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Seul le prononcé fait foi
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Discours de M. Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public thématique sur
La politique de développement des énergies renouvelables
jeudi 25 juillet 2013
Mesdames, messieurs,
Je vous souhaite la
bienvenue à l’occasion de la publication d’un nouveau rapport public thématique
de la Cour sur la politique de développement des énergies renouvelables.
Depuis une vingtaine d’années, l’Union européenne s’est engagée sur la voie du développement des
éner
gies renouvelables afin de réduire les impacts de sa consommation énergétique sur l’environnement,
d'accroître son indépendance et d'ouvrir de nouvelles perspectives de croissance et d’emploi. A partir des
directives européennes, la France a structuré une véritable politique en faveur des énergies renouvelables en
2005, comme de nombreux autres pays européens.
Dans un contexte en rapide évolution, cette politique cherche à favoriser le développement de ces
sources d’énergie par un système d’aides venant c
ontrebalancer leur coût en moyenne plus élevé que les
énergies fossiles. Ce développement des énergies renouvelables s’inscrit dans l’effort engagé de transition
énergétique, au côté d'autres politiques publiques comme la maîtrise de la consommation ou le recul de la
part de l’énergie nucléaire au sein de la production d’électricité de 78 % à 50 % en 2025. Un débat sur cette
transition énergétique a été engagé et s’est achevé récemment, sans dégager
encore de consensus clair. Un
projet de loi de programmati
on devrait être déposé devant le Parlement à l’automne. Il n’appartient
naturellement pas à la Cour de se prononcer sur les objectifs et sur les moyens de les atteindre.
En revanche, il entre dans sa mission constitutionnelle d’information des décideurs e
t des citoyens
d’apporter un éclairage sur le bilan de cette politique jusqu’à aujourd’hui, ainsi que sur les choix à faire et les
moyens à engager pour tenir les objectifs fixés pour l’avenir. C’est sa manière de contribuer au débat sur la
transition énergétique, sans en être un acteur.
Elle a appliqué pour ce rapport la même logique que dans l’étude qu’elle avait livrée en janvier 2012
sur les coûts de la filière électronucléaire. Elle s’est entourée d’un comité d’appui composé d’experts. Elle a
largement consulté et associé les différents acteurs du débat énergétique. Elle a cherché à apporter des
éléments factuels et proposer des choix pour contribuer à la qualité de l’action publique et dépassionner,
autant qu’elle le peut, les débats.
Sa contributio
n sur les énergies renouvelables est la synthèse d’une dizaine de travaux menés par la
Cour sur les différentes politiques de soutien à des filières, ainsi que sur la gestion des filiales des entreprises
publiques spécialisées dans les énergies renouvelabl
es. Le rapport n’aborde pas le sujet des biocarburants
car la Cour a livré un rapport d’évaluation sur ce sujet en janvier 2012. Dans le rapport comme dans mon
propos, l’expression énergies renouvelables exclura donc les biocarburants.
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Les énergies renouvelables sont trop souvent associées à la seule électricité produite à partir de
sources renouvelables. C’est oublier ce qui représente la majorité de la production d’énergies renouvelables :
la chaleur. Les énergies renouvelables produisant directement de la chaleur représentent 59,4 % du total des
énergies renouvelables, devant la production d’électricité d’origine renouvelable. Il s’agit pour l’essentiel du
produit de la combustion du bois ou des déchets ménagers appelées biomasse. Les autres sources sont le
solaire thermique, les pompes à chaleur à partir de l’air, et la géothermie. S’agissant de l’électricité, les
énergies renouvelables sont avant tout l’hydroélectricité, pour un peu moins de 12 % de la production
électrique nette, puis, loin derrière
, figurent l’éolien, avec 2,8 %, la biomasse av
ec 1,1 % et le solaire pour
0,7 %.
Le contenu de ce rapport peut être résumé en quatre messages :
Le premier est que la France se situe actuellement dans la moyenne des Etats européens pour
la part des énergi
es renouvelables dans sa consommation totale d’énergie, mais ce niveau reste
limité ;
Le deuxième est que la France s'est fixé des objectifs particulièrement ambitieux pour 2020,
dont l'atteinte sera difficile ;
Le troisième message est que le coût devrait être important pour le contribuable et
consommateur d'électricité, davantage que ce qui est habituellement imaginé. Il faut donc
redoubler d’efforts pour améliorer le rapport coût
-efficacité de chacun des dispositifs d'aide
existants et savoir arbitrer sur les soutiens aux différentes filières ;
Le quatrième message est que l'action pour lever les obstacles non financiers au
développement des énergies renouvelables est tout aussi essentielle. Des évolutions profondes
sont nécessaires pour lever les obstacles juridiques et sociétaux à l'implantation des
installations, adapter le réseau électrique et les modes de consommation.
