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COUR DES COMPTES
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LES INDUSTRIES D’ARMEMENT
DE L’ÉTAT
RAPPORT AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
SUIVI DES RÉPONSES DES ADMINISTRATIONS
ET DES ORGANISMES INTÉRESSÉS
OCTOBRE 2001
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Sommaire
Pages
Délibéré
..........................................................................................................
5
Introduction
...................................................................................................
7
Chapitre I : La Société nationale des poudres et des explosifs (SNPE) :
une mutation réussie et à poursuivre
...........................................................
11
I.
La création de la SNPE
.............................................................................
15
II.
L’évolution de la société depuis sa création
..............................................
18
III. La situation actuelle et les perspectives de la SNPE
.................................
23
Conclusion et recommandations
.....................................................................
25
Chapitre II : Le service de la maintenance aéronautique (SMA) : une
évolution nécessaire
.......................................................................................
27
I.
Une activité en baisse constante depuis deux décennies
...........................
30
II.
Cette baisse se poursuivra dans les années à venir
....................................
31
III. Une baisse corrélative des effectifs
...........................................................
31
IV. Dans le même temps, l’industrie française de la réparation aéronautique
dispose de capacités surabondantes
...........................................................
34
Conclusion et recommandations
..................................................................
35
Chapitre III : GIAT industries : des réformes trop tardives et
insuffisantes
...................................................................................................
37
I.
L’armement terrestre : une histoire ancienne
............................................
38
II.
GIAT industries : une gestation étirée sur plus de vingt ans
.....................
39
III. Depuis sa création, GIAT industries cherche vainement son équilibre
.....
40
Conclusion et recommandations
.....................................................................
49
Chapitre IV : La direction des constructions navales (DCN) : une
transformation à réaliser d’urgence
51
I.
La construction navale militaire : un secteur depuis longtemps étatique ..
52
II.
La DCN dispose de réels points forts
........................................................
56
III. Un secteur longtemps peu efficace et qui doit encore réussir la
modernisation de sa gestion
......................................................................
60
IV. Les autorités de tutelle n’ont pas tiré les enseignements de l’expérience
des autres arsenaux pour faire évoluer la DCN
........................................
76
Conclusion et recommandations
.....................................................................
94
Chapitre V : Conclusion générale
................................................................
97
Annexe
............................................................................................................
101
Réponses des administrations et organismes concernés
.............................
113
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DÉLIBÉRÉ
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La Cour des comptes publie, sous la forme d’un fascicule
séparé, un rapport concernant LES INDUSTRIES D’ARMEMENT
DE L’ETAT.
Conformément aux dispositions législatives et réglementaires
du code des juridictions financières, la Cour des comptes, délibérant
en chambre du conseil, a adopté le présent rapport public.
Ce texte a été arrêté au vu du projet qui avait été communiqué
au préalable, en totalité ou par extraits, aux administrations et
organismes concernés, et après qu’il a été tenu compte, quand il y
avait lieu, des réponses fournies par ceux-ci. En application des
dispositions précitées, ces réponses sont publiées ; elles engagent la
seule responsabilité de leurs auteurs.
Etaient présents : M. Logerot, premier président, MM. Marmot,
Berger, Mignot, Collinet, Delafosse, Gastinel, présidents de chambre,
MM. Blondel,
Fragonard,
Limouzin-Lamothe,
Zuber,
Capdeboscq,
Murret-Labarthe, Sallois, Carrez, Giquel, Mme Legras, MM. Bady,
Lagrave, Recoules, Kaltenbach, Mayaud, Devaux, Arnaud, Bayle,
Bouquet, Rémond, Mme Boutin, MM. Chabrol, Picq, Ganser, X-H.
Martin, Bertrand, Camoin, Monier, Mirabeau, Hernandez, Beaud de
Brive, Thérond, Mmes Froment-Meurice, Ruellan, MM. Mordacq, Briet,
Mme Bellon, MM. Gasse, Moreau, Duchadeuil, Moulin, Raynal, Thélot,
Steyer,
Lesouhaitier,
Lefas,
Mme Pappalardo,
MM. Brun-Buisson,
Lafaure, Attali, Banquey, Boillot, Diefenbacher, Braunstein, conseillers
maîtres, MM. Teyssier, Fernet, Lazar, conseillers maîtres en service
extraordinaire, M. Cieutat, conseiller maître, rapporteur général.
Etait présente et a participé aux débats, Mme Gisserot, procureur
général de la République, assistée de MM. Thouvenot et Michaut, chargés
de mission.
Mme de Kersauson, secrétaire générale, assurait le secrétariat de la
chambre du conseil.
N’a pas pris part aux délibérations M. Jean-Benoît Frèches.
Fait à la Cour, le 15 octobre 2001.
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Introduction
La Cour des comptes a entrepris depuis plusieurs années le
contrôle des dépenses d'équipement du Ministère de la défense.
En juin 1997, elle faisait part de ses constatations et de ses
recommandations relatives à la gestion budgétaire et à la programmation
de ces dépenses dans un rapport public particulier. En janvier 2000, elle
actualisait ses observations dans un chapitre du rapport public 1999 (pp.
45-79) et prolongeait dans le même document ses analyses et critiques
concernant la gestion des programmes d'armement ; huit de ceux-ci
étaient particulièrement étudiés (pp. 155-205).
Le présent rapport poursuit ces investigations en s'intéressant aux
structures de production qui ont été mises en place, depuis un passé
parfois très ancien, pour réaliser ou entretenir tout ou partie des matériels
objets des programmes d'armement et qui ont été placées sous la
responsabilité directe de l’administration, gérées de ce fait par des agents
de l’Etat. Cet outil industriel, composé d’établissements qui portaient
souvent
l’appellation
générique
d’arsenaux
ou
de
manufactures,
représente un investissement considérable financé au fil des ans sur les
crédits du ministère de la défense et demeure un employeur important. En
2000, il a occupé 31 500 personnes et réalisé un « chiffre d’affaires »
global de 22 MdF (3,35 Md€). Ce faisant, il ne représente qu’une partie
de l’industrie française d’armement, qui comprend des entreprises, soit
publiques (comme la SNECMA) soit privées (comme Thales, Dassault
Aviation et maintenant EADS), qui n’ont jamais eu le statut d’arsenal en
régie directe de l’Etat.
Ces
structures
de
production
doivent
être
impérativement
modernisées dans leur mode de gestion sous les plus brefs délais. Il y a
désormais urgence et il n'est plus possible de différer certaines décisions.
Mais cet outil est de grande valeur technique et humaine et il n'y a aucune
fatalité à ce qu'il accumule des pertes et se révèle non compétitif.
L'expérience a d'ailleurs prouvé que des réformes entreprises à temps,
pouvaient donner naissance à des structures efficaces. Les difficultés
d'aujourd'hui résultent largement des retards qui ont été accumulés dans la
modernisation du mode de gestion. Attendre plus longtemps ne ferait que
rendre plus douloureuses et onéreuses les conséquences des options à
prendre.
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Pour comprendre pourquoi l'Etat joue encore aujourd'hui de façon
directe le rôle d'un industriel de l'armement, situation sans équivalent en
Europe, un bref retour en arrière est indispensable.
Pour l'équipement des armées en matériels, armes et munitions,
l'Etat s'est doté au fil des siècles de capacités techniques et industrielles
propres qu'il était, pensait-on, le seul à pouvoir développer. L'apparition
de l'artillerie provoqua ainsi, dès le règne du roi Philippe VI, la signature
d'une charte destinée aux fabricants de poudres, qui fut à l'origine du
service des poudres. Les dix-septième et dix-huitième siècles virent la
création des grands arsenaux de la marine, Brest, Cherbourg, Lorient,
Rochefort, Toulon, ainsi que d'établissements dits "hors les ports"
spécialisés dans certaines catégories d'équipements navals (canonnerie à
Ruelle, ancres et chaînes à Guérigny, cordages à Rochefort). L'armement
terrestre suivit une évolution analogue, avec, par exemple, la création de
la manufacture d'armes de Saint-Etienne en 1764. La première guerre
mondiale rendit nécessaire un gigantesque effort en faveur de l'industrie
d'armement. C'est dans un cadre étatique que furent créés, en France
métropolitaine et en Afrique du Nord, des ateliers industriels de
l'aéronautique (AIA), spécialisés dans la réparation des matériels
aéronautiques, avant même qu’intervienne, en 1936, la nationalisation
d’un certain nombre de sociétés d’armement.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, l'Etat était donc
directement propriétaire d’une large gamme d’établissements couvrant les
études et fabrications dans les domaines suivants :
- les poudres et explosifs, pour la fabrication desquels il disposait
d'un monopole,
- l'armement terrestre, pour lequel une concurrence subsistait avec
certaines sociétés privées, tant dans le domaine des blindés légers
que dans celui de l'armement léger et des munitions,
- les constructions navales militaires, pour lesquelles on constatait
un monopole de fait en sa faveur, les capacités des chantiers
privés n'étant désormais plus utilisées que rarement et seulement
pour des bâtiments de faible tonnage
1
,
1 On se souvient cependant que la flotte dont disposait la France en 1939 avait été en
grande partie construite dans des chantiers privés.
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- les réparations de matériels aéronautiques dans les AIA de France
métropolitaine et d'Afrique du Nord
2
.
Mais les nouvelles technologies apparues depuis la guerre dans le
domaine des armements n'avaient fait l'objet que de développements tout
à fait exploratoires dans les établissements en régie directe de l'Etat, et
avaient été en règle générale transférées rapidement à des établissements
publics autonomes ou à des sociétés industrielles. Les études sur l'atome
militaire, commencées par une équipe de la direction des études et
fabrications d'armement, furent ainsi confiées au Commissariat à
l’énergie atomique (CEA). De même, les premiers travaux sur les
missiles tactiques entrepris par le laboratoire de recherches balistiques et
aérodynamiques de Vernon furent poursuivis par les sociétés nationales
Nord Aviation et Sud Aviation. Enfin, les activités liées aux programmes
de
missiles
balistiques,
ainsi
qu'aux
équipements
et
systèmes
électroniques, furent d'entrée de jeu confiées à l'industrie.
Durant les années soixante, la Délégation ministérielle pour
l'armement (DMA), nouvellement créée, procéda à une rationalisation de
ces structures dont elle assurait désormais la gestion, en fermant ou
reconvertissant de nombreux établissements. La tâche lui fut facilitée par
la conjoncture de plein emploi qui régnait alors et qui aida à résoudre les
problèmes sociaux soulevés par cette mutation. Il était relativement aisé
de provoquer la création d'unités industrielles nouvelles dans les villes
touchées par des fermetures. Mais ces restructurations demeurèrent
inachevées.
Si, dès 1970, la décision fut prise de transformer le Service des
poudres en Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), le capital
de celle-ci demeure pour le moment intégralement contrôlé par l'Etat. La
transformation en société nationale des arsenaux de la direction de
l'armement terrestre, envisagée dès le début des années 1970, ne fut
finalement réalisée qu'en 1991 par la création de la société GIAT
industries. Les arsenaux et établissements "hors des ports" dédiés à la
construction navale, regroupés au sein de la Direction des constructions
navales, ne changèrent, quant à eux, pas de statut. La direction des
constructions navales est encore aujourd'hui un service à compétence
nationale rattaché directement au Ministre de la défense. Le statu quo du
régime administratif est également maintenu pour les ateliers du service
de la maintenance aéronautique (SMA).
2 L'Arsenal de Châtillon, qui disposait de capacités de bureaux d'études aéronautiques
fut transformé dès 1951 en la société nationale SFECMAS, qui
devait devenir ensuite
une des composantes de Nord Aviation, puis d'Aérospatiale.
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La Cour étudie dans les pages qui suivent comment chacune de ces
quatre "entreprises" (au sens économique du mot), qui se trouvent à des
étapes différentes d’une même transformation, a pu évoluer et quels sont
les problèmes qu'elle rencontre aujourd'hui. L'évolution vers des
structures de société commerciale, sans être une réponse à toutes les
difficultés, n’est-elle pas
devenue une nécessité ? Dans quelle mesure
est-elle possible ? Comment obtenir la souplesse et la réactivité
nécessaires
à
l'exercice
efficace
d'activités
industrielles ?
Les
restructurations en cours en Europe ne rendent-elles pas indispensable la
conclusion d'alliances et de regroupements internationaux qui ne peuvent
se faire sans ce préalable ? Le rapport tente de répondre à ces questions.
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Chapitre I
La Société nationale des poudres et des
explosifs (SNPE) : une mutation réussie
et à poursuivre
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A côté de ses productions militaires, qui constituaient l’essentiel de
son activité, le service des poudres commercialisait des poudres et
explosifs à usage civil (poudres de chasse, explosifs industriels, etc.), au
titre d’un monopole qui avait été institué en… 1336. Mais ce monopole
était contraire aux dispositions du Traité de Rome, et son abandon fut
décidé dès la fin des années soixante. Il apparut alors souhaitable de
transformer la partie industrielle du service en société nationale, les
activités dites « étatiques » étant, elles, conservées au sein de la DMA
sous la forme d’un Service technique des poudres et explosifs.
Historique des Poudres
En 1336, Philippe VI octroie une charte aux fabricants de poudres
placés sous l’autorité du Grand Maître des Arbalétriers.
En 1665, Louis XIV crée la Ferme des Poudres et Salpêtres, dont la
charge est accordée par adjudication.
En 1775, Louis XVI, sur proposition de Turgot, remplace la Ferme,
qui ne donnait pas satisfaction, par une Régie spéciale des Poudres et
Salpêtres.
En 1791, cette régie spéciale prend le nom d’Agence des Salpêtres
et Poudres et, en 1797, la loi du 13 Fructidor An V institue le monopole
des poudres et explosifs. A partir de 1819, la régie est désignée sous le
nom de Service des Poudres et Explosifs de France.
En 1856, Napoléon III, coupant le service en deux, répartit ses
attributions entre le ministère de la Guerre et le ministère des Finances.
Mais, dès 1873, la troisième République rétablit le service dans son
intégrité, sous l'autorité du ministre de la Guerre. Puis la loi du 13 mars
1875 crée le corps spécial des ingénieurs des poudres.
Ce corps est militarisé en mars 1914, et, à partir de mai 1914, le
service s’appelle Service des poudres.
La première guerre mondiale est l’occasion d’une très forte
croissance des productions : ainsi, à titre d’exemple, 424 000 tonnes de
poudre B ont été produites d’août 1914 à novembre 1918.
La loi du 18 avril 1935 redéfinit les attributions du service ; pour
l'essentiel,
elle
s’appliqua
jusqu’à
la
création
de
la
Délégation
Ministérielle pour l’Armement en 1961, au sein de laquelle est créée une
direction des poudres.
