Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse
du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2014
mardi 17 juin 2014
Mesdames, messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à la Cour des comptes ce matin.
Dans son rôle de vigie indépendante en matière de finances publiques, la Cour livre chaque
année au mois de juin un rapport qui analyse, de façon à la fois rétrospective et prospective,
la situation des finances publiques : celles de l’État bien sûr, de se
s opérateurs mais aussi
de la protection sociale et des collectivités territoriales ; en somme tout ce qu’on appelle les
administrations publiques, dont les dépenses représentaient en 2013 57,4 % du PIB.
Destiné à assister le Parlement dans son débat de
juillet sur l’orientation des finances
publiques, ce rapport s’adresse également au citoyen. C’est la raison pour laquelle, aux
termes de la loi, il est rendu public.
J’ai autour de moi Raoul Briet, président de chambre et président de la formation
interchambres qui a préparé ce rapport, Henri Paul, président de chambre et rapporteur
général de la Cour, François Ecalle, conseiller maître, rapporteur de synthèse et Christian
Charpy, conseiller maître, président de section et contre-rapporteur. De nombreux
r
apporteurs y ont contribué. Ils ont travaillé, enquêté ainsi qu’entendu les administrations
compétentes. Je veux leur exprimer toute ma reconnaissance.
Je présenterai le contenu de ce rapport en développant cinq messages qui s'en dégagent :
Le premier me
ssage est qu’un effort d’ampleur a été engagé mais n’a conduit en
2013 qu’à une réduction limitée des déficits, très en
-deçà des objectifs visés ;
Le deuxième est que la situation actuelle des finances publiques demeure
préoccupante. Les déficits sont toujours importants et la dette continue d'augmenter.
Les comptes publics restent plus dégradés que ceux de la moyenne européenne ;
Le troisième message est que l’objectif de déficit pour 2014, déjà révisé à la hausse
en mai, risque d'être dépassé. Dans cette hypothèse, la poursuite de la trajectoire
des finances publiques pour les années qui viennent s’en trouverait immédiatement
fragilisée ;
Le quatrième message est que pour respecter la nouvelle trajectoire fixée, tout en
baissant les prélèvements obligat
oires, un niveau élevé d’économies sur les
dépenses devra être réalisé et tout particulièrement dès 2015. Leur réalisation est
très fragile, car l’effort devrait reposer en bonne partie sur des acteurs dont l’
État ne
maîtrise pas les dépenses. Les hypothèses de recettes sont également optimistes ;
Seul le prononcé fait foi
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Le cinquième message est qu’un tel effort, ambitieux, n'a pourtant rien d'inaccessible,
d'autres pays comparables l'ont fait, et les marges de manœuvre existent pour
réduire le poids des dépenses publiques. La Co
ur l’illustre concrètement par des
exemples concernant les dépenses d’assurance maladie, des collectivités territoriales
et de masse salariale.
Je reviens sur le premier message :
un effort d’ampleur a été engagé mais n’a conduit en
2013 qu’à une réductio
n encore limitée des déficits, et se situant très en-deçà des
objectifs visés.
Les mesures prises depuis 2011 pour redresser les comptes publics ont produit des
premiers résultats tangibles. De 7,5 % du PIB en 2009, le déficit public s’est en effet ré
duit
pour atteindre 4,3 % en 2013.
Malgré une croissance quasi nulle et avec une inflation faible, l'année 2013 a permis une
réduction de 0,6 point de PIB du déficit, après 0,3 point en 2012. Le déficit structurel, calculé
indépendamment de la conjonctur
e, s’est lui aussi réduit en 2013, passant de 4,2 à 3,1
points de PIB. Ces résultats sont réels mais décevants au regard de l’ampleur des mesures
prises pour redresser les comptes publics, qu’il s’agisse de hausse des recettes ou de
maîtrise des dépenses.
Ces mesures ont représenté 1,5 point de PIB d’effort structurel, soit
un niveau plus important que les années passées et sans précédent depuis au moins 1998.