Je reviens sur le premier message : avec 13,1 % d’énergies renouvelables dans sa consommation
d’énergie, la France se situe dans la
moyenne des Etats européens. Elle se situe même devant ses principaux
voisins, à l’exception de l’Espagne.
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Pour sa part électrique, la production française d’énergie se distingue par un faible taux d’émission
de dioxyde de carbone : la France se situe parmi les pays européens les moins émetteurs. En effet, 86,8 % de
la production est issue du nucléaire ou de l'hydraulique, deux sources très peu carbonées. En outre,
l’électricité est aujourd’hui en France l’une des moins chères d’Europe, son prix est sensi
blement inférieur à
celui de ses voisins.
La situation favorable de la France en matière d'énergies renouvelables est avant tout le reflet du
développement ancien de l’hydroélectricité et de la combustion du bois de chauffage dans nos habitations. Il
faut
en outre constater que le volontarisme affiché depuis 2005 a permis à la France d’obtenir des résultats
tangibles : la proportion d'énergies renouvelables est passée de 10,3 % en 2005 à 13,1 % en 2011. Ce
résultat a été obtenu par une progression de la biomasse utilisée pour la chaleur, ainsi que par un
développement important de l'électricité éolienne et photovoltaïque.
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Cependant, les objectifs fixés n'ont pas été complètement atteints, la France visait 13,5 % d'énergies
renouvelables en 2011 contre 13,1 % réellement atteints.
L'effort français peut apparaitre modeste par rapport à d’autres pays européens qui, partant d’un
niveau historique plus faible, ont fait des efforts plus importants en faveur des énergies éolienne et solaire, en
particulier en Allemagne.
J'aborde maintenant le deuxième message : la France s'est fixé des objectifs particulièrement
ambitieux pour 2020, dont l'atteinte sera difficile. Avec un objectif de 23 %, la France s’est volontairement
située, avec l'Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark, parmi les quatre Etats européens qui auront les efforts
les plus importants à accomplir.
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Alors que des retards sont déjà constatés sur l'atteinte des objectifs pour 2011, le supplément de
production à réaliser dans les différentes filières entre 2012 et 2020 (neuf années) représente globalement six
à sept fois ce qui a été réalisé entre 2005 et 2011 (sept années).
La Cour a cherché à identifier les difficultés que soulevaient l'atteinte de cet objectif et les choix qu'ils
pouvaient impliquer. Son analyse met d'abord en évidence les coûts importants que cette évolution suppose et
la nécessaire adaptation des mécanismes d'aide existants pour garantir la soutenabilité de cette politique,
c'est le troisième message du rapport. J'évoquerai successivement les coûts, les dispositifs d'aide, leur impact
socio-économique et les recommandations de la Cour pour permettre leur réorientation.
La Cour s'est penchée sur le coût associé à chacune des sources d'énergie. Elle a établi une
méthode reposant sur les coûts réellement constatés dans différents projets, dont la Cour a eu connaissance
grâce à ses diverses investigations. Elle a constaté, avec la nécessaire prudence que ces estimations
requièrent, que les coûts étaient proches de ceux qui sont habituellement retenus, sous la forme de
fourchettes.
S'agissant de l'électricité, la Cour avait évalué le coût de l'énergie nucléaire d'aujourd'hui, en prenant
en compte le cycle de démantèlement et de gestion des déchets, à un ordre de grandeur de 50
€ par MWh.
Les nouvelles installations de type EPR pourraient avoir un coût plus élevé de l'ordre de 70 € à 90 € par MWh.
Certaines filières électriques renouvelables ont des coûts devenus voisins de ceux du nucléaire :
l'hydroélectricité de grande capacité et certaines installations éoliennes terrestres dont les coûts sont compris
entre 60 et 100 € par MWh, donc tout à fait comparables à l'énergie nucléaire de demain. Les parcs éoliens en
mer, dont les coûts sont mal connus, seraient sensiblement plus che
rs, entre 123 et 190 € par MWh. Enfin, le
coût de production de l'électricité solaire est sensiblement plus élevé, avec une fourchette large en fonction
des conditions d'ensoleillement et des techniques, qui va de 100 à 700 € par MWh.