L’origine des divers établissements du service des poudres est très
diverse. Certains remontent à plusieurs siècles. Ainsi, des moulins à
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poudre étaient-ils installés au bord de la Jalle de Saint-Médard dès 1660 ;
la poudrerie de Pont-de-Buis fut créée en 1688. Le dix-neuvième siècle vit
la création de l’établissement d’Angoulême (1820), de celui du Ripault
(fin du siècle). C’est à la guerre de 1914-1918 qu’on doit les installations
de Bergerac et de Pont-de-Claix.
A la suite de la loi n°70-575 du 3 juillet 1970 portant réforme du
régime des poudres et explosifs, la société nationale des poudres et
explosifs (SNPE) fut créée le 8 mars 1971, sous la forme d’une société à
conseil de surveillance et directoire.
Compte tenu de son influence depuis l’origine sur l’évolution de ce
secteur industriel, il n’est pas sans intérêt de rappeler rapidement ce que
fut le monopole des poudres et comment il évolua.
Le monopole des poudres
La loi du 13 Fructidor An V disposait que :
« la fabrication et la
vente des poudres continueront à être interdites à tous les citoyens autres
que ceux qui y seront autorisés par une commission spéciale de
l’administration des poudres ».
La jurisprudence, aussi bien du Conseil
d’Etat que de la Cour de cassation, étendit ensuite ce monopole à
l’ensemble des substances explosives.
Mais une dérogation substantielle à cette situation fut apportée par
une loi du 8 mars 1875, qui donna au secteur privé, sous réserve d’une
autorisation propre à chaque installation envisagée, la possibilité de
produire un explosif nouveau, destiné aux travaux de mines, et qui avait
été inventé quelques années auparavant, la dynamite. Le marché des
explosifs industriels se trouva dès lors partagé en pratique entre le secteur
privé pour les dynamites et explosifs à la nitroglycérine et le service des
poudres pour les explosifs nitratés et chloratés.
Une nouvelle difficulté surgit en 1950 au sujet d’un explosif
nouveau, chloraté, mais également « sensibilisé » à la nitroglycérine. Le
secteur privé ayant contesté au service des poudres la possibilité de
produire cet explosif, un arrêté ministériel partagea le marché par moitiés
entre les deux parties. D’autres problèmes surgirent ensuite : ainsi, en
1953, un arrêt du Conseil d’Etat indiquait-il :
« qu’à défaut d’une
autorisation législative expresse, la poudrerie de Sevran-Livry ne pouvait
régulièrement fabriquer des cartouches de chasse en vue de la vente au
public, alors que cette activité ne peut être regardée comme une annexe du
monopole des poudres établi par la loi du 13 fructidor An V ».
En fait, pour les activités ne relevant pas du monopole, la situation
du service des poudres était précaire, du fait notamment de l’existence de
la loi dite « d’Allarde », des 2 et 17 mars 1791, qui dispose que l’Etat,
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comme d’ailleurs les collectivités locales, ne peut exercer d’activité
commerciale, sauf :
- si l’exercice de l’activité commerciale est autorisé par la loi ou
constitue le complément normal d’une activité exercée licitement,
- s’il existe des circonstances particulières, telle une insuffisance de
l’initiative privée.
Il résultait de ceci que, par exemple le service des poudres
produisait de la poudre de chasse, mais pas les cartouches, ou des explosifs
industriels, mais seulement en vrac. De même, certaines productions furent
transférées au secteur privé : ainsi, des productions d’isocyanates à Rhône
Poulenc ou de pénicilline au laboratoire Roger Bellon.
La réforme du régime des poudres a de toutes façons été rendue
nécessaire par le traité de Rome, dont l’article 37 fait obligation aux Etats
membres de la Communauté économique européenne d’aménager les
monopoles nationaux à caractère commercial de façon à exclure toute
discrimination entre les ressortissants des Etats membres dans les
conditions d’approvisionnement et de débouché. Si un Etat membre peut,
en vertu de l’article 223-1, prendre les mesures qu’il estime essentielles à
sa sécurité (production et commerce d’armes, de munitions et de matériels
de guerre), ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la
concurrence en ce qui concerne les produits non liés à des utilisations
militaires.
A la fin de la guerre de 1939-1945, le service des poudres disposait
d’un nombre élevé d’établissements, dont les moyens industriels avaient
évidemment souffert :
- quatre établissements d’études et de recherches :
* le laboratoire central des poudres (LCP) à Paris,
* le centre d’études du Bouchet (CEB) en Seine et Oise,
* le laboratoire de la commission des substances explosives
(CSE)
* et le laboratoire de balistique, à Sevran-Livry en Seine et
Oise,
- onze établissements de production, sis à Angoulême, Bergerac,
Esquerdes
(Pas-de-Calais),
Pont-de-Buis
(Finistère),
Pont-de-Claix
(Isère), le Ripault (Indre et Loire), Saint-Chamas (Bouches du Rhône),
Saint-Médard (Gironde), Sevran-Livry, Sorgues (Vaucluse), Toulouse,
Vonges (Côte d’Or).
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Il comprenait également sept parcs de stockage, et une quinzaine
d’établissements en sommeil (installations dites « réservées »).
Entre 1945 et l’année 1970, date de création de la SNPE, un travail
considérable de rationalisation fut mené à bien.
Dès le début des années soixante, deux établissements du service
des poudres furent cédés : les poudreries du Ripault (louée au CEA) et de
Pont-de-Claix.
En 1968, un plan défini par la Direction des poudres dans le cadre
des réflexions préalables au changement de statut préconisait la
concentration
des
activités
industrielles
dans
six
établissements
seulement :
- les activités de recherche au centre d’études du Bouchet,
- les activités relatives aux poudres à Bergerac, Angoulême et
Saint-Médard,
- les activités liées aux produits chimiques et aux explosifs à
Sorgues et Vonges.
Un additif à ce plan, réalisé en 1969, recommandait la fermeture
complémentaire de la poudrerie d’Angoulême, avec transfert de ses
activités à Bergerac et Saint-Médard.
C’est ce plan de 1968 complété par l'additif de 1969 qui servit de
base à la transformation en société nationale, conduite en 1970 par la
Délégation Ministérielle pour l’Armement.
I
La création de la SNPE
A
Les établissements apportés à la nouvelle société
A la création de la SNPE, seuls furent apportés à la nouvelle
société les établissements suivants : le centre de recherches du Bouchet ;
les poudreries de Bergerac, Saint-Médard, Sorgues et Vonges ; le siège
parisien du Quai Henri IV. Les autres établissements des Poudres, qui
devaient être reconvertis après transfert de leurs activités dans les
établissements apportés, furent donnés en location à la SNPE. Il s’agissait
des poudreries d’Angoulême, de Pont-de-Buis, de Saint-Chamas et de
Toulouse.
16
C
OUR DES COMPTES
Du fait d’un réexamen à la hausse des charges de travail de la
société, et aussi d’interventions politiques en faveur des établissements
menacés, une partie de la poudrerie de Toulouse, et les établissements de
Pont-de-Buis et Angoulême furent apportés à la société en 1973 et 1975.
Les poudreries d’Esquerdes, Saint-Chamas et le centre de Livry-Gargan
furent progressivement fermées, si bien qu'au total, à l’achèvement du
plan de restructuration industrielle du Service des poudres, la SNPE se
trouva disposer, outre son siège social, quai Henri IV à Paris d’un seul
centre de recherche au Bouchet et de sept établissements de production :
Angoulême, Bergerac, Pont-de-Buis Saint-Médard, Sorgues, Toulouse et
Vonges.
Par rapport aux années qui avaient suivi la seconde guerre
mondiale, le nombre d’établissements en activité avait ainsi été divisé par
deux. Ce rappel historique montre que la détermination de la liste des
établissements à conserver, et donc de celle des établissements à
reconvertir, a fait l’objet de beaucoup de réflexions et de prises de
positions contradictoires. Le souci des futurs responsables de l’outil
industriel de ne pas surdimensionner ce dernier a dû tenir compte du
souci des autorités locales de maintenir des activités. L’histoire devait
montrer par la suite que ce dimensionnement initial de la société avait été
dans l’ensemble judicieux.
B
Les activités de la SNPE à sa création
Vers la fin des années soixante, les activités civiles, exportations
comprises, représentaient environ 40 % du chiffre d’affaires total.
Certaines d’entre elles relevaient du monopole
3
des poudres évoqué ci-
dessus : il s’agissait essentiellement d’explosifs industriels, de poudre
noire et de poudre T ; d’autres, en revanche, étaient dans le secteur
concurrentiel de la chimie : elles relevaient essentiellement de quatre
familles de produits (nitrocellulose, dérivés du méthanol, produits
organiques nitrés, phosgène et dérivés) utilisés pour des applications
diverses : poudres et explosifs, synthèse organique, peintures et vernis,
pharmacie, phytosanitaire.
Les
activités
militaires,
prépondérantes,
comprenaient
essentiellement les propergols solides équipant les différents missiles
3 En 1972, le chiffre d’affaires civil sous monopole a été de 65 MF (9,91M€), soit
18 % du chiffre d’affaires total, partagé à part à peu près égales entre explosifs
industriels (25 MF, soit 3,81 M€), nitrocelluloses (23 MF, soit 3,51 M€) et poudres de
chasse (17 MF, soit 2,59 M€).
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aussi bien balistiques que tactiques, les poudres et explosifs à usage
militaire et des dispositifs pyrotechniques.
C
L’intégration dans la nouvelle société des
personnels ouvriers du service des poudres
A la création de la société, au 1
er
octobre 1971, les ouvriers d’Etat
furent mis à sa disposition, sur place, pour une durée d’un an, avec
maintien de leur statut.
A l’issue de cette période, ils eurent à choisir entre deux
possibilités :
- le maintien à la disposition de la société avec conservation du
statut d’ouvrier d’Etat,
- le recrutement par la société dans les conditions du droit du
travail, avec bénéfice des décrets du 27 août 1962 et du 30 juillet
1970.
En pratique, plus de 80 % des ouvriers âgés de plus de 50 ans
optèrent pour le recrutement par la SNPE. Ils bénéficiaient en effet d’une
pension de retraite majorée, à jouissance immédiate et cumulable avec la
rémunération versée par la SNPE. En revanche, plus de 80 % des ouvriers
de moins de 30 ans préférèrent conserver leur ancien statut, en raison des
avantages de retraite qu’ils en attendaient à terme et en dépit des primes
de licenciement non négligeables qui leur étaient offertes s’ils optaient
pour le changement de statut. De ce fait, les deux catégories de
personnels ouvriers coexistèrent pendant plus d’un quart de siècle au sein
de la société. Il n'est pas besoin de souligner les inconvénients qu’une
telle situation comporte, la comparaison permanente par chacune des
deux populations des avantages et inconvénients de chaque statut et le
risque de surenchère qui en résulte. On doit mentionner qu’une clause
d’une convention entre l’Etat et la SNPE stipulait que cette société
pouvait, sans limitation de durée, demander à l’Etat de reprendre dans ses
établissements les ouvriers sous statut dont elle estimait n’avoir plus
l’emploi. Cette possibilité fut longtemps utilisée avec retenue, puis, à la
fin des années quatre-vingt, plus systématiquement : les établissements de
la DGA se virent alors « offrir » des personnels dont ils n’avaient nul
besoin, et, au demeurant, bien difficiles à réemployer utilement.
Le cas de la SNPE montre que les problèmes posés par le statut des
ouvriers d’Etat n’avaient pas échappé aux responsables de la création de
la SNPE, mais que ceux-ci n’avaient guère su lui apporter une réponse
vraiment satisfaisante pour l’entreprise.
18
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OUR DES COMPTES
II
L’évolution de la société depuis sa création
A
Les activités se sont progressivement modifiées
Le
chiffre d’affaires
du groupe a été en croissance permanente
4
de 1972 à 1999 :
- en francs courants, il est passé de 358 MF (54,58 M€) à
5 534 MF (843,65 M€). En francs de 1999, ces mêmes valeurs
s’établissent respectivement à 1 906 MF (290,57 M€) et 5 534 MF
(843,65 M€). En volume, le chiffre d’affaires a donc été presque triplé.
Cette croissance s’est effectuée de façon relativement régulière au fil des
années, avec cependant deux plateaux de stagnation, d’abord dans les
années 1986 à 1989, puis dans les années 1992 à 1997 ;
- le chiffre d’affaires militaire s’établit à 192 MF (29,27 M€) en
1972 (soit 1 020 MF, ou 155,50 M€, en francs de 1999) et à
1 901 MF (289,81 M€) en 1999. Mais en fait, cette dernière valeur, qui
est celle du Département défense-espace, comprend 870 MF (132,63 M€)
de chiffre d’affaires civil lié au développement du lanceur Ariane V. Le
chiffre
d’affaires
militaire
véritable
de
1999
est
donc
de
1 031 MF (157,17 M€) seulement. Sur la vie de la société, le chiffre
d’affaires militaire, qui avait d’abord crû, jusqu’à plafonner à
2,60 MdF (0,40 Md€) (en francs de 1999) en 1983, a ensuite décru de
façon permanente, jusqu’à revenir en 1999 à son volume de départ.
-
le
chiffre
d’affaires
civil
est
quant
à
lui
passé
de
777 MF (118,45 M€) (en francs de 1999) à 2 633 MF (401,40 M€) en
1999 ; il a donc été plus que triplé en volume.
4 En 2000, il s’est toutefois contracté à 5 389 MF (821,55 M€) (- 2,6 % par rapport à
1999) , pour tout un ensemble de raisons conjoncturelles : échec commercial de
certains médicaments, annulations ou reports de commandes dans le domaine de la
défense, accident sur une installation de l’usine de Sorgues, décision de fermer le site
d’Angoulême.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
19
En 2000, la ventilation des ventes par grands secteurs d’activité a
été la suivante :
En MF
En Euros
En %
Pharmacie
Agrochimie
Peintures/vernis/encres
Cosmétiques
Divers intermédiaires et Chimie
Missiles et divers Aéronautique
Armement terrestre
Espace
Sécurité automobile
Loisirs (y compris chasse)
Carrières, travaux publics
Divers
798
777
686
212
602
703
312
320
213
73
345
347
121
118
105
32
92
107
48
49
32
11
53
53
14,8
14,4
12,7
3,9
11,2
13,1
5,8
5,9
4,0
1,4
6,4
6,4
Total
5 389
821
100,0
En termes d’activité, le groupe SNPE, dont la vocation et les
activités principales étaient tournées à l’époque de sa création vers le
domaine militaire, est devenu maintenant à vocation civile fortement
majoritaire (plus de 70 % du chiffre d’affaires en 2000).