Seul le prononcé fait foi
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Certes, la croissance des dépenses publiques a été ralentie : elles ont augmenté de 1,3 %
en plu
s de l’inflation. Ce rythme était en moyenne de 1,4 % entre 2009 et 2013 et de 2,3 %
entre 2000 et 2008. Les normes d’évolution des dépenses, qui concernent le budget de l’
État
et l’assurance maladie, fixées à des niveaux plus exigeants qu’auparavant, ont
été
respectées. Le faible niveau de l’inflation et la baisse de la charge d’intérêts de la dette ont
facilité une évolution modérée des dépenses. Au total, l’effort en dépense n’a apporté qu’une
contribution limitée au redressement des comptes, à savoir 0,1 point de PIB.
La quasi-
totalité de la réduction du déficit a résulté d’un effort en recettes, de 1,4 point de
PIB. Si les mesures nouvelles, qui servent à mesurer celui-ci, ont presque eu le rendement
espéré, en revanche, les recettes publiques, à
législation constante, n’ont augmenté que de
0,2 %, soit un rythme bien plus lent que le PIB, qui a augmenté de 1,1 % en euros courants.
Les moins-
values constatées sur l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés soulèvent,
une nouvelle fois, la question de la qualité voire de la sincérité des prévisions de recettes
fiscales, comme l’a relevé le rapport de la Cour du mois dernier sur le budget de l’
État en
2013.
À la différence de beaucoup d'autres pays, l'effort réalisé depuis 2011 a très majoritairement
reposé sur une augmentation continue et forte des prélèvements obligatoires. Ces hausses
ont représenté 18 Md€ en 2011, puis 22 Md€ en 2012 et 29 Md€ en 2013. La multiplication
des mesures nouvelles a entraîné une incertitude croissante sur le rendement de l'impôt.
L'année 2013 illustre les limites d'une stratégie concentrée trop exclusivement sur
l'augmentation des recettes, avec un affaiblissement sensible et demeurant, en partie mal
expliqué, du volume des impôts collectés par l'État à législation constante, notamment les
impôts sur le revenu et sur les sociétés en 2013, après la TVA en 2012.
Le secteur public local n’a pas apporté la contribution attendue au redressement des
comptes publics. Le déficit des collectivités territoriales, dans leur ensemble, a augmenté,
passant de 3,7 Md€ en 2012 à 9,2 Md€ en 2013. La progression des dépenses de
fonctionnement se situe encore à un niveau soutenu, de 2,8 %. Le déficit de la sécurité
sociale ne se réduit quasiment plus depuis 2011, compte tenu du faible dynamisme des
recettes. Alors que les comptes des branches retraite et accidents du travail du régime
général se redressent, les déficits de l’assurance maladie et de la branche famille se sont
creusés.
Ainsi, en raison de l’atonie des recettes, à légis
lation constante, la réduction du déficit en
2013 a été sensiblement plus lente que prévu.
J’en viens maintenant au deuxième message,
la situation actuelle des finances publiques
demeure préoccupante
.
La Cour veut convaincre chacun que le redressement des comptes publics, qui est une
priorité pour les pouvoirs publics, constitue un enjeu essentiel et urgent pour notre pays. La
France a toléré, depuis près de quatre décennies, la répétition chaque année d'un déficit de
ses comptes publics. Elle est entrée dans la crise chargée d'une dette déjà lourde. Malgré
les efforts déjà réalisés, le déficit s'établit à un niveau encore bien supérieur à celui qui
permettrait de stabiliser la dette rapportée à la richesse nationale, à savoir 1 % en 2013.
Ainsi, la dette a progressé
en 2013 de 84 Md€, ce qui représente 1 300 € supplémentaire par
Français en une année. Le fait que la dette ne soit toujours pas stabilisée rend, aux yeux de
la Cour, la situation des finances publiques toujours préoccupante. La dette publique a
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att
eint 1 925 Md€, soit 94,1 % du PIB. Près d'un mois de dépenses publiques est financé par
l'emprunt.
