter une exigence de solidarité.
Ce mot est clef. C’est un point
fondamental, car ces efforts doivent être adaptés à la situation de chacun, en particulier à celle
de nos concitoyens défavorisés. Plusieurs chapitres du rapport illustrent ainsi la nécessité de
mieux cibler certaines prestations de solidarité.
J’ai cité les choix faits dans la gestion des prestations familiales, qui ont, eux, été
particulièrement clairs dans l’action en faveur des familles défavorisées. Le montant du
complément familial a par exemple augmenté de 39 % depuis 2013, avec une majoration
supplémentaire pour les familles nombreuses les plus modestes.
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En matière de retraites également, plusieurs mesures ont déjà visé à atténuer les effets des
réformes successives pour les assurés qui ont de faibles pensions.
Je pense notamment à la majoration du minimum contributif au titre des trimestres cotisés en
2004, à la réduction du montant de salaire nécessaire pour valider un trimestre au régime
général et à la mise en place à partir de 2010 de mesures en faveur des carrières longues.
Mais des mesures comme l’indexation des salaires utilisés pour le calcul de la retraite sur les
prix favorisent, il faut le dire, les assurés à carrière pleine et ascendante, et peuvent encore
pénaliser ceux qui ont subi des périodes de chômage ou touché des salaires plus faibles, bref
des carrières plus heurtées
Les
pensions
de
retraite
prévoient
cependant
des
dispositifs
de
minima,
particulièrement importants pour nos concitoyens qui perçoivent une très petite
retraite.
Ces minima sont des mécanismes de solidarité internes aux différents régimes de retraite,
dont l’objectif est de porter à un montant minimum, c’est la définition, la pension servie à
certains de leurs assurés, sous certaines conditions. Ils interviennent en amont du minimum
vieillesse et concernent aujourd’hui environ un nouveau retraité sur cinq tout de même. La
majoration de pension qu’ils entraînent représente en moyenne 130 euros par mois pour les
assurés du régime général ou pour les fonctionnaires qui en bénéficient. Cela représente au
total, tout de même, 8,7 Md
€
de versements en 2018.
Nous avons toutefois observé que la finalité de ce dispositif avait évolué et devait donc
faire l’objet d’une clarification.
Conçu historiquement pour augmenter la retraite de salariés
ayant une carrière complète, le minimum contributif du régime général bénéficie aujourd’hui
principalement à des personnes ayant des carrières à temps partiel ou incomplètes. En outre,
il ne garantit pas que le niveau des pensions servies soit supérieur au minimum vieillesse. La
Seul le prononcé fait foi
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Cour note par ailleurs que le minimum servi aux fonctionnaires ne respecte pas les règles
d’écrêtement, qui lui sont pourtant applicables comme aux salariés.
Enfin, et surtout, elle a relevé la complexité des dispositifs de minima existants, qui
conduit à ce que près d’un demi-million de personnes ayant pris leur retraite voient leur
dossier rester durablement en attente de règlement définitif.
C’est donc une situation
préjudiciable, car elle est susceptible de priver certains de tout ou partie du complément de
revenu procuré par le minimum contributif.
Le projet visant à instituer un système de retraite universel renouerait avec l’objectif initial de
garantir que la pension totale servie à un retraité ayant eu une carrière complète au Smic soit
égale à 85 % du Smic. Il emporterait également une profonde simplification. Mais c’est plus
complexe que cela, le débat politique est plus large, c’est une perspective qui est encore à
débattre et sa mise en
œ
uvre n’est pas tout à fait prévisible.
La Cour préconise donc de procéder, dans les meilleurs délais, aux différentes harmonisations
qui permettront de garantir à l’ensemble des bénéficiaires la perception définitive des montant
qui leur sont dus.
L’exigence de solidarité implique aussi, du côté de la branche famille, d’accroître
l’efficacité des dépenses d’action sociale.
Aux côtés des prestations familiales, les CAF
apportent en effet un soutien financier et technique au développement de services et
d’équipements destinés aux familles, notamment des crèches, si précieuses, et des centres
de loisir, indispensables. Ces actions visent à faciliter l’accès des familles modestes aux
modes de garde collectifs pour favoriser l’emploi des parents. Ils sont donc tout à fait
fondamentaux.