Dans le domaine de la chimie fine en particulier, le groupe SNPE
a, non sans habileté, tiré parti de ses compétences dans certains domaines
présentant des risques mécaniques ou de toxicité pour développer, par des
procédés tels que la phosgénation, l’hydrogénation ou la nitruration, la
production de molécules complexes utilisées dans les industries
pharmaceutiques ou agro-alimentaires. La croissance externe (rachat de
petites sociétés créées pour exploiter une niche particulière) a été
largement utilisée à cet effet. D’autres axes de développement, plus
récents, tels les peptides, sont moins spécifiques des compétences
traditionnelles de SNPE ; ils représentent cependant des potentialités
notables en France et à l’étranger.
Ainsi, à la fin 2000, les activités de la SNPE sont organisées en
huit unités opérationnelles, regroupant les sites de production et les
filiales, et intervenant dans deux domaines distincts :
-
la chimie fine
, qui regroupe la pharmacie, l’agrochimie, les
intermédiaires, les nitrocelluloses ;
-
les matériaux énergétiques
, avec les poudres et explosifs, la
propulsion tactique, les explosifs civils.
20
C
OUR DES COMPTES
Description des unités opérationnelles du groupe SNPE
La chimie fine
SNPE Agro, l’unité opérationnelle d’agrochimie du groupe,
possède des compétences dans la chimie fine multi-étapes, fondées sur les
technologies de base du groupe (nitration, hydrogénation, phosgénation),
qui lui permettent de prendre en charge les différentes étapes de
production d’une nouvelle molécule active.
SNPE Chimie utilise elle aussi les technologies de base ci-dessus
pour promouvoir des activités de développement, de production et de
commercialisation des dérivés organiques intermédiaires destinés à de
nombreux secteurs industriels : polymères, additifs pétroliers, carburants
spatiaux, optique, cosmétiques, solvants, colorants, industrie alimentaire,
etc.
ISOCHEM, filiale à 100 %, regroupe l’ensemble des compétences
relatives à l’industrie pharmaceutique. Elle dispose d’une compétence
dans la maîtrise des grandes réactions de la synthèse organique ; elle est
également un acteur significatif dans le domaine des acides aminés et des
procédés de synthèse multi-étapes.
BERGERAC NC est spécialisée dans la conception et la fabrication
de nitrocelluloses industrielles utilisées pour la fabrication de peintures, de
vernis, encres d’imprimerie, bases pour vernis à ongles, ainsi que des
poudres militaires et civiles.
Les matériaux énergétiques
L’unité opérationnelle poudres et explosifs dispose d’une gamme
complète de produits énergétiques pour la production de munitions et de
dispositifs pyrotechniques à usage militaires ou industriels.
La division préparation du futur et propulsion détient une double
expertise,
scientifique
d’abord
dans
le
domaine
des
matériaux
énergétiques, d’application ensuite dans les domaines de la propulsion des
missiles stratégiques, de la propulsion spatiale (directement ou à travers la
filiale
guyanaise
Régulus),
des
systèmes
pyrotechniques
(avec
Pyroalliance), des propergols pour la sécurité automobile et des matériaux
composites de haute performance (avec STRUCTIL).
Dans le domaine de la propulsion tactique, CELERG, filiale
détenue à 50 % par SNPE et EADS, constitue un pôle spécialisé dans
l’étude et la production des moteurs destinés aux systèmes d’armes
tactiques et aux missiles de croisière.
NOBEL EXPLOSIFS France, l’unité opérationnelle pour les
explosifs civils, consacre l’essentiel de son activité à la fabrication
d’explosifs industriels. Ses filiales DMC (USA) et NOBELCLAD sont
spécialisées dans l’assemblage des tôles par explosifs.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
21
Le groupe a pris sa physionomie actuelle du fait d’une double
évolution :
- une politique de diversification a d’abord conduit le groupe, par
croissance interne et externe, à élargir notablement la palette de ses
activités. La décision de se recentrer sur les deux métiers actuels est
venue ensuite. Divers métiers ont ainsi été abandonnés, soit parce qu’ils
ne correspondaient plus à la stratégie du groupe, soit parce qu’ils avaient
conduit à des échecs. Tel fut le cas des activités d’ingénierie (ventes
d’usines clés en main), héritées de l’ancien Service des poudres, et qui
n’avaient jamais été très bénéficiaires, des extensions dans le domaine des
composites qui furent dans l’ensemble un échec technique et financier, de
la sécurité automobile (partenariat dans la société LIVBAG avec le
Suédois
AUTOLIV,
un
succès
technique
et
financier,
auquel,
malheureusement le rachat d’AUTOLIV par le concurrent américain
MORTON mit un terme) et des activités dans le domaine de la chasse (en
cours de cession au groupe Cheddite).
- actuellement, l’expansion se fait principalement dans le domaine
de la chimie, avec l’objectif de conforter le groupe dans ses « niches », ou
de lui permettre d’accéder à de nouveaux marchés grâce à des
implantations locales.
B
Les effectifs sont globalement restés assez stables,
mais avec de profondes modifications site par site
Les effectifs du groupe SNPE depuis sa création jusqu’à
aujourd’hui ont évolué suivant plusieurs phases distinctes :
- de 1972 à 1985, ils ont crû régulièrement, de 5 150 à 7 825 ;
- de 1985 à 1997, ils ont au contraire décru continûment (sauf
pendant une brève période, de 1989 à 1991) pour s’établir à
5 161 en 1997 ;
- depuis cette date, ils ont recommencé à croître très lentement
pour atteindre 5 373 personnes fin 2000.
Ainsi, en presque trois décennies d’existence, SNPE n’a certes pas
créé beaucoup d’emplois, mais le résultat global obtenu dans ce domaine
est loin d’être défavorable, eu égard aux évolutions observées sur la
même période dans beaucoup de branches industrielles.
Ce résultat d’ensemble recouvre évidemment des évolutions très
différentes des diverses sous-catégories de personnels qui constituent
l’effectif du groupe :
22
C
OUR DES COMPTES
- en mars 2000, l’effectif de SNPE SA, qui, à l’origine constituait
l’essentiel de l’effectif du groupe, n’en représente plus, avec 2 283
personnes sur 5 489, que 42 % ;
- tous les personnels de SNPE SA sont localisés sur les sites
d’origine du groupe. Sur ces mêmes sites, 1547 personnes relèvent
maintenant de filiales du groupe, soit que des activités précédemment
réalisées au sein de la société mère aient été filialisées, soit que des
activités nouvelles aient été implantées. Au total, les personnels sur les
sites d’origine de la société sont au nombre de 3 830, soit une baisse de
25 % sur la période ; ils ne représentent plus que 71 % de l’effectif total
de la société.
C
Des résultats financiers dans l’ensemble
honorables
Les chiffres clés consolidés du groupe SNPE sont les suivants, de
1993 à 2000 :
en MF
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
Chiffre d’affaires
4 159
4 343
4 379
4 596
4 884
5 209
5 534
5 389
Résultat courant
-125
123
143
143
210
251
271
97
Résultat net
-317
142
29
39
50
95
171
42
Investissements corporels
285
203
287
330
372
550
673
565
R&D (en % du CA)
17
16
15
14
10
10
10
10
CAF
48
433
415
414
418
465
513
376
Endettement net
1 484
1 162
1 221
1 289
1 192
1 480
1 868
2 462
Le
chiffre d’affaires
en volume a triplé depuis la création de la
société jusqu’en 1999. En 2000, il baisse légèrement, du fait de la
déconsolidation des activités « Chasse et tir », de divers phénomènes
conjoncturels (reports de commandes militaires, accident dans un
établissement, effets de la tempête de décembre 1999, etc.) et de l’échec
commercial de nouvelles molécules.
La
capacité d’autofinancement
a connu une évolution moins
régulière que le chiffre d’affaires. Son évolution depuis l’origine de la
société permet de distinguer trois périodes :
- pendant les dix premières années d’existence de la société, la
CAF a été en croissance régulière, passant en francs courants de
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
23
51 MF (7,77 M€) en 1972 à 300 MF (45,73 M€) en moyenne de
1981 à 1984 ;
- de 1985 à 1993, l’évolution de la CAF a été erratique, avec trois
années très mauvaises : 1985, 1991 et surtout 1993, où, pour la
seule fois de son existence, le groupe n’a eu qu’une CAF
faiblement positive (48 MF, ou 7,32 M€), mais avec une CAF
négative de 65 MF (9,91 M€) pour la maison mère ;
- à partir de 1994, la CAF remonte pour s’établir à des valeurs
progressivement croissantes de 420 MF (64,03 M€) environ aux
alentours de 510 MF (77,75 M€) en 1999, pour décroître à
376 MF (57,32 M€) en 2000.
Le
résultat net
est constamment positif depuis 1994, avec une
moyenne de l’ordre de 80 MF (12,20 M€), une tendance générale à la
croissance jusqu’en 1999, exercice où un maximum de 171 MF
(26,07 M€) est atteint, puis, pour les raisons indiquées ci-dessus, une
baisse à 41 MF (6,25 M€) en 2000.
De 1997 à 2000, les diverses branches d’activité ont obtenu les
résultats sectoriels courants
variables. Les secteurs qui dégagent le
maximum de résultats sont Futur et Propulsion, Intermédiaires et
Agrochimie, Pharmacie et Explosifs civils. Poudres et explosifs et
Propulsion tactique sont les seuls négatifs.
Les
investissements corporels
, en croissance constante depuis
1993, ont été particulièrement élevés sur les trois derniers exercices,
1 788 MF (272,58 M€) au total.
L’
endettement net
, qui, de 1994 à 1997, était resté stable aux
alentours de 1 200 MF (182,94 M€), est reparti à la hausse depuis : sur les
trois derniers exercices, il est passé de 1 480 MF, ou 0,23 Md€, à
2 460 MF, ou 0,38 Md€. Il atteint maintenant un niveau important. En
2000, il est presque égal à une fois et demie le montant des fonds propres.
Ainsi, sans être inquiétante, la situation financière de la société
n’est cependant pas florissante.
III
La situation actuelle et les perspectives
de la SNPE
La SNPE se présente actuellement comme un groupe ayant deux
types
principaux
d’activités
nettement
distincts :
les
matériaux
énergétiques et la chimie fine.
24
C
OUR DES COMPTES
Elle s’est progressivement recentrée sur ces deux métiers, en
cédant des activités non fondamentales pour elle (chasse, sécurité
automobile ; les explosifs industriels pourraient suivre : c’est un domaine
lucratif, mais sans expansion possible) et en resserrant son dispositif pour
prendre
en
compte
la
baisse
de
certains
marchés :
fermeture
d’Angoulême, arrêt de la fabrication de l’octogène et de la tolite.
Mais elle arrive aujourd’hui à la croisée des chemins :
- l’industrie des matériaux énergétiques est trop morcelée en
France et en surcapacité en Europe,
- le secteur chimie fine de la SNPE ne peut survivre qu’en se
développant,
- son endettement élevé lui interdit de poursuivre la politique de
croissance externe conduite ces dernières années.
D’où l’intérêt des rapprochements actuellement en cours d’examen
dans le cadre :
- de l’opération Herakles, qui réunirait les activités Défense Espace
de SNPE et les activités missiles balistiques et espace de la
SNECMA,
- de l’opération New CELERG, qui réunirait les capacités
techniques et industrielles françaises, britanniques et peut-être
allemandes, dans le domaine de la propulsion des missiles
tactiques,
- de l’opération PECO, qui réunirait des capacités françaises,
suisses et allemandes dans le domaine des poudres et explosifs
militaires,
- enfin, d’un rapprochement, sous une forme à définir, entre la
SNPE et un industriel judicieusement choisi du secteur de la
chimie fine.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
25
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
__________
Créée dès le début des années 70, la SNPE, dont les activités
étaient à l’origine pratiquement en totalité militaires, a su et pu se
diversifier intelligemment par une politique de « niches » dans le
domaine civil. Actuellement, les deux tiers de son activité et une grande
partie de son résultat sont d’origine civile. Au prix de neuf plans sociaux
successifs, elle a adapté son effectif à la charge prévisible dans chaque
établissement. Aujourd’hui, elle occupe le même effectif global qu’à sa
création, mais elle n’emploie plus d’ouvriers d’Etat, les derniers ayant
pris leur retraite.
Sans coup d’éclat, mais sans non plus demander d’effort financier
particulier à son actionnaire autre qu’une augmentation de capital de
300 MF (45,73 M€) en 1993, la SNPE s’est donc transformée de façon
somme toute satisfaisante :
- la société a été créée à une époque où le marché militaire était
encore suffisamment porteur pour permettre aux activités civiles de
monter en puissance et d’en prendre progressivement le relais. Dans le
domaine de la chimie fine, la société a su habilement jouer sur les
compétences
dont
elle
disposait,
relativement
à
des
processus
mécaniquement dangereux ou toxiques (hydrogénation, phosgénation ou
nitration) ;
- l’outil industriel avait été calibré au préalable, seules les
poudreries ayant un avenir industriel réel ont été apportées à la société,
- à l’exception notable des matériaux composites, les axes de
diversification choisis ont dans l’ensemble été judicieux.
L’avenir de la SNPE n’est pourtant pas sans poser de questions.
Elle reste un petit groupe, qui n’a pu trouver à ce jour de partenaire
industriel ni en France, ni en Europe. Et continuer dans la voie de
l’autonomie nécessiterait sans doute des apports en capital que l’Etat
actionnaire n’est pas prêt à consentir facilement. Il convient donc de
chercher pour chacun des deux secteurs principaux de l’entreprise, civil
et militaire, des partenariats permettant de pallier ces handicaps. Tel
paraît être le sens des rapprochements avec une autre entreprise
française du secteur public (SNECMA) pour les activités militaires et
avec une entreprise à déterminer pour les activités civiles que la SNPE
étudie actuellement, à la demande de ses autorités de tutelle. Les activités
militaires et spatiales de la SNPE et de la SNECMA, longtemps
26
C
OUR DES COMPTES
coordonnées par une structure paritaire, le GIE G2P
5
pour ce qui
concerne les activités militaires, ont de larges domaines connexes sinon
communs, et une rationalisation de ces activités présenterait de grands
avantages.
Il est de l’intérêt de la SNPE comme de l’Etat de mener à bonne
fin
les
tentatives
de
restructuration
en
cours.