La faiblesse des taux d'intérêts, qui s'est encore accentuée en 2013, contribue à nous rendre
insensibles à ce poison lent
qu’est la dette, puisqu’alors même qu’elle progresse, son coût
immédiat se réduit. La charge d'intérêts est passée de 52,2 Md€ à 46,7 Md€. Le retour de la
croissance s'accompagnera tôt ou tard d'une remontée des taux d'intérêts. Notre pays doit
donc se préparer à payer à l'avenir un prix nettement plus élevé pour le service de la dette,
alors même qu'au niveau actuel, il absorbe déjà l'équivalent des dépenses de
l'enseignement scolaire. Rompre la spirale de l’endettement est indispensable pour redonner
au pays les marges de manœuvre nécessaire
s pour stimuler la croissance et améliorer sa
compétitivité.
S’y ajoute le constat que la dette, dans sa quasi totalité, a servi à financer des dépenses
courantes. Cela pose un problème d’équité entre les générations, car ces dépenses n’auront
pas servi
à préparer l’avenir.
Ces raisons sont à elles seules suffisantes. S’y ajoutent d’autres arguments, notamment la
nécessité de respecter les engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires
européens, le recul de sa situation par rapport à ses voisins européens, en un mot la
nécessité de mieux asseoir la crédibilité de notre signature.
En effet, la France ne se situe plus sur la trajectoire qu’elle s’est fixée elle
-même par la loi de
programmation des finances publiques, adoptée il y a seulement un an et demi, fin 2012.
Cette trajectoire constitue toujours la référence au regard du droit national et des obligations
résultant du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Elle prévoyait
un déficit public réduit à 3 % en 2013. L'écart est donc de 1,3 point en termes de déficit
effectif et de 1,5 point en termes de déficit structurel, c’est à dire mesuré hors effets de la
conjoncture économique. Une telle situation a conduit le Haut Conseil des finances
publiques à constater un écart important rendant nécessaire un mécanisme de correction,
ainsi que le prévoit la loi organique du 17 décembre 2012 relative à programmation et à la
gouvernance des finances publiques.
Seul le prononcé fait foi
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Il faut constater que la situation des finances publiques, b
ien qu’en voie d’amélioration,
demeure plus dégradée que dans les autres pays européens. Le déficit public, de 4,3 % du
PIB en 2013, est supérieur à la moyenne de l’Union européenne (3,3 %), et à celle de la
zone euro (3 %). Avec un niveau de croissance légèrement supérieur à la moyenne de la
zone euro, la France a réduit son déficit dans des proportions semblables à ses partenaires.
La dette publique y a augmenté un peu plus vite que la moyenne. Pour la première fois, le
niveau de dette français se situe au-dessus des deux moyennes de l'Union européenne et
de la zone euro. Bien que ralenti, le rythme de croissance des dépenses publiques en
France a été encore sensiblement plus rapide que chez ses voisins en 2013.
La lenteur du rééquilibrage ne doit pas faire douter de son bien-fondé ni de son absolue
nécessité. On n'efface pas les conséquences de quarante années de gestion déséquilibrée
des finances publiques en quatre années et au lendemain de la crise économique la plus
grave qu’ait connue notre pays depuis l’entre
-deux guerres. Un effort de cette nature doit
donc être poursuivi dans la durée.
Le troisième message
concerne les risques entourant la réalisation des objectifs pour
l'année en cours.
Fixé à 3,6 %, l'objectif de déficit public a été révisé à la hausse à 3,8 % à
l'occasion du programme de stabilité de mai. La Cour a examiné les risques pesant sur la
réalisation des nouvelles prévisions contenues dans ce programme et reprises dans les
projets de lois financières rectificatives, qui vont être prochainement discutés par le
Parlement.