Mais il est difficile de se fonder sur ces seules données de coût de production pour faire des choix
pour l'avenir, car elles sont évaluées à partir d'une projection sur le cycle de vie des installations des coûts de
construction, de maintenance et de démontage tels qu'on les connaît d'aujourd'hui. Ces chiffres peuvent
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évoluer à la baisse en fonction du progrès technologique. Cependant, on peut constater que les technologies
de l'hydroélectricité, de la biomasse et de l'éolien terrestre sont mûres et que les coûts ont peu de chance de
diminuer significativement. En revanche, l'énergie photovoltaïque, encore chère, devrait connaître, au cours
des prochaines années, une diminution importante de son coût : l'Agence internationale des énergies
renouvelables, l’IRENA, estime que ce
lui-ci pourrait atteindre le niveau très compétitif de 50 $ par MWh en
2030, alors que son estimation actuelle est de 250 $.
Enfin, aux coûts de production, il convient d'ajouter le coût de l'intégration au réseau électrique qui
suppose, lorsque la proportion d'énergies renouvelables intermittentes comme l'éolien ou le solaire dépasse
un seuil qui n'est pas encore atteint en France, une adaptation du réseau à l'intermittence ainsi qu'à une
production plus disséminée. Compte tenu de l'objectif de 23 %, les gestionnaires de réseau estiment la charge
totale d'adaptation du réseau entre 5 et 6 Md€.
Le système d'aides pour prendre en charge le surcoût de production et favoriser l'implantation des
énergies renouvelables prend essentiellement cinq formes.
La première est le tarif de rachat garanti pour la production d'électricité renouvelable. Il est fixé, par
arrêté ministériel, à un niveau plus élevé que le prix du marché. L'écart est mis à la charge du consommateur
d'électricité, à travers la contribution pour
le service public d'électricité, la CSPE. Son coût était de 582 M€ en
2009. Il a atteint 3 Md€ en 2013. En 2011, en raison du mauvais calibrage des tarifs de rachat de l’électricité
photovoltaïque, la filière solaire a en effet capté 62 % de la CPSE au titre des énergies renouvelables, alors
qu'elle ne représente que 2,7 % des énergies électriques renouvelables. Autrement dit, un MWh d'énergie
solaire entraîne une dépense de rachat de 500 €, alors que cette dépense est de 34 € pour l'éolien et 20 €
pour la biomasse. Compte tenu des projections de développement des différentes énergies renouvelables d'ici
2020, à règles inchangées, la partie de la CSPE finançant les énergies renouvelables devrait passer de 3 Md€
à 8 Md€ par an en 2020.
Le deuxième dispositi
f de soutien est l'organisation par l’État d'appels d'offres pour de nouvelles
installations, par exemple pour l'éolien en mer, avec un tarif de rachat fixé contractuellement et intégré lui
aussi à la CSPE. La Cour a constaté que le recours aux appels d'offres n'était pas toujours justifié ni efficace
pour atteindre les capacités attendues ou pour obtenir le meilleur prix.
Le troisième dispositif de soutien est le crédit d'impôt développement durable pour les équipements
de production ou les travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique chez les particuliers. Il représente entre
10 et 40 % du coût d'équipement des installations concernées. Son coût, pour les énergies renouvelables, est
de 659 M€ en 2011. Il existe également un taux de TVA réduit pour l
es travaux dans les logements de plus de
deux ans.
Le quatrième dispositif de soutien, toujours pour la chaleur, s'adresse cette fois aux logements et
bâtiments collectifs. Le fonds chaleur, géré par l'ADEME, accorde des subventions et aides dont le montant
est de 240 M€ par an en moyenne, en deçà des ambitions fixées à sa création au moment du Grenelle de
l'environnement.