Il
s’agit
des
rapprochements :
- des activités spatiales et militaires de la SNPE et de la
SNECMA, étape intermédiaire vers une restructuration plus ample,
nationale ou européenne, dans laquelle l’Etat devrait continuer à jouer
un rôle important par sa politique et ses programmes d’achat,
- et, sous une forme à déterminer, des activités civiles de la SNPE
avec un industriel du secteur convenablement choisi. Cette dernière
opération devrait être conduite avec le souci d’assurer l’avenir de cette
activité, ce qui peut poser la question de son maintien dans le
patrimoine de l’Etat.
5 Groupement pour les Gros Propulseurs.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
27
Chapitre II
Le service de la maintenance
aéronautique (SMA) : une évolution
nécessaire
28
C
OUR DES COMPTES
La création en France de capacités industrielles de réparation
aéronautique sous la main directe de l’Etat date de l’immédiat avant-
guerre 1939-1945.
Historique de la maintenance aéronautique
En mars 1934, fut prise la décision de principe de créer des ateliers
régionaux de réparation du matériel aérien (ARRMA), dont la localisation
était choisie dans le centre ou le sud de la France (Bordeaux, Limoges,
Clermont-Ferrand, Toulouse) ou en Afrique du Nord (Casablanca, Alger,
Blida), pour les mettre hors de la portée des bombardiers allemands à long
rayon d’action. Les ARRMA deviennent ateliers de réparation de l’armée
de l’air (ARAA) par décret d’octobre 1938.
En 1937, est créé à Toulon un service chargé de l’entretien des
hydravions.
En 1941, l’ARAA de Limoges est cédé à la société Gnôme et
Rhône.
L’atelier de Toulouse fut fermé en 1945, alors même que les
ateliers maintenus en activité étaient rattachés, sous le nom d’ateliers
industriels de l’aéronautique (AIA), à la direction technique et industrielle
de l’aéronautique nouvellement créée. L’AIA de Bordeaux était spécialisé
dans les moteurs, celui de Clermont-Ferrand dans les cellules, les
équipements, ainsi que dans des chantiers d’avions spéciaux.
En juin 1962, les AIA d’Afrique du Nord furent fermés, leurs
moyens industriels et une large partie de leurs personnels furent répartis
sur les AIA de métropole, Bordeaux et Clermont-Ferrand.
En 1972, les deux AIA de Bordeaux et Clermont-Ferrand virent
leurs activités retracées dans le compte de commerce n° 904-03
« Exploitation industrielle des ateliers aéronautiques de l’Etat »
Le 1
er
janvier 1992, la sous-direction aéronautique de l’arsenal de
Toulon, qui exerçait des fonctions analogues à celles des AIA pour des
matériels de l’aéronautique navale fut rattachée à la direction des
constructions aéronautiques, sous le nom d’AIA de Cuers-Pierrefeu.
En 1997, les trois AIA furent rattachés au service de la maintenance
aéronautique (SMA) nouvellement créé sous l’autorité du délégué général
pour l’armement.
En France, le secteur de la maintenance aéronautique industrielle
civile et militaire représente environ 15 000 personnes pour un chiffre
d’affaires d’environ 10 MdF (1,52 Md€).
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
29
La réparation aéronautique civile et militaire en France
En dehors des établissements du ministère de la défense (SMA et
ARAA), le secteur industriel de la réparation aéronautique comprend
essentiellement :
- des constructeurs, soit directement (Eurocopter, Turboméca, la
plupart des équipementiers), soit par l’intermédiaire de filiales spécialisées
(principalement Sogerma pour EADS et Sochata pour SNECMA). Leur
présence témoigne de leur intérêt pour le secteur, pour diverses raisons :
intérêt commercial en termes de chiffre d’affaires et de marges, surtout
dans le domaine des rechanges ; lissage dans la charge de travail globale
des à-coups dus aux fluctuations des commandes de matériels neufs ;
meilleur suivi technique du matériel après utilisation ; contact maintenu
avec les clients.
- des compagnies aériennes, qui, si l’importance de leur flotte le
justifie, voient un avantage économique à posséder leur propre outil
industriel. Ainsi, Air France est dotée d’une puissante structure, Air
France Industrie, qui travaille au profit de la compagnie elle-même, mais
également pour des clients extérieurs.
En Europe, la situation de la réparation aéronautique militaire est
très diverse d’un pays à l’autre les travaux de l’espèce pouvant être
confiés à des établissements d’Etat, à une agence spécialisée, ou même à
l’industrie privée.
La réparation aéronautique militaire en Europe
En
Allemagne
, un commandement des groupements logistiques
aéronautiques, équivalent aux établissements de l’armée de l’air française
(ARAA d’Ambérieu et Mérignac) et du SMA, coordonne les activités de
maintenance militaire. Ces groupements, dont l’effectif total est d’environ
12 000 personnes, dont la moitié de civils, assurent environ le quart des
besoins en maintenance industrielle. Le reste est confié à l’industrie privée
(EADS ex-DASA).
Au
Royaume-Uni
, une agence spécialisée, la DARA (Defense
aviation repair agency) a été créée en 1999. D’un effectif de 7000
personnes, et répartie sur trois sites, elle effectue la maintenance de la
plupart des appareils de la Royal Air Force et de la Royal Navy (Tornado,
Harrier, Hawk, Jaguar, Lynx, Chinook, Sea King, Gazelle) ; elle travaille
également pour l’exportation sur des matériels d’origine britannique.
30
C
OUR DES COMPTES
L’Espagne
possède une organisation similaire à l’organisation
française, avec une maintenance industrielle assurée, pour l’essentiel, dans
des ateliers spécialisés.
Le Portugal
dispose d’un atelier de maintenance, l’OGMA, qui
assure notamment la maintenance des C130 Hercules de l’OTAN ; il est en
train de le privatiser.
La Belgique
confie la maintenance de sa flotte militaire
au secteur
privé, en l’occurrence SABCA (filiale de Dassault Aviation) pour les
cellules et Techspace Aéro (filiale de SNECMA) pour les moteurs
En conformité avec leur vocation initiale, les trois AIA consacrent
la quasi-totalité de leur potentiel à la réparation au stade industriel des
matériels des armées françaises, armée de l’air principalement, mais aussi
marine nationale (avions et hélicoptères de l’aéronautique navale), armée
de terre (hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de terre) et
Délégation Générale pour l’Armement (matériels aériens du centre
d’essais en vol).
I
Une activité en baisse constante depuis deux
décennies
Depuis deux décennies, l’activité des AIA est en baisse constante,
comme le montre le tableau suivant :
en milliers d’heures
1980
1985
1990
1995
2000
% 1980-2000
/1980
AIA Bordeaux
Charge interne
Charge s/traitée
Charge totale
1 305
155
1 460
1 158
110
1 268
1 117
213
1 330
978
72
1 050
887
53
940
- 35 %
AIA Clermont-
Ferrand
Charge interne
Charge s/traitée
Charge totale
1 502
233
1735
1 478
289
1 767
1 389
278
1 667
1 214
104
1 318
1 182
64
1 246
- 28 %
AIA Cuers
Charge totale
1 238
1 266
1 178
930
860
- 30 %
En 2000, la charge totale a baissé, par rapport à 1980, de 35 %
pour l’AIA de Bordeaux, de 30 % pour l’AIA de Cuers et de 28 % pour
l’AIA de Clermont-Ferrand. Pour Bordeaux et Clermont-Ferrand, les
deux seuls établissements pour lesquels cette donnée est disponible, on
note une quasi-disparition de la charge sous-traitée.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
31
Cette baisse résulte pour l’essentiel du fait que les AIA réparent
des matériels vieillissants, progressivement retirés du service
6
, la relève
n’étant assurée que très incomplètement par des matériels plus récents
7
.
Pour tout un ensemble de raisons ceux-ci procurent moins de charges de
réparation : diminution du volume des flottes aériennes, accroissement de
la fiabilité des matériels, nouvelles méthodes de réparation plus économes
en main d’oeuvre. Cette tendance va se poursuivre dans les années
ultérieures ; elle risque même de s’amplifier si de nouvelles méthodes
d’achat de matériels neufs, fondées sur un coût à l’heure de vol, venaient
à être utilisées à une plus grande échelle.
II
Cette baisse se poursuivra dans les années
à venir
Dans les prévisions qu’il donne jusqu’en 2004, le SMA indique
une quasi-stabilité de la charge totale, qui, pour l’ensemble des trois
établissements fluctuerait autour de 3 100 milliers d’heures par an.
Mais d’autres sources donnent des indications différentes. Ainsi,
une étude présentée au ministre de la défense lors d’une séance du
Conseil général de l’armement tenue en septembre 2000 prévoit-elle que,
de 2000 à 2008, l’activité continuera à décroître. Ainsi :
- pour l’AIA de Bordeaux, elle passerait de 900 milliers d’heures
en 2000 à 750 en 2008 ; pour l’AIA de Clermont-Ferrand, de
1 200 à 850 ; pour l’AIA de Cuers, de 850 à 550 ;
- globalement, pour le SMA, la charge passerait donc de
3 000 milliers d’heures en 2000 à 2 100 en 2008, soit une
nouvelle baisse de 30 %.
III
Une baisse corrélative des effectifs
Face à cette baisse de l’activité, les AIA ne peuvent lutter contre la
sous-charge que par une réduction des effectifs ou la recherche de clients
autres que le ministère français de la défense. C’est ce qui a été fait
jusqu’à présent.
6 Ainsi, entre 2000 et 2008, les Jaguar, Super Etendard et Lynx seront retirés du
service, et l’activité Transall baissera fortement.
7 Notamment le moteur M88 du Rafale, le Hawkeye et l’hélicoptère Dauphin/Panther.
32
C
OUR DES COMPTES
Ainsi, les effectifs ont évolué comme suit depuis 1980 :
1980
1985
1990
1995
2000
% 2000/1980
AIA de Bordeaux
Ouvriers
Total
1 050
1 392
1 049
1 421
956
1 351
847
1 235
735
1 057
- 25 %
AIA de Clermont-
Ferrand
Ouvriers
Total
1 113
1 491
1 104
1 507
1 062
1 454
995
1 377
934
1 295
- 13 %
AIA de Cuers
Ouvriers
Total
1 255
1 344
1 140
1 237
983
1 102
956
1 158
750
966
- 28 %
De 2001 à 2004, le SMA prévoit que ses effectifs diminueront de
140 personnes, de 3 313 à 3 163 personnes. On approcherait d’un effectif
total limité à 3 000 personnes, alors qu’au début des années 70, époque où
ils étaient à leur volume maximum, ils en employaient environ 4 500.
Mais cette évolution à la baisse finira par trouver ses propres
limites :
- l’âge moyen des personnels augmente inexorablement, et
certaines spécialités, pourtant nécessaires, peuvent venir à
manquer,
- au fur et à mesure que la taille d’un établissement industriel
diminue, le poids relatif de la structure d’encadrement s’accroît
par rapport à celui de l’appareil productif proprement dit, tandis
que les autres charges fixes, les amortissements notamment,
pèsent davantage sur un nombre d’heures productives moindre.
La compétitivité ne peut donc que se détériorer. La Cour ne
méconnaît pas les efforts actuellement consentis par la DGA pour
maintenir, sinon améliorer, la compétitivité des établissements,
notamment dans le cadre de la contractualisation des prix entre le
SMA et le service des programmes aéronautiques donneur
d’ordres. Mais, même si, de ce fait, les prix ont pu être contenus
ces dernières années, l’équilibre à terme du compte de commerce
imposera fatalement leur réajustement à la hausse à moyenne
échéance.
- quant aux travaux de diversification, à l’exportation notamment,
que les établissements du SMA recherchent actuellement pour
conforter leur plan de charge, ils resteront forcément marginaux.
On peut d’ailleurs se demander s’il est bien raisonnable de lancer
à la recherche de telles activités un SMA démuni d’instruments
analogues à la Sofrantem ou DCN/I
8
, pourtant reconnus
8 La création et le rôle de ces deux structures sont précisés à la page 54 du présent
rapport.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
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TAT
33
nécessaires lorsqu’il s’est agi pour les arsenaux de la marine
d’essayer d’exporter.
Divers avantages sont mis en avant pour justifier l’intérêt du statut
actuel des AIA :
- leurs prix seraient particulièrement compétitifs, à la fois du fait de
charges de structures moins élevées, et du fait de l’exemption de
taxe à la valeur ajoutée dont ils bénéficient
9
;
- leur compétitivité vis-à-vis de l’industrie aurait pu se mesurer lors
de certaines mises en compétition
10
;
- ils permettraient, mieux que les autres réparateurs, d’approcher le
meilleur coût de maintenance pour la défense, à la fois par une
limitation des prestations au juste besoin
11
, et par une évolution
des méthodes de maintenance
12
;
- leur disponibilité et leur flexibilité seraient meilleures : en
particulier, les opérations urgentes, n’ayant pas à respecter la
procédure des marchés publics, pourraient être lancées plus
rapidement ;
- ils seraient mieux adaptés que les réparateurs industriels pour
assurer la maintenance des matériels anciens ou très anciens ;
- enfin, ils apporteraient une expertise au profit des services de
programmes de la DGA, en servant de contrepoids vis-à-vis des
constructeurs, en fournissant des références de prix, et même en
servant de viviers de spécialistes.
Ces arguments sont inégalement recevables :
- certains d’entre eux peuvent être facilement battus en brèche.
Ainsi, l’exemption de TVA est-elle sans doute financièrement favorable
au niveau du ministère de la défense, mais l’avantage s’annule
évidemment si l’on raisonne au niveau du budget de l'Etat. De même,
c’est le budget de l’Etat qui prend directement en charge la subvention
d’équilibre au régime de retraite des personnels sous statut, subvention
9 En revanche, ils sont soumis à la TVA sur leurs achats, et ne récupèrent pas celle-ci.
Tous éléments pris en compte, on peut estimer l’avantage compétitif dont bénéficient
leurs prix de vente de l’ordre de 10 à 12 % environ.
10 par exemple, le chantier pour la transformation du Mirage 2000 en version K1/K2,
ou bien les grandes visites de Mirage 2000-5.
11 par exemple, réparation d’une pièce plutôt qu’échange standard, si le bilan
économique est favorable.
12 par exemple, extension de l’intervalle entre deux révisions générales, ou bien
réparation par sous-ensembles plutôt que par matériels complets.
34
C
OUR DES COMPTES
dont le montant global a atteint 6,6 MdF (1 Md€) en 2000. Il est
également peu convaincant de mettre en avant l’expertise qu’apporte au
ministère de la défense l’exécution de travaux de maintenance, alors que
ceux-ci ne représentent que de l’ordre de 5 % du titre V du département,
le reste du budget d’équipement étant dépensé dans l’industrie
d’armement. Enfin, le fait que les établissements du SMA ne soient pas
soumis au Code des marchés publics pour les commandes qu’ils reçoivent
montre bien l’ambiguïté de leur situation d’industriel au sein de
l’administration, et posera sans doute un jour problème vis-à-vis des
règles de la concurrence.