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La Cour a identifié des risques importants de moindres recettes. Des moins-values possibles
peuvent être associées à une surestimation de l'élasticité des recettes publiques, c'est à dire
de la manière dont elles réagissent à la croissance du PIB. Déjà, l'importante surestimation
de cette hypothèse en 2013, qui constitue un défaut récurrent dans la construction des
budgets, a entraîné 8 Md€ de moindres recettes pour l’ensemble des administrations
publiques. Pour 2014, la Cour estime à 2 à 3 Md€ au total les risques liés à ces hypothèses
d'élasticité et, à un degré moindre, ceux tenant au chiffrage des mesures nouvelles. Il existe
aussi un risque tenant à une fragilisation de la prévision de croissance de 1 % sur laquelle
repose les prévisions de recettes, compte tenu des informations les plus récentes. Le Haut
Conseil des finances publiques, dans son avis du 5 juin, a estimé que cette prévision, sans
être hors d'atteinte, apparaît désormais élevée.
La Cour a effectué une analyse rétrospective sur l'origine des écarts entre prévision et
réalisation dans les lois de finances de la dernière décennie. Alors que les écarts provenant
de dépenses plus importantes que prévu se sont réduits, ceux concernant les prévisions de
recettes se sont accrus. La croissance spontanée des recettes a été en moyenne surestimée
de 4 Md€ par an, particulièrement au cours des années de plus faible croissance. La Cour
appelle donc à un renforcement des outils de prévision des recettes et à une plus grande
transparence dans la présentation des hypothèses retenues et des écarts constatés entre
prévisions et réalisations.
S'agissant des dépenses en 2014, la Cour a examiné en détail la situation budgétaire de
l'État à mi-année. Elle a constaté que les risques de dépassement des crédits étaient un peu
plus importants que les années précédentes. Ils concernent par exemple le ministère de la
défense et celui de l’agriculture. Mais la Cour estime
que les objectifs de dépenses
pourraient être atteints, notamment grâce à l’annulation de crédits mis en réserve.
Les objectifs de dépenses de sécurité sociale devraient également être tenus. Les prévisions
concernant l'assurance chômage risquent en revanche d'être dépassées. Surtout, les
dépenses des collectivités territoriales, même révisées à la hausse, paraissent encore sous-
estimées. Au total, le déficit des administrations publiques pourrait dépasser l'objectif de
Seul le prononcé fait foi
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déficit de 3,8 % et être proche de 4 %, voire légèrement supérieur si la prévision de
croissance du Gouvernement ne se réalisait pas. Dans ce cas, le respect de la trajectoire
des finances publiques pour les années 2015 à 2017 s’en trouverait immédiatement fragilisé.
Le quatrième message concerne
les perspectives des finances publiques pour les
années à venir.
Une nouvelle trajectoire a été fixée, dans laquelle le retour à l'équilibre
structurel des comptes publics est reporté à 2017 au lieu de 2016. Elle prévoit que le seuil
des 3 % de déficit public soit atteint en 2015, année où le niveau de dette rapporté à la
richesse nationale serait stabilisé avant de baisser. Cette nouvelle trajectoire, qui devrait être
formalisée par le vote d’une nouvelle loi de programmation des finances publiques
, intègre
les baisses de prélèvements obligatoires annoncées en faveur de la compétitivité des
entreprises et du pouvoir d'achat des ménages. La Cour a estimé à 14 Md€ leur coût net. En
effet, la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ainsi que les
mesures du pacte de responsabilité et de solidarité représentent un allégement de 35 Md€.
Mais le programme de stabilité prévoit parallèlement une augmentation d'autres
prélèvements, pour 21 Md€. Ainsi, les prélèvements obligatoires
devraient baisser de
14 Md€ d'ici 2017, l'essentiel de cette baisse intervenant en 2015 et en 2016.
Pour tenir les objectifs de réduction des déficits, tout en finançant ces baisses d'impôts,
l’évolution des dépenses publiques devra être davantage ralent
ie. La trajectoire initiale
prévoyait une hausse de 70 Md€ entre 2015 et 2017. Elle serait désormais limitée à 62 Md€.
Ce chiffre montre que l'effort prévu n'implique pas une réduction en valeur absolue des
dépenses, mais un ralentissement sensible de leur rythme d'accroissement. Il ne faut
cependant pas minimiser l'effort que cet objectif représente, car il suppose de limiter la
croissance annuelle moyenne des dépenses publiques à 0,1 % en plus de l'inflation, alors
que ce taux était chaque année en moyenne de 2,3 % entre 2000 et 2008 et de 1,4 % entre
2009 et 2012.