Enfin, cinquième dispositif de soutien, les aides à la recherche ont une importance centrale. En effet,
les potentialités d'évolutions technologiques sont nombreuses et devraient permettre d'obtenir à la fois une
baisse de coûts et une meilleure compétitivité des filières industrielles française et européenne. Face à des
énergies intermittentes
solaire et éolien notamment
, l'enjeu de la recherche sur le stockage de l'énergie
est évidemment essentiel. Les solutions existant actuellement, que ce soient les batteries, les stations de
transfert d'énergie par pompage au moyen d'un barrage ou la compression d'air dans une caverne, sont
coûteuses ou encore peu matures. Devant ces enjeux et en dépit de la priorité affichée depuis le lancement
du programme d'investissements d'avenir, le niveau d'aides à la recherche ne représente que 300 M€ par an
au maximum, soit bien moins que l'effort de recherche allemand, japonais ou américain. Ce montant doit être
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comparé aux 2,1 Md€ annuels de soutien à la filière photovoltaïque via la CSPE, pour une production
électrique très modeste.
Chacun de ces dispositifs a connu des difficultés. Les tarifs de rachat et les dépenses fiscales ont
une logique de guichet : tous ceux qui remplissent les conditions peuvent prétendre à l'aide. Une mauvaise
fixation du tarif de rachat a conduit à une bulle photovoltaïque en 2009 et 2010, coûteuse pour le
consommateur, via la CSPE et dommageable pour la balance commerciale. Son traitement tardif et vigoureux
a désorganisé la filière photovoltaïque et détruit des emplois. La dérive du coût du crédit d'impôt
développement durable, dont le contrôle est au demeurant insuffisant, a elle aussi conduit à un durcissement
des règles. L'instabilité qui en a résulté est préjudiciable aux investissements qui demandent de la visibilité sur
le moyen et long terme. Elle a entraîné des difficultés pour nombre d'entreprises de la filière, et pousse les
candidats aux appels d'offre à prendre des marges de précaution croissantes, ce qui pousse les prix vers le
haut.
La Cour a estimé que le coût complet de soutien aux énergies renouvelables, dans son ensemble,
avait dépassé 14 Md€ entre 2005 et 2011, dont 3,3 Md€ de CSPE. Il est difficile d'estimer le coût que
représentera l'atteinte de l'objectif pour 2020. Le coût lié à la CSPE, sur cette période, représentera à lui seul
un somme de l'ordre de 40,5 Md€, sauf
bouleversement de la politique de soutien d'ici cette échéance. A cette
somme s’ajouteront le coût des mesures fiscales en faveur des énergies renouvelables, des autres aides
budgétaires à l’investissement ainsi que les coûts du financement de la recherche
publique. En outre, les
électriciens supporteront une charge d’adaptation des réseaux de l’ordre de 5,5 Md€. Toutes ces estimations
sont susceptibles d'évoluer fortement en fonction des choix à venir, par exemple sur le tarif de rachat ainsi
qu'en fonction des innovations technologiques.
Le coût complet de soutien est un paramètre important car, dans la mesure où il repose
essentiellement sur la facture d'électricité, il est un facteur de moindre compétitivité de l'économie et pèse sur
le pouvoir d'achat des ménages. Dès lors, il est essentiel que tout soit fait pour que les objectifs fixés puissent
être atteints au moindre coût, ce qui suppose une meilleure maîtrise des différents dispositifs ainsi qu’une
action sur les leviers non financiers.
Cette meilleure maîtrise des dispositifs d'aide s'impose d'autant plus que les retombées socio-
économiques jusqu'ici obtenues sont plutôt décevantes. En raison notamment de la déstabilisation de
certaines filières soumises à des fluctuations d'aide, les emplois ont progressé, mais moins qu'attendu. Ils sont
passés, selon l'ADEME, de 58 460 en 2006, essentiellement dans la biomasse, l'hydroélectricité et les
pompes à chaleur, à 83 260 en 2012 après un pic à 98 580 en 2010, ce qui est loin des centaines de milliers
autrefois évoqués. Le montage des installations d'énergies renouvelables a généralement été réalisé par des
entreprises locales. Mais, s'agissant du matériel, certaines éoliennes et surtout la quasi-totalité des modules
photovoltaïques ont été importés. De même, certaines générateurs de chaleur de type biomasse font appel à
des ressources de bois importées, lorsque leur capacité dépasse les ressources locales. En revanche,
l'industrie française est bien positionnée en matière d'hydroélectricité et d'éolien terrestre. Les décisions à
prendre doivent intégrer ces paramètres, en s’appuyant sur les filières déjà structurées, par exemple l’éolien
terrestre. Elles devraient également permettre le développement de filières industrielles dans les autres
secteurs, ce qui suppose notamment d'investir dans la recherche, de développer une stratégie industrielle et
de leur assurer des premiers débouchés, comme pour l’éolien marin.