- d’autres ont peut-être une force un peu plus grande, mais ils sont
également fragiles. Ainsi, il est sans doute historiquement vrai que les
AIA se sont jusqu’à maintenant efforcés de limiter le coût de leurs actions
de maintenance, parfois au détriment de leur charge de travail ; mais s’il
advient que cette charge devienne un jour trop faible, auront-ils toujours
le même souci et la même possibilité ?
IV
Dans le même temps, l’industrie française de
la réparation aéronautique dispose de capacités
surabondantes
Enfin, il ne faut pas omettre dans l’analyse le fait que certaines
capacités industrielles de réparation, encore sous la main de l’Etat, car
faisant partie intégrante de sociétés à capitaux publics, ont de la peine à
obtenir une rentabilité suffisante. La concurrence que leur livrent les
établissements du SMA n’est sans doute pas la cause unique de cet état de
fait, mais elle y participe certainement. A titre d’exemple, SNECMA
Services, filiale de maintenance et réparation du groupe SNECMA, reste
structurellement fortement déficitaire, et le contrôleur d’Etat, dans son
rapport annuel 1999 regrettait qu’elle soit contrainte d’opérer «
dans un
cadre de concurrence franco-française que l’Etat est impuissant à
restructurer, malgré sa double qualité de donneur d’ordres des AIA et
d’actionnaire d’entreprises publiques (SOGERMA, REVIMA, Air France
et Sochata)
»
.
Les sociétés de constructions aéronautiques à capitaux
privés que sont EADS et Dassault Aviation sont dans une situation
analogue vis-à-vis des établissements du SMA, avec lesquels la
concurrence fut souvent sévère.
Certes, la DGA, a cherché dans un passé récent à normaliser les
relations entre le SMA et les constructeurs. C’est dans cet esprit que le
délégué général pour l’armement a signé avec SNECMA et Dassault
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
35
Aviation
13
des lettres d’intention destinées à préparer des accords plus
précis à signer ultérieurement. La lettre à SNECMA, après avoir fait
référence aux orientations données au SMA (
« maintenir la compétence
des AIA… ; s’ouvrir aux marchés export… »),
et constaté que
« les
moyens de réparation ATAR du SMA et de SNECMA Services sont
sensiblement similaires tant en termes de moyens qu’en termes de
potentiel technique »,
convient d’étudier les modalités d’une coopération,
pouvant conduire à ce que les «
principales opérations de révision de
moteurs ATAR obtenues pour l’exportation soient réalisées par l’AIA de
Bordeaux, tout en veillant à la répartition des tâches…
». La lettre à
Dassault Aviation est semblable.
Cette tentative de compléter la charge des AIA par des travaux
pour l’exportation obtenus soit directement, soit par coopération avec les
constructeurs présente le danger pour les AIA de se retrouver dans des
situations irrégulières, faute d’instruments juridiques appropriés. Les
directions des armements terrestres ou des constructions navales avaient
déjà rencontré cette difficulté quand elles ont commencé à exporter.
On note enfin que EADS, pourtant partie prenante du fait de
l’existence de sa filiale spécialisée SOGERMA, n’a apparemment pas
signé de lettre analogue à celles citées ci-dessus.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
__________
Cette situation est défavorable tant à l'Etat, à la fois client pour
ses propres réparations et parfois actionnaire des entreprises concernées,
qu’à l’industrie française. Elle ne pourra trouver un terme que par un
rapprochement structurel, sous une forme à déterminer, avec les filiales
spécialisées des grands constructeurs français, EADS pour l’AIA de
Clermont-Ferrand, SNECMA Services pour l’AIA de Bordeaux. Le cas de
l’AIA de Cuers, dont la charge future est particulièrement incertaine,
devra faire l’objet d’un examen particulier : il n’est pas certain que son
avenir continue à résider dans la réparation aéronautique.
Les conclusions ci-dessus sont pratiquement identiques à celles
déjà formulées par la Cour dans un référé adressé en 1999 au ministre de
la défense.
Dans ce document la Cour indiquait déjà qu’au-delà de leurs
spécificités individuelles, les AIA étaient caractérisés, pour la période
étudiée (1992-1996), par le surdimensionnement de leur outil industriel
13 Respectivement les 16 mai 2000 et 14 mars 2001.
36
C
OUR DES COMPTES
au regard de la charge disponible. Subissant la baisse régulière des
commandes étatiques, n’ayant pas réussi à conquérir des marchés privés
ou étrangers, malgré le rapatriement d’une part croissante de la sous-
traitance, ils avaient enregistré une réduction continue de leur charge
pilotée et du nombre des heures facturables. Cette baisse de charges
n’avait pas été accompagnée par une réduction suffisante des effectifs
alors que, dans le même temps, les charges de personnel augmentaient du
fait d’une politique salariale inchangée…Parallèlement, par souci, certes
compréhensible, de maintenir la performance de leur outil industriel, les
AIA n’avaient pas réduit leurs investissements. Dès lors, la Cour n’avait
pu que constater une hausse constante des coûts unitaires de main
d’oeuvre et donc du coût des prestations facturées à l’Etat. Si la situation
ainsi constatée était plus préoccupante à Cuers et à Bordeaux qu’à
Clermont-Ferrand, c’était l’ensemble du dispositif qui se caractérisait
par un fonctionnement particulièrement onéreux pour les finances
publiques. Des rapports consacrés par la Cour au secteur de la
maintenance aéronautique (Sochata, Sogerma, Seca) avaient en outre mis
en lumière des problèmes similaires dans l’industrie. Ce secteur était
globalement en surcapacité.
La Cour ne pouvait que constater l’urgence d’une adaptation, qui
n’avait que trop tardé, de cet outil industriel aux exigences du temps. Il
revenait à la DGA de la mettre en oeuvre au plus vite.
La Cour, observant que la situation n’a guère évolué depuis
1999, recommande à nouveau que les orientations à donner au secteur
d’Etat de la réparation aéronautique soient définies sans attendre. Elles
doivent prendre en compte l’existence de capacités analogues dans
l’industrie française publique ou privée, l’optimisation de l’ensemble de
ce tissu industriel devant être recherchée.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
37
Chapitre III
GIAT industries : des réformes trop
tardives et insuffisantes
38
C
OUR DES COMPTES
I
L’armement terrestre : une histoire ancienne
L’origine des établissements qui ont constitué l’industrie d’Etat de
l’armement terrestre (arsenaux et manufactures) est des plus variée, et
pour certains, fort ancienne :
Historique de l’armement terrestre
Dans certaines localités (Saint-Etienne, Tulle), la tradition des
armes à feu remonte au 14ème ou au 16ème siècle. C’est au 18
ème
siècle
que furent créées les Manufactures royales d’armes correspondantes.
La Convention créa en 1792 à Toulouse pour les besoins de l’armée
des Pyrénées un « parc d’artillerie », qui deviendra l’ATE (atelier de
fabrications de Toulouse) en 1911, et, en 1793, à Rennes, un « arsenal de
construction et de dépôt destiné à l’approvisionnement des places et
batteries de côte ».
Le 19
ème
siècle vit la création de divers établissements : ainsi, d’une
fonderie de canons et d’un arsenal d’artillerie à Bourges en 1866, ou de
l’APX (atelier de constructions de Puteaux) créé en 1866 pour fabriquer
des machines destinées à l’équipement des manufactures, ou bien encore
de l’ATS (atelier de constructions de Tarbes) créé après la défaite de 1870
pour fabriquer un canon à balles.
La guerre de 1914-1918 provoqua en particulier la création à
Roanne d’une grande usine de fabrication d’obus de 75 et de 155. L'après-
guerre vit la création de l’atelier de chargement de Salbris en 1929. En
1936, les premières nationalisations furent l’occasion de transformer en
établissements d’Etat les usines de Manurhin au Mans, de Renault à Issy-
les-Moulineaux et à Rueil. Ainsi naquirent l’atelier de chargement de
Salbris (ASS) et les ateliers de construction d’Issy (AMX) et de Rueil
(ARL).
Peu après la Libération, un certain nombre d’établissements furent
créés ou rattachés à la Direction des études et fabrications d’armement
(DEFA) nouvellement créée : ainsi par exemple du Laboratoire de
recherches de Saint-Louis ou du Laboratoire de recherches balistiques et
aérodynamiques (LRBA de Vernon)
Au total, au début des années cinquante, la DEFA disposait de plus
de trente établissements, employant 35 000 personnes environ.
Dans les années soixante, la Délégation Ministérielle pour
l’Armement (DMA) nouvellement créée, s’attacha à diminuer le nombre
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
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TAT
39
d’établissements,
par
fermeture
(Versailles,
Mulhouse,
Lyon,
Châtellerault), transfert au secteur privé (Le Havre, Limoges, Irigny) ou
abandon d’emprises (Puteaux, Rennes). Ces mouvements se traduisirent
par une baisse très forte des effectifs, de 30 000 à environ 22 000.
A partir de 1970, le nombre d’établissements industriels d’Etat de
l’armement terrestre resta inchangé jusqu’à la création de GIAT industries,
vingt ans après.
II
GIAT industries : une gestation étirée sur plus
de vingt ans
En 1968, le constat avait été tiré que, pour de multiples raisons, le
régime de régie directe était totalement inadapté à des activités de l’ordre
industriel. Une action fut lancée, dès cette époque, par la Délégation
Ministérielle pour l’Armement, visant à séparer, au sein de la direction
technique
des
armements
terrestres
(DTAT),
les
activités
dites
« étatiques », ayant en toute hypothèse vocation à rester au sein du
ministère de la défense, de celles dites « industrielles », de réalisation
proprement dite des matériels, et susceptibles de suivre un destin différent
et mieux adapté. Elle conduisit à la création en 1973, toujours au sein de
la DTAT, du Groupement industriel de l’armement terrestre (GIAT) qui
réunissait l’ensemble des établissements à vocation industrielle de cette
direction. Pendant toute la décennie 80, le GIAT s’attacha à se doter de la
structure et des moyens de gestion les mieux adaptés possibles à sa
mission industrielle.
Le changement de statut du GIAT exigea cependant plus de dix
ans : envisagée par les ministres de la défense successifs dès 1981, puis
en 1986, mais à chaque fois remise à plus tard faute de décision politique
à plus haut niveau, la transformation du GIAT en société nationale ne fut
réalisée qu’en 1991.
La création de la société se fit alors dans un contexte de charge de
travail bouleversé par la fin de la guerre froide qui fit diminuer de façon
drastique les marchés prévus. Cette création fut faite, de surcroît, suivant
des modalités dont le bien-fondé peut apparaître a posteriori discutable,
même si elles ont paru à l’époque socialement indispensables. Tous les
sites de l’ancien GIAT furent apportés
14
à la nouvelle société, malgré le
14
A savoir, outre le siège, initialement implanté au pont de Saint-Cloud, mais qui fut
ensuite transféré sur le plateau de Satory, les onze établissements du GIAT, à Satory,
Roanne, Tarbes, Saint-Chamond, Bourges, Tulle, Saint-Etienne, Toulouse, Salbris, Le
Mans et Rennes.
40
C
OUR DES COMPTES
fait que le dimensionnement de l’outil industriel, défini vingt ans
auparavant, n'était, à l’évidence, plus adapté à la nouvelle donne. Tous les
ouvriers d’Etat furent intégrés en conservant leur statut. Ainsi, dès le
départ, le potentiel de la société excédait-il fortement sa charge de travail
réelle. Une succession de plans sociaux, hélas toujours dimensionnés par
l’actionnaire à la valeur minimale socialement acceptable à ses yeux,
n’empêcha pas la société de courir en permanence après un équilibre
économique jamais atteint, les pertes d’exploitation restant en moyenne
de l’ordre du milliard de francs par an. Le statut des personnels ouvriers
se révéla un handicap grave pour la compétitivité de la société qui dut
supporter l’intégralité de la charge. Si on ajoute à ces pertes liées à la
surcapacité de lourdes pertes occasionnelles liées à diverses erreurs de
gestion commises par la première équipe dirigeante mise en place, on
arrive à un coût total pour l’actionnaire supérieur à 22 MdF depuis
l’origine
15
.
III
Depuis sa création, GIAT industries cherche
vainement son équilibre
A
Une gestion d’abord aventureuse, puis plus
réfléchie
A la création de la société, l’équipe dirigeante initiale devait
s’atteler à la tâche très complexe consistant à transformer des
établissements d’Etat en véritable société. Malgré les efforts consentis au
préalable, par exemple en matière comptable et de contrôle de gestion,
force est de constater qu’il fallut procéder à beaucoup de nouvelles
embauches dans des spécialités qui manquaient et reprendre des réformes
comptables et de gestion déjà réalisées alors qu’on aurait pu croire cette
tâche terminée.
Ce travail considérable à conduire en interne fut organisé dans le
cadre d’une politique très volontariste, conduite avec l’accord des tutelles,
et visant à faire de GIAT industries un pôle fédérateur de l’industrie de
l’armement terrestre française et même européenne, tout en mettant en
oeuvre une grande politique de diversification.
15 Somme de l’apport initial en capital (1,86 MdF, soit 0,28 Md€), des quatre
recapitalisations intervenues en 1991, 1996, 1997 et 1998 (18,49 MdF, soit 2,82 Md€)
et de la recapitalisation à intervenir avant la fin de l’année 2001 (2 MdF, soit
0,30 Md€).
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
41
C’est ainsi que furent successivement rachetées les sociétés
Manurhin, Luchaire, Mécanique Creusot Loire et Cime Bocuze. Ces
achats conduisaient certes à une rationalisation de l’industrie française
dans le domaine des blindés et des munitions de petit ou moyen calibre ;
mais ils se traduisirent également par l’apport à la société de moyens
nouveaux, aussi bien dans le domaine des bureaux d’études que dans
celui de la production, accroissant ainsi ses surcapacités dont on verra
qu’elles furent un fardeau tout au long de l’histoire de la société.
L’aventure menée avec le groupe belge Herstal aboutit à une
situation bien pire encore. Réalisé dès le 1
er
janvier 1991, le rachat de
91 % du capital de ce groupe, alors en liquidation judiciaire, conduisit à
mettre au catalogue de GIAT industries une gamme complète d’armes
individuelles, surtout civiles
16
. Mais la situation financière du groupe se
dégrada fortement à partir de 1994, à cause de ses faiblesses, de ses
rigidités structurelles, de l’effondrement des marchés civils et militaires
des armes de petit calibre et du vieillissement de la gamme offerte. Les
évolutions nécessaires furent retardées par un droit de veto bien
imprudemment donné à la Région wallonne, qui ne possédait pourtant
que 8 % du capital.