Il est d'usage d'évoquer des niveaux « d'économies » à réaliser, que le Gouvernement chiffre
à 50 Md€ sur 3 ans. Ce chiffrage repose sur une comparaison avec une tendance
d'accroissement des dépenses publiques à politique constante. La fixation de cette tendance
relève de conventions diverses et fragiles, notamment la prolongation de tendances
historiques sur une période de référence. Si le Gouvernement a pu maintenir le chiffre de 50
Md€ d'éco
nomies avant et après prise en compte des nouvelles baisses de prélèvements
obligatoires décidées, cela signifie qu’il a révisé à la baisse, implicitement, son hypothèse de
croissance spontanée des dépenses, qui passe de 1,6 % à 1,5 % en plus de l'inflation. Sans
cette révision conventionnelle, le montant d'économies aurait représenté 58 Md€. Si de telles
révisions ne sont pas illégitimes dans leur principe, pour tenir compte du ralentissement que
l'on peut constater depuis le début des années 2000, les conventions et méthodes utilisées
devraient être explicitées et rendues publiques.
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La Cour a examiné le contenu du programme de 50 Md€ d'économies annoncées. Elle
relève qu'une partie de celles-ci, représentant une vingtaine de milliards d'euros, correspond
à des orientations déjà décidées, par exemple la poursuite du gel des traitements de base
des fonctionnaires, ou constitue la prolongation d'efforts déjà réalisés, s'agissant par
exemple des dépenses de santé. La réalisation des 30 Md€ restant est encor
e incertaine car
peu documentée.
Les économies identifiées dans le cadre de la Modernisation de l'action publique, de l'ordre
de 5 à 7 Md€, ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Celle
-
ci n’a été en effet que tardivement
orientée vers la recherche d'économies.
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Surtout, près de 15 Md€ d'économies prévues reposent sur des administrations dont l'
État
ne maîtrise pas les dépenses : les régimes complémentaires de retraite, pour 2 Md€,
l'assurance chômage, pour 1,5 Md€ et les collectivités territoriales pour 11 Md€. Le
Gouvernement anticipe un ralentissement marqué des dépenses de ces dernières sous
l'effet du gel des dotations de l'État
et d’un moindre effort d'investissement. Plus
précisément, il anticipe qu'un euro de dotations en moins entraînera aussitôt un euro de
moindres dépenses. Or rien n'empêche des collectivités territoriales de relever la fiscalité
locale ou de recourir à l'endettement pour accroître le niveau de leurs dépenses.
L'expérience de 2013 ne peut, à cet égard, qu’attirer l’attention. Alors que les communes
subissaient le gel des dotations de l'État, leurs dépenses de fonctionnement se sont accrues
et leur déficit a progressé. En particulier, les dépenses de personnel ont progressé de 2,6 %
dans les communes et de 7,2 % dans les intercommunalités.
La demande d’un effort accru au secteur local devrait prendre en compte le fait que la
situation des différents niveaux de collectivités est de plus en plus différenciée, les
départements se situant en moyenne dans une situation plus contrainte que les communes.
Au sein de chaque catégorie, les situations sont elles-mêmes hétérogènes, ce qui devrait
appeler une modification des mécanismes de partage des recettes entre collectivités.
Le choix d'un partage équilibré des efforts entre toutes les administrations publiques répond
à une préconisation de la Cour. Mais pour assurer la réalisation de la trajectoire, un tel choix
devrait se traduire simultanément par un renforcement des outils de programmation et de
suivi des finances publiques. Les normes de dépenses concernant l'État et ses opérateurs
pourraient être élargies. Les lois de finances et de financement votées par le Parlement ne
concernent actuellement que l'État et la sécurité sociale. Leur champ pourrait être étendu à
l'ensemble des régimes de protection sociale obligatoire, incluant les régimes d'assurance
chômage et de retraite complémentaire. Des lois de finances locales pourraient aussi être
instaurées. Elles fixeraient des objectifs d'évolution des dépenses et des recettes et
prévoiraient les mesures permettant de les atteindre. L’effort demandé aux collectivités, dans
le respect de leur libre administration, encadrée par les lois, serait précisé, avec des
mécanismes de suivi en cours d’exécution. De son côté, l’État devrait clarifier ses
engagements s’agissant de celles de ses décisions qui peuvent avoir un impact important
sur les finances locales, notamment celles relevant de la politique salariale des
fonctionnaires ou de l’édiction de normes diverses.