La branche famille n’a cependant pas pu atteindre les objectifs fixés de création de 100 000
places en crèche, avec un taux de réalisation de 63 % seulement. Par ailleurs, nous savons
Seul le prononcé fait foi
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que les inégalités territoriales persistent, faute notamment d’évaluation suffisamment fine des
besoins.
Au vu de l’importance des financements publics mobilisés, 5,8 Md
€
en 2019, soit plus d’1 Md
€
de plus qu’en 2012, nous recommandons d’apporter à ces dispositifs les améliorations
indispensables pour offrir aux familles un service de qualité sur l’ensemble du territoire.
Voilà différents exemples qui montrent que nous pouvons diminuer les dépenses en
agissant sur des paramètres structurels du système de santé et en ciblant davantage
certaines prestations de solidarité, bref en agissant sur la qualité de la dépense
publique sans réduire le service public et en assurant la justice sociale. C’est là notre
orientation.
Mais l’effort de maîtrise implique aussi de faire progresser la qualité et l’efficience de la
gestion des organismes de sécurité sociale. C’est notre dernière orientation.
Il faut d’abord réduire le nombre et le montant des erreurs affectant le versement des
prestations sociales.
Dans le cadre de ses travaux de certification des branches du régime
général, la Cour examine chaque année le degré de conformité des prestations versées aux
règles de droit applicables.
Pour l’exercice 2019, ces travaux font état d’un montant d’erreurs à caractère définitif d’au
moins 5 Md
€
toutes branches confondues. Ces erreurs peuvent être faites au détriment des
finances sociales, comme c’est le cas pour 90 % de celles qui affectent les prises en charge
de frais de santé. Mais elles peuvent aussi se faire au détriment des bénéficiaires des
prestations eux-mêmes, comme pour les deux tiers des erreurs provenant du versement des
retraites. Les anomalies en cause résultent pour une part des données déclarées par les
bénéficiaires et, pour une autre part, des opérations de gestion effectuées par les caisses de
sécurité sociale.
Notons que la fréquence et la portée financière des erreurs sont en nette augmentation
ces dernières années.
Les erreurs liées aux données déclarées pour les prestations de la
branche famille atteignaient par exemple 3,4 Md
€
en 2018 contre 2,0 Md
€
en 2014.
La Cour recommande donc d’accroître l’automatisation des processus de gestion et de
dématérialiser les déclarations, pour éviter de verser des prestations non conformes à
la réglementation.
C’est parallèle à ce que nous avons souligné dans notre rapport sur la
lutte contre la fraude aux prestations sociales, il faut aussi fermer méthodiquement les
possibilités systémiques de fraude et de renforcer les actions de contrôle a posteriori sur
pièces et sur place, en leur allouant des effectifs plus importants. Soyons conscients qu’il y a
là une source de perte de recettes qui est incompréhensible pour le citoyen, qui est choquante.
Il faut y mettre fin.
Notre rapport évoque enfin le service rendu par la sécurité sociale aux assurés, ainsi
qu’aux entreprises qui contribuent à la financer.
L’adaptation de l’organisation des
branches de prestations du régime général et la modernisation de la gestion du recouvrement
social par le réseau des Urssaf sont pour nous essentielles pour améliorer la qualité de la
gestion et réduire les coûts. Nous faisons cette année différentes recommandations à cet effet.
***
Seul le prononcé fait foi
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Mesdames et messieurs, j’en ai terminé avec cette présentation rapide d’un sujet très
complexe, d’un rapport très complet et impressionnant. Je voudrais pour conclure à
nouveau insister sur le message principal du rapport :
la priorité, face à la crise sanitaire,
doit être donnée au soutien de notre système de santé. Une fois encore, une situation
exceptionnelle appelle des mesures exceptionnelles. Mais quand les circonstances le
permettront, quand nous reviendrons sur un chemin plus harmonieux, plus normal, il est
impératif de remettre rapidement la sécurité sociale sur un chemin d’équilibre financier durable
et de limiter ainsi l’accroissement de la dette sociale qui pèse sur les générations futures. Des
adaptations en profondeur seront nécessaires pour atteindre cet objectif. Plus elles seront
différées, plus elles seront difficilement mises en
œ
uvre.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent,
dont les compétences sur le sujet sont reconnues et très largement supérieures aux
miennes, à votre disposition pour répondre à vos interrogations.