Cette politique de grandeur trouvait sa matérialisation dans
l’organisation même du groupe, en cinq branches très autonomes
17
correspondant aux cinq domaines d’activité opérationnelle : véhicules
blindés, artillerie de gros et moyens calibres, armes et munitions de
chasse,
soutien
logistique
et
diversification.
En
pratique,
cette
organisation montra rapidement ses limites : l’autonomie donnée aux
branches se transforma vite en autonomisme, leur implication partagée
dans toutes les affaires du groupe conduisit à une importance excessive
donnée aux prestations mutuelles, au détriment des relations avec les
clients.
Enfin, cette première période fut marquée par la conclusion d’un
grand contrat de vente de blindés lourds à l’exportation, qui se révéla à
l’expérience catastrophique pour la société. Signé en avril 1993, ce
contrat portait sur la fourniture d’un nombre élevé de chars de combat,
d’un modèle d’ailleurs largement différent de celui développé pour
l’armée de terre française, de chars dépanneurs, de munitions et de
matériels de test et d’entraînement ; il comportait également des
engagements d’enrichissement de l’économie locale. Signé en dollars
fermes, alors qu’il avait été négocié en francs, il fut bientôt suivi
d’avenants qui en minoraient le montant sans pour autant diminuer
16 Sous les marques très connues Browning et Winchester.
17 Sous l’autorité d’un siège lui-même pléthorique.
42
C
OUR DES COMPTES
clairement le volume des fournitures. De difficiles problèmes techniques,
analogues à ceux rencontrés lors de la fabrication de la version pour la
France des mêmes matériels, imposèrent la mise au point de tranches
successives de définition homogène, que GIAT industries dut s’engager à
remettre à ses frais à un standard acceptable. Enfin, financièrement, la
gestion de la trésorerie liée à un plan d’acomptes favorable donna lieu à
des prises de risques exagérées qui conduisirent en 1994 à constater une
perte de plusieurs milliards de francs dans les comptes annuels.
La nouvelle équipe de direction, mise en place en 1995 s’attacha à
une remise en ordre générale de la société :
- la politique de croissance externe de la société fut abandonnée ;
- après de difficiles négociations, le groupe Herstal fut cédé à la
Région wallonne. Pour GIAT industries, l’ensemble des pertes
liées à cette opération est maintenant évalué à 1,9 MdF
(0,29 Md€) ;
- la politique de diversification initiale fut abandonnée ; elle avait
conduit à des pertes estimées à 52 MF (7,93 M€) pour la seule
filiale du groupe (Gitech SA) spécialisée dans une activité de
diversification ;
- la société fut réorganisée par étapes successives de 1995 à 1998.
Si l’on peut regretter que ces évolutions aient été un peu lentes, il
est clair qu’elles allaient toutes dans le bon sens, qu’il s’agisse de
la réunion en deux entités seulement des activités de véhicules
blindés d’une part, d’armes et munitions d’autre part, de la
création de véritables directions fonctionnelles ayant capacité à
normaliser et contrôler les grandes fonctions de la société, de la
création d’une véritable direction industrielle ayant autorité sur
l’ensemble des établissements et susceptible ainsi de prendre en
mains leur avenir, de la restauration de la qualité dans la société,
ou de la mise en place d’outils informatiques unifiés pour la
gestion et le contrôle des affaires. Un effort notable de réduction
des frais généraux de tous types fut également engagé.
- le contrat de blindés à l’exportation fut géré avec le souci de
satisfaire raisonnablement le client tout en cherchant à limiter
l’hémorragie financière : ce double objectif ne fut cependant que
très partiellement atteint.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
43
B
Une charge de travail constamment décroissante
Depuis sa création, la société est confrontée en permanence à de
récurrents problèmes de surcapacité. La raison d’être de cette situation
doit évidemment être recherchée en priorité dans le changement de
contexte géostratégique survenu au début de la décennie 1990 et qui a eu
des conséquences de divers ordres : une limitation générale des budgets
d’équipement militaire liée au recul de la menace, une redéfinition des
plans d’équipement, tant en volume qu’en matière de performances
souhaitées. A titre d’exemple, l’armée de terre française, qui avait
initialement estimé que 1200 chars Leclerc en ligne lui seraient
nécessaires, limite finalement sa commande
à
406
exemplaires
maximum ; de même, ses commandes de munitions ont-elles connu des
baisses drastiques durant la décennie quatre-vingt-dix, malgré les
promesses successives du ministère de la défense d’en maintenir le
niveau à des valeurs convenables pour la société. En outre, si le produit
phare de GIAT industries, le char lourd de combat Leclerc, très
performant mais cher, reste l’
« ultima ratio »
des armées de terre qui s’en
doteraient, on peut s’interroger sur son adaptation aux nouvelles missions,
souvent à base de « projections extérieures », qui sont maintenant la
règle.
Le programme majeur d’armement Char Leclerc
Le char Leclerc a été conçu dans le contexte de l’affrontement
potentiel en Europe des forces de l’Alliance atlantique avec celles du pacte
de Varsovie. Il s’agissait alors d’arrêter pendant un temps suffisant la
progression d’un adversaire très supérieur en nombre, et la recherche de la
performance maximale était une nécessité. C’est ainsi que le Leclerc a été
doté de capacités élevées de mobilité, de puissance de feu, de navigation et
de communication.
Les missions maintenant dévolues à l’Armée de terre sont d’une
autre nature. Mais celle-ci considère que la possession d’un matériel de
hautes performances est toujours essentielle dans l’équilibre stratégique en
Europe et dans la place qu’elle peut se voir confier au sein d’une coalition.
Aussi, malgré le profond changement de la situation géostratégique, le
char Leclerc reste-t-il un de ses armements majeurs.
Pour ces raisons, et aussi sans doute parce que, au début de la
précédente décennie, le programme était déjà fortement engagé et qu’il
était fondamental pour la survie de GIAT industries nouvellement créé, les
performances initialement demandées ont été maintenues. Le parc
initialement envisagé de 1 500 chars dont 1 200 en ligne a cependant été
réduit à 406 chars seulement, ce qui situe la France à peu près au niveau de
la Grande-Bretagne, mais très en deçà de l’Allemagne.
44
C
OUR DES COMPTES
La conduite de ce programme lancé dès janvier 1982 a connu de
nombreuses difficultés : l’organisation étatique ne s’est précisée que très
lentement ; l’organisation industrielle a, elle aussi, été trop longtemps
défaillante ; certes, le rôle de maître d’oeuvre a été théoriquement reconnu
à GIAT industries dès le lancement de la production, mais il ne lui pas été
demandé d’assurer la cohérence des diverses prestations qui lui étaient
commandées ; cette situation n’a été corrigée qu’en 1998 ; les difficultés
de mise au point du système Leclerc avaient été sous-estimées.
La décision du ministre de la Défense qui a lancé le programme en
1982 fixait un double objectif : livraison du premier char de série en 1991,
et prix moyen de 15 MF (2,29 M€), aux conditions économiques de
l’époque. Ni l’un ni l’autre de ces objectifs n’a pu être atteint en pratique.
Le souci de respecter quoi qu’il arrive le premier d’entre eux a conduit les
responsables à lancer successivement l’industrialisation, puis la série, alors
même que la mise au point des prototypes n’était qu’entamée. Il a été
ensuite nécessaire de découper la série en tranches annuelles, de définition
technique toutes différentes, sept au total. Enfin, GIAT industries a trop
longtemps sous-estimé l’importance du contrôle de la qualité. Le flot
permanent d’évolutions techniques décidées au cours de cette longue
période a été un facteur aggravant.
Evalué en francs 2000, suivant l’indice des prix du PIB, le coût
total d’acquisition du système Leclerc pour l’Armée de terre française
s’établit à 42,37 MdF (6,46 Md€) toutes taxes incluses. Ce coût total
comprend, outre le char lui-même, les frais fixes (développement et
industrialisation), les frais variables divers (documentation, dotation
initiale en pièces de rechange, systèmes d’armes annexes) et pour un total
de 6,37 MdF (0,97 Md€) des opérations complémentaires : chars
dépanneurs, matériels d’instruction et d’entraînement, infrastructures dans
les unités, interfaces avec le système de test Diadème et avec le système de
communication SIR-PR4G, munitions spécifiques au Char Leclerc. Dès
lors, le coût unitaire complet de chacun des 406 chars effectivement
commandés s’élève pour l’Armée de terre à 104,36 MF (15,91 M€).
La première mise en service opérationnel d’une unité Leclerc n’a
pu être prononcée qu’en novembre 1998, pour un premier groupement
d’escadrons de 40 chars. L’Armée de terre se considère comme satisfaite
de la première utilisation opérationnelle du Leclerc engagé au Kosovo dès
juin 1999 : les performances espérées ont été obtenues, la fiabilité et la
disponibilité ont été excellentes, et la charge de travail des équipages ne
s’est pas révélée excessive. Au printemps 2001, le ministère de la Défense
indiquait que « les Leclerc donnent en l’état toute satisfaction sur ce
théâtre d’opérations ».
Si le chiffre d’affaires de la société croît jusqu’en 1998,
principalement du fait de la livraison de nombreux blindés lourds, en
revanche, le volume des commandes prises fluctue fortement d’une année
à l’autre en fonction du cadencement des commandes de chars Leclerc
pour l’armée de terre.
L
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45
Aujourd'hui, la situation de la société est la suivante :
- tous les chars Leclerc destinés à l’armée de terre française ont été
commandés
18
;
- les chars destinés à l’exportation sont presque tous fabriqués ;
- si diverses autres commandes sont possibles, aucune ne s’est
encore concrétisée ;
- le carnet de commandes de la société est légèrement supérieur à
18 MdF (2,74 Md€) au 31 décembre 2000, mais il était de
30 MdF (4,57 Md€) six ans auparavant.
Les perspectives restent inquiétantes pour les années à venir :
- le volume moyen annuel des prises de commande sur la période
2001 à 2005 est estimé à seulement 3 MdF (0,46 Md€), hors
contrat à l’exportation du char Leclerc
19
;
- le chiffre d’affaires consolidé pourrait croître de 4,10 MdF
(0,63 Md€) en 2000 à 7,30 MdF (1,11 Md€) en 2002, avec la fin
de l’exécution des grands contrats de blindés, mais devrait
décroître ensuite jusqu’à 3 MdF (0,46 Md€) en 2005.
La société continuera donc à être confrontée à de graves problèmes
de charge.
C
La diminution de la capacité productive de la
société s’est effectuée trop lentement
Pour tenter d’adapter son potentiel productif à sa charge, la société
a mis en oeuvre divers plans d’adaptation de ses effectifs, tous basés sur
les mêmes mécanismes principaux : des possibilités de départs en retraite
anticipée à 55 et même 52 ans pour les ouvriers sous statut, des mutations
18 Les 52 chars, initialement prévus en tranches conditionnelles, vont faire l’objet
d’une commande dont le principe a été annoncé le 31 août 2001 par le ministre de la
défense.
19 Mais en supposant tout de même un volume de prises de commandes à
l’exportation de 1 MdF par an (0,15 Md€), alors que le montant correspondant n’a été
que de 550 MF (83,85 M€) et 380 MF (57,93 M€) respectivement en 1998 et 1999.
46
C
OUR DES COMPTES
sur la base du volontariat vers d’autres établissements du ministère de la
Défense
20
.
Les deux premiers de ces plans, antérieurs même à la création de la
société, puisqu’ils avaient été lancés dès 1988, avaient permis le départ de
4 914 personnes.
En octobre 1992, la société proposait des mesures ambitieuses de
réduction de son potentiel, comportant la fermeture des sites de Salbris et
du Mans et la suppression de 3 991 emplois jusqu’à la fin de 1995. Il lui
fut seulement accordé un plan d’adaptation industrielle (PAIS) qui
conduisit à 1 850 départs.
Le PAIS fut suivi en 1996 d’un plan de retour à l’équilibre (PRE)
qui permit une nouvelle baisse des effectifs de 1 855 personnes.
Le dernier plan élaboré, sous le nom de PSES (plan stratégique,
économique et social) portait sur les années 1999 à 2002. Il visait à
ramener les effectifs du groupe GIAT à 6 700 personnes (dont 5 830 à
GIAT industries) ; il prévoyait la fermeture des sites de Salbris et du
Mans, ainsi que la recherche de destins « adaptés »pour ceux de Rennes,
Saint-Etienne et Saint-Pierre de Faucigny
21
.
Au 30 juin 2000, ce plan était largement engagé : la moitié environ
(1 987 personnes) de la baisse totale des effectifs prévue jusqu’à la fin de
2002 avait été obtenue ; les sites de Salbris et du Mans avaient été
fermés ; la gestion des centres de Rennes et de Saint-Pierre de Faucigny
avait été transférée à d’autres groupes industriels ; les activités de Saint-
Etienne autres que l’optique avaient été transférées à Saint-Chamond ; la
fabrication des munitions de gros calibre avait été rationalisée par
regroupement à La Chapelle.
Mais, comme les plans précédents, ce PSES partait d’hypothèses
trop optimistes adoptées par les tutelles, parfois contre l’avis de la société,
pour minimiser les conséquences sociales des évolutions nécessaires. Il
supposait ainsi l’obtention d’un grand contrat de blindés à l’exportation
qui ne put se réaliser.
Les hypothèses d’activité de la société, telles qu’elles résultent
maintenant
des
perspectives
de
commandes
évoquées
ci-dessus,
s’établissent à des valeurs bien inférieures à celles que supposait le PSES
20 Ces mécanismes, sans doute considérés comme les plus acceptables socialement
ont l’inconvénient bien connu pour l’employeur
qu’il n’est pas maître des départs,
ceux qui se produisent effectivement n’étant pas forcément les plus souhaités, et vice
versa.
21 Où se trouve implantée la filiale Cime Bocuze.
L
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47
quand il a été établi : l’activité industrielle pourrait n’être que de
1 260 000 heures en 2005, alors qu’elle s’est établie à 2 780 000 heures
en 2000, soit une baisse de 55 %. A l’exception des sites de Bourges et de
La Chapelle, pour lesquels la montée en puissance des nouveaux
programmes d’artillerie devrait procurer une charge en légère croissance
par rapport aux valeurs constatées en 2000, tous les établissements seront
en très forte sous-activité. Celle-ci risque d’atteindre des niveaux tels que
la question du maintien même des activités se posera inéluctablement sur
plusieurs sites.