Le dépassement des objectifs de dépenses représente aujourd’hui le principal risque de
déviation de la trajectoire. Mais la Cour identifie également un risque sensible sur le niveau
de recettes pour les prochaines années. Le scénario macroéconomique retenu est fragile,
particulièrement en matière de progression de la masse salariale et de reprise de l'emploi. Si
le Haut Conseil des finances publiques n'a pas jugé hors d'atteinte la prévision de croissance
pour 2015, de 1,7 %, il a estimé néanmoins qu'elle reposait sur une conjonction
d'hypothèses favorables. Il considère que les prévisions de croissance pour 2016 et 2017
sont optimistes.
J'en viens au dernier message :
pour ambitieux qu'il soit, l'objectif de maîtrise des
dépenses est réalisable
, d'autres pays comparables l'ont fait, et les marges de manœuvre
existent.
Seul le prononcé fait foi
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De nombreux pays sont parvenus à infléchir sensiblement la progression de leurs dépenses.
Au Pays-Bas, entre 1995 et 1999, la dépense publique a été réduite de 10,3 % dans le PIB.
La Cour prend l'exemple de l'Allemagne, qui est parvenue à assurer le retour à l'équilibre
structurel de ses comptes en agissant principalement sur ses dépenses.
Alors que le taux de dépenses publiques progressait de 5,4 points de PIB en France entre
2001 et 2013, il se réduisait de 2,9 points en Allemagne. Les deux pays avaient et ont
toujours une répartition comparable de leurs dépenses par politiques publiques. Mais la
France dépense davantage pour la quasi totalité des postes. L'évolution du poids des
Seul le prononcé fait foi
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prestations sociales et des dépenses de fonctionnement explique l'essentiel de la divergence
de trajectoire entre la France et l'Allemagne.
Un niveau de dépenses publiques élevé ne trouve toute sa justification que si ces dépenses
sont financées dans la durée et si leur efficacité et leur efficience sont garanties.
Or, il existe incontestablement d’importantes marges de progrès pour
améliorer la
performance des politiques publiques et des organismes publics, sans remettre en cause la
qualité du service rendu ni remettre en cause les principes du modèle social français. Les
résultats atteints par nombre de politiques publiques ne sont pas à la hauteur des moyens
investis. Faire aussi bien, voire mieux, est possible, en dépensant moins. C’est d’autant plus
nécessaire que des marges de manœuvre manquent à notre pays pour investir dans les
projets d’avenir et redresser sa compétitivité.
La recherche d’économies doit être comprise et utilisée comme une opportunité pour initier
des réformes plus profondes, touchant à l’adaptation et à la modernisation des politiques
publiques. En 2013, la Cour a livré une panoplie de leviers possibles pour réaliser des
économies.
Cette année, elle consacre des développements détaillés à trois champs de dépenses
particulièrement concernés par les économies à venir. Pour chacun d’eux, les objectifs
affichés sont réalisables, mais supposent des arbitrages clairs et des décisions explicites.
Je commencerai par la
maîtrise de la masse salariale publique
, qui est incontournable
pour permettre un freinage des dépenses publiques dans leur ensemble, puisqu’elle
représente 23,2 % de celles-ci. Le programme de stabilité prévoit un ralentissement très
sensible de la masse salariale, qui devrait croître à un rythme désormais inférieur à
l’inflation. Pour l’État, à effectifs constants, les mesures utilisées dans la période récente –
gel du traitement de base, baisse des mesures catégorielles
–
ne suffiront pas à atteindre les
objectifs. Si l’on souhaite conserver
une fonction publique attractive, il convient de préserver
quelques marges de manœuvres salariales. Aussi convient
-
il d’envisager le recours au levier
que constitue la baisse des effectifs des administrations publiques, porteuse d’économies
importantes et durables. Une hausse du temps de travail effectif des fonctionnaires, qui se
situe parfois en-deçà de la durée légale, pourrait rendre possible cette baisse des effectifs
sans réduire la quantité et la qualité des services publics. A cet égard, il serait
p
articulièrement utile d’établir un état des lieux de la durée effective de travail dans les trois
fonctions publiques.