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La Cour recommande que soient réalisés des arbitrages entre les filières, pour privilégier les plus
efficientes. Il ne lui appartient naturellement pas de proposer un mix énergétique. Mais elle recommande que
les moyens soient réorientés, en particulier le dispositif de prix d'achat garanti et les subventions du fonds
chaleur. Cette réorientation pourrait avant tout bénéficier aux filières les moins coûteuses au MWh produit,
tout en veillant à préserver et à structurer les filières industrielles française et européenne, soutenir l'emploi et
limiter les importations.
Ainsi, le soutien au photovoltaïque intégré au bâti n'a pas fait la preuve de son efficacité et pourrait
être remis en cause. La Cour s’interroge également sur l’intérêt d’accroître le soutien à l’électricité
géothermique qui, pour le moment, reste en France plus à un stade expérime
ntal qu’industriel. En
contrepartie, ces filières moins matures bénéficieraient d'un effort de recherche bien plus important. La Cour
recommande qu'une partie substantielle des moyens importants consacrés au soutien à la production soient
réorientés vers la recherche.
Les tarifs de rachat garanti, qui répondent à une logique de guichet, pourraient être réservés aux
filières matures comme l'éolien terrestre. Le niveau des tarifs pourrait être réactualisé à intervalles réguliers et
sans mouvements brutaux, afin de mieux suivre et de lisser les évolutions de coût. La CSPE, qui finance ces
tarifs de rachat, pourrait voir son assiette élargie au-delà des consommateurs d'électricité pour une plus juste
répartition de ce qui représente aujourd'hui une part importante de l'effort en faveur des énergies
renouvelables. Il conviendrait enfin de mieux contrôler le respect des conditions exigées pour le bénéfice du
crédit d'impôt développement durable, qui repose sur de simples déclarations des particuliers. Des cas de
fraude existent. C'est également le cas pour de petites installations photovoltaïques bénéficiant du tarif de
rachat. Dans ce cas, ni l'administration ni EDF n'estiment être en charge de contrôles.
Pour atteindre les objectifs, il sera nécessaire de mobiliser des moyens importants et de mieux en
maîtriser l'usage, il sera aussi indispensable de mettre en œuvre des évolutions profonde afin de lever les
obstacles non financiers au développement des énergies renouvelables, c'est le quatrième message du
rapport. J'évoquerai successivement les limites physiques, les contraintes juridiques et réglementaires, la
valorisation des bénéfices environnementaux liés aux énergies renouvelables et la maîtrise de la
consommation.
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Les limites physiques sont fortes pour l'hydroélectricité et la biomasse. Le potentiel de
développement de l’hydroélectricité est encore substantiel, mais l’application de la loi sur l’eau, qui vise à
améliorer la qualité écologique des eaux et favoriser la biodiversité, apporte des limites importantes à ces
potentialités. De même, l’implantation de centres importants de production de chaleur et de cogénération
électrique, à partir de la biomasse, se heurte à l’insuffisance des ressources mobilisables localement. Le
potentiel de forêt française suffit largement à atteindre les objectifs fixés pour la filière biomasse, mais
l’exploitation de la forêt sert de multiples usages : le bois énergie ne représente que 7 % de la valeur produite
par la filière bois, loin derrière le bois d’œuvre et d’industrie. L’inflation des projets, en particulier les plus
importants, fait courir un risque croissant de devoir recourir à des importations, il convient donc d’être prudent
dans la mise en place de ces projets.
Les limites physiques ne sont pas les mêmes selon la géographie. Le photovoltaïque peut encore
être développé dans le sud du pays, alors que dans le nord, le coût de l’énergie produite est sans doute
excessif à l’heure actuelle. Le littoral peut encore accueillir un nombre important d’éoliennes. Dans l’ens
emble,
les marges de manœuvre existantes pour développer les énergies renouvelables apparaissent tout à fait
cohérentes avec les objectifs fixés.