D
Les résultats financiers de la société resteront
mauvais
En onze ans, de sa création en 1990 à 2000, GIAT industries a
dégagé un total de pertes nettes supérieur à 24 MdF (3,66 Md€). Sur ce
total, on peut considérer que 13 MdF (1,98 Md€) environ sont la
conséquence de décisions malheureuses, imputables à la société qui les a
prises avant 1995, ou à ses tutelles qui les ont laissé s’exécuter : 1,9 MdF
(0,29 Md€) pour l’affaire Herstal, 0,2 MdF (0,03 Md€) pour les autres
prises de participation, 8,6 MdF (1,31 Md€) au titre du résultat à
terminaison de contrats à l’exportation et 1 MdF (0,15 Md€) à celui de la
gestion du risque de change ; le solde peut être attribué à hauteur de
7 MdF (ou 1,07 Md€) aux coûts des plans sociaux successifs et de
3,70 MdF (0,56 Md€) au coût de ce que la société appelle ses surmoyens
et sureffectifs, en fait ses capacités excédentaires
22
. Giat industries ayant
été dotée à sa création d’un capital de 1,86 MdF (0,28 Md€), abondé
d’une première dotation de 1,07 MdF (0,16 Md€) à la fin de
l’année 1991, ces pertes cumulées ont nécessité que l’Etat actionnaire
procède à trois augmentations de capital successives en 1996, 1997 et
1998,
pour
respectivement
3 716 MF
(566,50 M€),
3 700 MF
(564,06 M€) et 10 MdF (1,52 Md€). A la fin de 1999, la situation nette de
la société était négative, s’établissant à 1 821 MF (277,61 M€), et donc
très inférieure à la moitié du capital social de 402 MF (61,28 M€).
Compte tenu des règles applicables aux sociétés anonymes, ce dernier
devra être reconstitué avant la fin de 2001. A la fin de l’année 2000, la
situation nette de la société, compte tenu du résultat de l’exercice,
s’élevait à - 3,67 MdF (- 0,56 Md€).
22 Bien sûr, le raisonnement est un peu réducteur. Si un grand contrat de blindés à
l’exportation n’avait pas apporté de la charge et de la trésorerie en anticipation, la
situation industrielle et financière de la société aurait été différente, à la fois parce que
la perte d’exploitation aurait été supérieure, et les besoins en capital anticipés dans le
temps.
48
C
OUR DES COMPTES
Les projections financières jusqu’à l’horizon 2005 montrent qu’à
défaut de mesures nouvelles de contraction de son dispositif industriel et
humain, les pertes risquent d’atteindre à nouveau des montants cumulés
proches de 10 MdF (1,52 Md€) sur les six exercices allant de 2000 à
2005. Ces nouvelles pertes nécessiteront des recapitalisations dont la
société estime le montant minimum à 6,50 MdF (0,99 Md€).
E
Dans le même temps, les restructurations de
l’industrie européenne de l’armement terrestre
continuent sans GIAT industries
Le mouvement de concentration européenne de l’industrie de
l’armement terrestre s’est engagé dès 1998. Il s’est concrétisé par de
nombreux rapprochements, entre
sociétés
européennes
de
même
nationalité (Alvis/GKN au Royaume-Uni, Krauss Maffei/Wegmann en
Allemagne) ou de pays différents (l’Allemand Rheinmetall
23
avec le
Suisse Oerlikon). Un autre fait marquant est l’arrivée en Europe de
l’industrie américaine : rachat du Suisse Mowag par General Motors, de
Bofors Weapon Systems par United Defense, de la société espagnole
Santa Barbara par General Dynamics. Un accord de principe visant à
réunir leurs activités dans les domaines de l’armement et des munitions
de gros et moyen calibre a par ailleurs été signé en avril 2001 entre
l’Allemand Rheinmetall et l’Américain ATK (groupe Alliant).
Malheureusement, aussi bien son statut de société publique que sa
situation industrielle et financière interdisent en fait à GIAT industries de
participer à cette réorganisation d’une industrie en forte surcapacité
globale.
23 Qui a repris aussi un autre Allemand, Henschel Kuka.
L
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49
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
__________
Face à cette situation critique, deux attitudes sont possibles.
La première consiste à continuer dans la voie suivie jusqu’à
maintenant, consistant à garder des centres d’activité surabondants et
des personnels excédentaires, que l’on résorbe lentement grâce à des
plans sociaux insuffisants et trop tardifs. Le cercle vicieux dans lequel la
société est enfermée depuis sa création sera pérennisé, et GIAT industries
finira, après avoir encore coûté beaucoup d’argent à son actionnaire,
l'Etat, par disparaître en tant qu’entité globale, certaines de ses activités
ayant entre temps trouvé des destins partiels. Les armes et munitions
pourraient ainsi passer sous le contrôle d’un repreneur étranger. Cette
solution a pour seul avantage immédiat de minimiser apparemment, et,
en tous cas, de reculer l’appréhension des difficultés que crée localement
tout problème de restructuration.
La seconde attitude consiste à se poser sans plus tarder le
problème de la taille optimale que la société doit avoir pour retrouver
l’espoir d’une certaine rentabilité à terme, quelles que soient les
évolutions de la charge future, y compris les plus défavorables, et de
prendre les moyens pour y arriver au plus tôt. Elle suppose que les
inévitables difficultés qui en résulteront dans les bassins d’emploi
concernés soient directement prises en compte dans le cadre de
l’aménagement du territoire et non plus en retardant l’évolution
inéluctable d’une société nationale. Cette seconde voie passe par une
contraction forte des moyens de la société : fermeture ou reconversion
des centres aujourd’hui reconnus comme excédentaires, en fait tous les
centres
sauf
ceux
retenus
comme
cible
finale,
c’est-à-dire
vraisemblablement
Satory et Roanne
24
pour les blindés, Bourges et La
Chapelle pour les armes et munitions. Ceci doit bien sûr s’accompagner
de l’achèvement de la remise en ordre de la société, en termes de métiers
comme en matière d’organisation : GIAT industries doit désormais se
concentrer sur les spécialités qui font sa spécificité
25
, et pour lesquelles
elle peut être compétitive ; les divers « chantiers » engagés par la société
24 Avec une variante possible, consistant à supposer que le marché des blindés lourds
disparaîtra dans le futur, ce qui condamnerait Roanne en tant que centre de
production. A l’inverse, si les blindés légers ont un avenir, c’est peut-être Saint-
Chamond qu’il faut conserver.
25 Par exemple, les blindages de forte épaisseur, les tubes de canon, la mécanique de
précision pour les armes et munitions, l’intégration finale des sous-ensembles, l’après-
vente. En revanche, les activités de mécanique banale doivent être sous traitées.
50
C
OUR DES COMPTES
doivent être menés à leur terme, tout particulièrement celui relatif à
l’assurance qualité, fondamental pour l’avenir.
Pour permettre à la société de sortir du cercle vicieux dans lequel
elle est enfermée depuis sa création, le principe et la mise en oeuvre
aussi rapide que possible d’un plan conséquent de resserrement des
capacités industrielles, à la fois en termes d’emprises, d’effectifs et de
métiers, doivent être acceptés.
C’est la condition nécessaire pour espérer un retour à l’équilibre
d’exploitation, qui devrait faciliter la conclusion d’alliances avec des
partenaires européens. A défaut, il faudra, dans un avenir sans doute
proche, envisager un démembrement de la société, pour tenter de
conforter l’avenir de celles de ses activités qui en auront encore un.
L
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ARMEMENT DE L
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51
Chapitre IV
La direction des constructions
navales (DCN) : une transformation à
réaliser d’urgence
52
C
OUR DES COMPTES
I
La construction navale militaire : un secteur
depuis longtemps étatique
Depuis l’époque du cardinal de Richelieu jusqu’à l’actuelle
direction des constructions navales (DCN), service à compétence
nationale doté d’un compte de commerce, l’Etat a toujours été un acteur
industriel majeur dans le domaine de la construction navale militaire. Les
arsenaux de la Marine tirent leur longue histoire des origines de l’Etat lui-
même, ce qui n’a pour autant pas empêché le secteur privé de participer
fortement dans le passé à la construction des navires militaires.
Historique des constructions navales
En 1631, le cardinal de Richelieu institue les Marines du Ponant et
du Levant, et, pour les construire et entretenir, crée les premiers arsenaux.
Colbert et son fils Seignelay réunissent en une seule administration les
deux marines, améliorent les ports de Dunkerque et du Havre, développent
considérablement Brest, créent de toutes pièces le port de Rochefort,
appelé au XVIIIème siècle à devenir le deuxième port de France, et
reconstruisent le port de Toulon qui avait été détruit par un incendie.
En 1751, le marquis de Montalembert choisit le site de Ruelle pour
y établir une fonderie de canons de marine, et fait fortune en la vendant au
Roi en 1775. Le 27 mars 1765, une ordonnance royale crée le corps des
ingénieurs constructeurs de la Marine, ancêtre du corps du génie maritime.
En 1771, s’ouvre sur les bords de la Loire l’établissement d’Indret, qui se
spécialisera ensuite dans la conception et la réalisation des systèmes
propulsifs. En 1778, l’arsenal de Lorient succède à la Compagnie des
Indes.
A partir de 1813, l’arsenal de Cherbourg produit des bâtiments de
surface, avant de se spécialiser dans les sous-marins. Le Sphinx, premier
navire de guerre à vapeur est construit à Rochefort en 1826. En 1926,
l’arsenal de Rochefort est fermé.
En 1937, est créé l’établissement de Saint-Tropez, par reprise des
installations de la société Schneider qui y travaillait depuis 1907 dans le
domaine des torpilles.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, le secteur d’Etat de la
construction navale comprenait ainsi en métropole les quatre arsenaux de
Brest (construction et réparation de bâtiments de surface), Lorient
(construction de bâtiments de surface), Cherbourg (construction de sous-
marins) et Toulon (construction et surtout réparation de bâtiments de
L
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ARMEMENT DE L
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53
surface et de sous-marins) et quatre établissements « hors les ports » :
Indret (propulsion), Ruelle (canonnerie, usinage de pièces de grandes
dimensions, électronique), Saint-Tropez (torpilles) et Guérigny (chaînes et
ancres de marine). Outre-mer, des arsenaux existaient à Mers-el-Kébir,
Bizerte, Dakar, Diego Suarez et Papeete.
L’établissement de Guérigny fut fermé en 1970, de même que les
établissements
d’Afrique
du
Nord
et
d’outre-mer
l’avaient
été
progressivement à partir des années soixante (à l’exception de celui de
Papeete, toujours en activité). La DCN disposait dès lors des implantations
qui sont encore celles de DCN aujourd’hui.
Certaines grandes unités de la Marine nationale furent cependant
construites par des chantiers privés : tel fut par exemple le cas du cuirassé
Jean Bart avant guerre ou des porte-avions Foch et Clémenceau, tous
construits aux chantiers de Saint-Nazaire.
Depuis ses origines jusqu’aux années soixante-dix, la construction
navale militaire a été organisée en une structure unique, qui assumait
l’ensemble des responsabilités « étatiques » et « industrielles ».
La conduite d’un programme naval militaire
La conduite d’un programme naval militaire implique la mise en
oeuvre de deux catégories différentes de responsabilités :
- les premières, dites « étatiques », incluent la spécification
opérationnelle et technique des bâtiments à réaliser, l’évaluation et la mise
en place du budget nécessaire, le choix de l’industriel réalisateur, la
surveillance de celui-ci et son paiement au fur et à mesure de l’avancement
des travaux, et enfin le contrôle des performances obtenues ;
- les secondes, dites « industrielles » incluent toutes les tâches qui
contribuent à la réalisation proprement dite, et qui, elles-mêmes, peuvent
se classer en différents niveaux :
*au niveau supérieur, le maître d’oeuvre d’ensemble assure la
gestion
du
projet,
son
architecture
d’ensemble,
et
l’intégration
fonctionnelle des divers sous-ensembles ou équipements,
*sous le maître d’oeuvre d’ensemble :
. le maître d’oeuvre plate-forme assure l’architecture navale et
l’intégration physique des sous-ensembles et composants. Il réalise en
général lui-même la coque et l’intégration des composants (c’est le métier
même des chantiers navals) ; il fait souvent réaliser par des coopérants le
54
C
OUR DES COMPTES
sous-système énergie-propulsion et tout ou partie des équipements
marine ;
. le maître d’oeuvre système de combat assure la fonction
d’architecture et d’intégration des armes et des systèmes de détection, de
communication et de traitement de l’information.
Après la seconde guerre mondiale, la DCN a pendant longtemps
exercé simultanément, d’abord au sein du Secrétariat d’Etat aux forces
armées-Marine, puis, à partir de 1961, de la DMA, les responsabilités
étatiques (en liaison avec l’état-major de la Marine) et les responsabilités
industrielles.
Les premières réflexions sur l’intérêt et la possibilité de séparer au
sein de la DCN les fonctions dites « étatiques » et celles qualifiées
d’« industrielles » furent conduites par un groupe de travail interne à la
direction en 1989 seulement, c’est-à-dire pratiquement vingt ans après
que des réflexions analogues eussent été engagées au sein de l’ancien
service des poudres ou de la direction des armements terrestres.
Différents facteurs expliquent ce retard : l’imbrication entre les deux
types d’activité était sûrement plus grande à la DCN ; ses cadres étaient
moins préparés à remettre en cause un mode de fonctionnement qu’ils
avaient toujours connu et qui leur paraissait nécessaire compte tenu des
spécificités de la construction navale. Quoi qu’il en soit, la séparation
entre activités étatiques et industrielles de la DCN commença à se
concrétiser à partir de 1995.
En 1997
26
, deux entités distinctes furent chargées, toujours au sein
de la DGA, de conduire et réaliser les activités de construction navale : le
Service des programmes navals (SPN) et la Direction des constructions
navales (DCN) chargée des seules activités industrielles.
Pour l’exportation des productions de la DCN, un certain nombre
de structures avaient été progressivement créées à son profit, mais sans
lien juridique direct avec elle :
- la société Sofrantem, destinée à prendre en compte les aspects
financiers des contrats à l’exportation de la DCN
27
, fut créée dès
1970, entre la Société générale, la BNP, le Crédit Lyonnais et la
BFCE ;
- en 1991, fut créée une société à capitaux publics DCN-
International (DCN-I), destinée à assurer au profit de la DCN les
26 Décret n° 97-35 du 17 janvier 1997.
27 Et d’ailleurs aussi des arsenaux de la direction des armements terrestres.
L
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55
activités commerciales de promotion et de suivi des contrats
signés à l’exportation ;
- en 1994, fut mise en place, à partir du département logistique de
la société NAVFCO, la société DCN Log, filiale à 100 % de
DCN-I.