L’État a déjà consenti beaucoup plus d’efforts que les autres administrations publiques pour
maîtriser sa masse salariale. Depuis 2009, les effectifs des collectivités territoriales ont
augmenté de 1,3 % par an en moyenne, alors qu’aucun transfert de compétence n’est
intervenu sur cette période. A l’hôpital, la tendance est comparable. Dès lors, ces
administrations devraient apporter une contribution sensiblement accrue à la maîtrise de la
masse salariale publique. Cela pourrait passer par une forte inflexion des recrutements dans
les collectivités territoriales et par des réorganisations hospitalières.
Le deuxième domaine qu’évoque le rap
port concerne le secteur des
collectivités
territoriales
. Une grande partie des économies attendues du secteur local peuvent être
trouvées dans les dépenses de fonctionnement des communes et des intercommunalités,
dans les dépenses d’intervention des régio
ns et dans une plus grande sélectivité des
investissements locaux.
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Le dernier domaine évoqué est celui de
l’assurance maladie
, où réside encore la principale
source de déficit de la sécurité sociale. Le retour à l’équilibre de celle
-ci passe par une
mobil
isation résolue des très importants gisements d’économies que recèle notre système
de soins, sans pour autant réduire sa qualité ni l’accès de tous à celui
-ci. La Cour, année
après année, livre des exemples variés de réformes permettant de rendre plus efficace la
dépense de santé. Ainsi, le développement de la chirurgie ambulatoire, c’est à dire pour
laquelle l’intervention est réalisée sans nuit passée à l’hôpital, très en retard dans notre pays,
peut entraîner des économies allant jusqu’à 5 Md€. Plusieurs
milliards d’euros peuvent
encore être trouvés dans la politique du médicament, s’agissant de baisses de prix ou d’un
développement nettement accru des médicaments génériques, comme dans des pays
voisins. Certains postes de dépenses peuvent être bien mieux maîtrisés, notamment le
transport des patients, les analyses médicales, les indemnités journalières en cas d’arrêt
maladie ou les dépenses de gestion des caisses d’assurance maladie.
***
La Cour des comptes est une juridiction indépendante. À ce titre, elle est une composante de
notre démocratie. Elle essaie de contribuer à une démocratie mature : c’est
-à-dire une
démocratie qui ne décide pas sans savoir et qui évalue les conséquences de ses choix.
La Cour a pour rôle d’assister le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation des
politiques publiques, et d’informer le citoyen. C’est pourquoi elle est tenue à un devoir de
vérité. Face à la gravité de la situation, nous ne pouvons pas fermer les yeux.
On ne reproche pas à la lampe d’éclairer la pièce,
même si elle révèle que la pièce est en
désordre. Les constats, les diagnostics sont là. Nos concitoyens savent que la situation
appelle des décisions difficiles et courageuses de la part des responsables politiques.
Derrière chaque dépense publique, il y a un bénéficiaire ou un intérêt particulier. Mais leur
addition ne fait pas l’intérêt général.
La maîtrise de son destin par la France passe par sa
capacité à restaurer ses marges de manœuvre, grâce au désendettement et à la réduction
des déficits.
Tout
en restant à sa place, qui n’est pas celle du décideur, la Cour des comptes s’efforce,
année après année, rapport après rapport, d’ouvrir des pistes, de montrer qu’il y a des
solutions.
J’espère que ce rapport
aura tout à la fois mis en évidence le caractère
préoccupant de la situation de notre pays en matière de finances publiques, et montré qu’il
était possible d’y remédier.
Je vous remercie de votre attention.