Les limites ne sont pas seulement physiques, elles sont juridiques. Le cas des éoliennes terrestres
illustre
comment l’écheveau de normes qui caractérise la réglementation applicable aux éoliennes a constitué
un obstacle à leur développement. L’implantation d’éoliennes connaît un ralentissement depuis plusieurs
années, alors que la capacité cumulée des projets en attente de raccordement équivaut à celle déjà
raccordée. Le temps qui s’écoule entre le dépôt d’un projet et son raccordement au réseau se situe entre six
et sept ans en France, contre deux ans et demi en
moyenne en Allemagne. Certes, les règles d’urbanisme, de
protection des installations classées pour l’environnement et la multiplicité des recours est le révélateur des
freins sociétaux qui existent. Chacun souhaite le développement d’éoliennes mais loin
de chez lui. Cependant,
un assouplissement des règles est nécessaire. Il a commencé avec la loi Brottes de 2013 mais il conviendrait
d’aller plus loin, notamment sur le littoral où l’accumulation des règles rend longue et très difficile la
construction d’é
oliennes, alors que ce sont les implantations à plus fort potentiel.
L’exploitation de la chaleur issue de la géothermie se heurte à l’inadaptation des dispositions du
code minier, conçu pour l’exploitation industrielle du sous
-sol. Une disposition de la loi du 22 mars 2012 dite
Warsman II permet de définir par décret un régime juridique plus adapté. Ce décret n’a toujours pas été
publié.
Pour simplifier le cadre de mise en place des énergies renouvelables, l’organisation de l’État doit
être adaptée pour être plus réactive et plus performante. Son expertise devrait être renforcée, notamment
dans la connaissance des coûts, afin de mieux maîtriser les appels d’offre et la fixation des tarifs de rachat.
Les connaissances sont actuellement dispersées entre le
ministère chargé de l’environnement, l’ADEME,
l’INSEE. La Cour recommande de mettre en place un système centralisé de suivi statistique. Les études
d’impact socio
-économique pour les différents projets sont encore rares : une partie des aides publiques dont
les projets bénéficient devrait être consacrée à de telles études.
Pour faciliter le développement des énergies renouvelables, les bénéfices environnementaux qu’ils
entraînent doivent pouvoir être mieux valorisés. Un meilleur fonctionnement du marché des quotas carbone
pourrait y contribuer, ainsi que le développement de la fiscalité sur le carbone. Ces dispositifs permettraient de
rentabiliser naturellement la production des énergies renouvelables, à condition qu’ils soient également mis en
place chez nos principaux partenaires, afin de ne pas fragiliser notre compétitivité.
La maîtrise de la consommation énergétique peut contribuer à faciliter le développement des
énergies renouvelables. En particulier, la mise en place de réseaux intelligents de gesti
on de l’énergie permet
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de déclencher le fonctionnement ou l’arrêt d’équipements consommateurs d’électricité en fonction de la
variation de la production électrique.
En conclusion, entre 2005 et 2011, 2,2 Mtep d’énergies renouvelables supplémentaires ont
été
produites
, pour un coût global de 14,3 Md€ pour la collectivité. L’effort supplémentaire pour atteindre les
objectifs de 2020 représente 15 Mtep supplémentaires, soit sept fois plus. L’analyse de la Cour montre qu’ils
peuvent être atteints mais que de nombreux obstacles doivent être levés. Le principal est le coût encore trop
élevé de nombreuses technologies. Ce coût rend nécessaire, pour rendre la politique soutenable, un meilleur
ciblage des aides à la production sur les filières les plus efficientes, en prenant en compte la dimension de
politique industrielle et le contenu en emploi des décisions prises.
Tout n’est pas que financier : pour tenir les objectifs, les procédures devront être simplifiées et
l’administration mieux organisée. Des arbitrages
devront être faits pour régler des conflits d’usages, sur
l’utilisation du bois pour la biomasse, sur la qualité des eaux pour l’hydroélectricité ou sur l’urbanisation du
littoral et la préservation des paysages pour l’éolien. L’effort de recherche devrai
t être amplifié pour permettre
aux filières les moins matures de baisser leurs coûts et de bénéficier, plus tard, des aides à la production.
Vous le voyez, toutes ces recommandations se tiennent, elles visent à permettre aux décideurs de faire des
choix de long terme éclairés.
La Cour produira, d’ici la fin de l’année, deux autres rapports qui conce
rnent la transition
énergétique : le premier évaluera
l’état de préparation de la France aux échéances du paquet énergie
-climat
européen, à la demande de l’Assemblée nationale, et l’autre sur les certificats d’économie d’énergie, à la
demande du Premier ministre.
Je vous remercie de votre attention et suis à votre disposition, avec les magistrats qui m’entourent,
pour répondre à vos questions.