- le 13 mars 2001, un accord a été signé entre l’Etat et Thales (ex
Thomson-CSF) visant à créer une société détenue à parts égales,
SSDN (Société de systèmes de défense navale). SSDN sera dotée
d’une structure à conseil de surveillance (présidé par DCN) et
directoire (présidé par Thales). Elle rassemblera les activités de
maîtrise d’oeuvre et commerciales jusque là exercées par DCN-I
et Thales naval France (avec dans l’immédiat, en particulier, la
part française de la frégate franco-italienne Horizon).
En 2000, la DCN a été transformée en service à compétence
nationale, détaché de la DGA et placé sous l’autorité directe du ministre
de la défense.
Enfin, le 6 juillet 2001, les ministres de la défense et de
l’économie, des finances et de l’industrie ont annoncé que le
Gouvernement avait décidé de transformer la DCN en société détenue par
l’Etat, que les personnels travaillant aujourd’hui pour la DCN
conserveraient leur statut au sein de l’Etat, et qu’un contrat d’entreprise
fixerait sur une base pluriannuelle les relations entre la société et l’Etat.
Le directeur de la DCN doit présenter un projet de calendrier cohérent
avec l’objectif de transformer la DCN en société de plein exercice avant
2003.
L’actuelle DCN a réalisé 9,4 MdF (1,43 Md€) de « chiffre
d’affaires » hors taxes en 2000, total réparti pour 53 % dans les
constructions neuves, 32 % dans les réparations et 15 % dans les systèmes
de combat et les équipements.
Elle employait 15 095 agents à la fin de l’année 2000,
essentiellement à Brest (4 400 personnes), Toulon (2 300 personnes),
Cherbourg (3 650 personnes) mais aussi à Ruelle (près d’Angoulême),
Indret (près de Nantes), Saint Tropez et Papeete. Sur ces 15 000
personnes, 1 710, soit 11,3 % étaient des cadres ; les ouvriers sous statut,
ou « ouvriers d’Etat », étaient quant à eux 11 500.
Les principaux programmes navals conduits par la DCN
concernent les sous-marins nucléaires, qu’ils soient d’attaque ou lanceurs
de missiles stratégiques, les sous-marins classiques pour la seule
exportation, le porte-avions nucléaire et différentes classes de navires de
56
C
OUR DES COMPTES
surface avec, notamment, des frégates de la classe La Fayette bien
vendues à l’exportation.
Ces programmes concernent aussi bien les constructions neuves
que l’entretien de la flotte. Deux autres missions d’importance sont
confiées à la DCN : les systèmes de combat naval et la gestion des stocks
militaires navals.
Le principal client de la DCN est évidemment la Marine nationale :
en 2000, les trois quarts de sa production se sont effectués au profit de
cette dernière, situation logique puisque la Marine nationale française
figure parmi les plus importantes marines de guerre européennes.
Les marines européennes
En Europe, seuls la France et le Royaume-Uni disposent d’une
marine océanique mettant en oeuvre la panoplie complète des navires de
combat, du sous-marin nucléaire lanceur d’engins et du porte-avions au
patrouilleur. Leurs budgets annuels de construction neuve et d’entretien
sont de l’ordre de 7 MdF (1,07 Md€). Cinq autres pays (l’Allemagne,
l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Suède) ont des ambitions plus
limitées (pas de sous-marins nucléaires, pas de porte-avions
28
) et ne
consacrent à leur Marine que des budgets annuels de l’ordre de 3 MdF
(0,46 Md€) en construction et de l’ordre de 1 MdF (0,15 Md€) en
entretien.
Les marchés de ces sept pays sont des marchés de renouvellement,
assez prometteurs au moins sur deux segments, celui des sous-marins et
celui des frégates.
II
La DCN dispose de réels points forts
A
Son intégration même est un avantage à différents
points de vue
Ainsi, le fait d’exercer à la fois les métiers d’ingénierie et de
construction navale permet normalement de travailler à coût objectif et
d’optimiser la conception en tenant compte des contraintes industrielles.
De même, la pratique conjointe de l’ingénierie et du maintien en
28 Ou seulement des porte-aéronefs légers.
L
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ARMEMENT DE L
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57
condition opérationnelle fait bénéficier la conception des produits
nouveaux du retour d’expérience. Très utile également est la possibilité
d’oeuvrer simultanément dans la construction neuve et le maintien en
condition opérationnelle, qui facilite l’absorption des fluctuations de
charge de l’activité de construction, compte tenu du volume significatif
(35 % environ du total) et susceptible d’être planifié de l’activité de
maintenance.
B
La gamme de produits de la DCN est très complète
DCN produit toutes les catégories de navires et de systèmes de
combat :
- des sous-marins nucléaires, soit lanceurs d’engins (SNLE), soit
d’attaque (SNA), destinés à la marine nationale ;
- des sous-marins à propulsion classique, proposés à l’exportation ;
- de grands bâtiments complexes, porte-avions, frégates de premier
rang, bâtiments d’intervention et de projection de forces ;
- des navires de taille ou de complexité moyenne à haute densité
d’équipements :
frégates
de
second
rang,
corvettes
ou
patrouilleurs fortement armés, chasseurs de mines
29
C
La compétence technique de la DCN est reconnue
Même si des difficultés, pour certaines non négligeables, ont pu
marquer la mise au point de certains bâtiments
30
, la compétence de la
DCN n’a pas à être mise en cause. Elle a su développer et mettre au point
des bâtiments aussi complexes que les SNLE de nouvelle génération, dont
les performances en matière de silence à la mer sont particulièrement
étudiées, ou le porte-avions Charles de Gaulle, seul navire de surface
européen à propulsion nucléaire doté d’une piste d’aviation permettant
des décollages et atterrissages horizontaux. De même, la « furtivité » des
frégates La Fayette a constitué une novation dans l’art de la construction
navale militaire.
29 Pour des navires ayant des capacités militaires plus réduites, par exemple des
frégates de surveillance, souvent construits aux normes civiles, la DCN se limite
souvent à des tâches d’intégration finale de sous-systèmes ou d’équipements.
30 On pense ici
aux problèmes rencontrés par le porte-avions Charles de Gaulle.
Mais, par exemple, la production des frégates Lafayette avait aussi été marquée par
des défauts des soudures qui avaient dû être reprises.
58
C
OUR DES COMPTES
D
Le partage des activités entre construction neuve
et réparations est un atout
L’activité de construction neuve, par essence fluctuante au rythme
des commandes, peut être lissée par les réparations, plus régulières en
volume et susceptibles d’être planifiées à l’avance. C’est là un atout très
important, dont GIAT industries n’a jamais pu disposer, compte tenu de
l’existence de la direction centrale des matériels de l’armée de terre qui
dispose de moyens importants et les utilise en priorité.
Aussi bien en France qu’à l’exportation, les besoins d’équipements
des Marines restent élevés, du fait du vieillissement actuellement constaté
des flottes : ils seront, surtout dans les prochaines années, limités par le
volume des budgets d’équipement décidés. C’est une seconde différence
avec GIAT industries, créée au début de la décennie quatre-vingt-dix dans
un contexte de forte diminution des besoins d’équipement des armées de
terre lié à la fin de la guerre froide.
E
Un effort de restructuration a été engagé depuis
plusieurs années
La DCN a cherché à la fois à adapter son potentiel humain à la
charge future prévisible, et à réformer son organisation et ses méthodes
pour améliorer sa compétitivité.
Sur le premier point, les effectifs sont passés de 17 515 agents à fin
1998 à 15 650 à fin 2000, grâce notamment à des mesures d’âge
concernant les ouvriers sous statut, dont le départ en retraite a été, jusqu’à
la fin de 2000, autorisé dès l’âge de 52 ans.
Sur le second point, différents chantiers ont été ouverts :
- l’organisation générale a pris une forme plus industrielle :
L
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ARMEMENT DE L
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TAT
59
L’organisation de la DCN
La DCN est maintenant organisée de la façon suivante :
* un siège à Paris, regroupant autour du directeur diverses
directions fonctionnelles (technique, industrielle, achats, ressources
humaines, finances-gestion, commerciale) dont les compétences ont été
assises ou renforcées,
* trois branches d’activités :
* la branche
Constructions neuves
, qui regroupe les établissements
industriels de Cherbourg, Indret et Lorient et les établissements d’études et
de projets DCN Ingénierie
31
, implanté à Paris, et DCN Ingénierie
constructions neuves, implanté à Lorient, Brest et Cherbourg
* la branche
Maintien en condition opérationnelle
, qui regroupe les
établissements industriels de Brest, Toulon et Papeete,
* la branche
Systèmes de combat et équipements
, qui regroupe les
établissements industriels de Ruelle et DCN systèmes de combat, implanté
à Toulon, Saint-Tropez, Brest et Paris
- un système de gestion d’entreprise (comptabilité-finances et
gestion de projets) est en cours de mise en place, et un service
d’audit interne a été créé ;
- dans le domaine comptable, le processus conduisant à la
production de comptes susceptibles d’être certifiés en 2001 a été
engagé avec l’aide d’un cabinet d’audit comptable extérieur ;
- dans le domaine de la qualité, la certification ISO 9001 a été
progressivement obtenue en 1999 et 2000.
Mais ces indéniables efforts de modernisation sont actuellement
loin d’avoir produit tous leurs fruits. Il est vrai que le chemin à parcourir
était particulièrement long.
31 Ce centre a vocation à être mis en extinction à l’issue de son processus de
redéploiement vers les deux centres DCN Ingénierie Constructions neuves et systèmes
de combat.
60
C
OUR DES COMPTES
III
Un secteur longtemps peu efficace et qui doit
encore réussir la modernisation de sa gestion
A
Un mode de gestion étatique inadapté
Longtemps
la
hiérarchie
des
établissements
de
la
DCN,
établissements très autonomes pour leur gestion, a privilégié les
performances techniques et industrielles au détriment des pratiques de
bonne gestion. C’est pourquoi toutes les composantes de la gestion de la
DCN examinées par la Cour se sont révélées lourdement défaillantes.
1
Une gestion budgétaire hors de contrôle
Au plan juridique et en termes d’organisation, la DCN a
commencé à prendre son visage actuel en 1967 avec la création, au sein
du budget de l’Etat, du compte de commerce des constructions navales
militaires. Celui-ci répondait à la nécessité de doter la DCN de règles de
gestion financière plus adaptées à l’exercice d’une activité industrielle et
surtout de lui permettre d’être présente à l’exportation. Le compte de
commerce permet en effet de prendre une commande sans qu’il soit
besoin de procéder à une révision de la loi de finances.
Le compte de commerce de la DCN
La DCN est actuellement gérée dans le cadre du compte de
commerce 904-05 créé et organisé par les lois de finances n°67-1114 du
21 décembre 1967 et n° 78-1239 du 29 décembre 1978. Destiné à
« retracer des opérations de caractère industriel et commercial effectuées
à titre accessoire par un service public de l’Etat »
, le régime du compte de
commerce offre de substantiels assouplissements aux règles usuelles des
finances publiques :
- par exception aux règles d’universalité du budget, les recettes sont
directement affectées aux dépenses ;
- la spécialité des crédits par nature est abandonnée au profit d’une
autorisation d’engagement, alimentée indistinctement par les différents
chapitres budgétaires, par l’intermédiaire de commandes, elles-mêmes
regroupées en activités ;
L
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ARMEMENT DE L
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TAT
61
- les résultats annuels de la gestion de ces crédits sont établis selon
les règles du plan comptable général, et non selon la nomenclature
budgétaire de l'Etat ;
- contrairement au principe de l’annualité budgétaire, le solde du
compte de commerce fait l’objet d’un report d’une année sur l’autre ;
- les prestations effectuées au profit du budget de la défense font
l’objet de facturations à celui-ci, pour le montant des dépenses constatées.
En revanche, restent interdits :
- l’emploi direct d’agents de l'Etat : en conséquence, les paiements
correspondants font l’objet de remboursements au budget de l’Etat ;
- toutes opérations d’investissement financier, de prêts ou
d’emprunts.
a)
L’absence de contrôle budgétaire préalable
La souplesse donnée par le compte de commerce a été dévoyée.
Depuis des années, la gestion budgétaire du compte de commerce,
réalisée en dehors du dispositif usuel de contrôle budgétaire, a échappé à
tout contrôle.
En effet, les établissements locaux de la DCN n’étaient pas soumis
avant l’an 2000 au contrôle financier déconcentré. Leurs dépenses ne
faisaient donc l’objet que d’un contrôle de simple régularité par le
comptable assignataire. Pour accroître le champ des dépenses non
contrôlées préalablement à leur engagement, la DCN avait même créé un
établissement local parisien. Ainsi, la quasi-totalité de ses dépenses
échappaient-elles au contrôle financier.
Pour contourner les rares contrôles subsistants, notamment sur les
frais de mission à l’étranger, la DCN a utilisé à tort les structures créées à
son profit pour l’exportation (DCN-I, DCN Log), en leur faisant prendre
en charge les pratiques que les derniers contrôles administratifs
interdisaient encore. L’exemple des frais de mission illustre bien la dérive
des procédures. Quand les remboursements de frais de mission prévus par
l’administration étaient jugés insuffisants, ils étaient d’abord partagés, la
DCN payant les billets d’avion et la société à capitaux d’Etat DCN-I
payant les frais d’hébergement. Dans certains cas, pour rendre le
dispositif encore plus favorable, DCN-I prenait entièrement en charge la
mission des fonctionnaires sans jamais se faire rembourser par la DCN,
62
C
OUR DES COMPTES
de sorte que l’existence de la mission ne figurait même plus dans les
comptes de l’Etat.
b)
Des dérives budgétaires à grande échelle et sans sanctions
La DCN a pleinement utilisé le fait que les crédits du compte de
commerce sont évaluatifs, permettant aux montants figurant dans chaque
ligne budgétaire d’être dépassés en exécution par rapport au budget
initial.
Dans ce cadre réglementaire, les contrôles de la Cour n’ont pu
conduire à aucune sanction de l’ordonnateur.
Ces
contrôles
ont
pourtant
fait
apparaître
deux
constats
particulièrement regrettables.
Le premier porte sur les dépassements budgétaires. La diminution
des budgets affectés aux constructions navales à partir de 1994 ne s’est
pas traduite par une réduction immédiate des activités de la DCN. Celle-
ci a compensé la réduction des crédits par de forts dépassements
d’autorisations budgétaires à partir de 1996.
A fin 1997, ces dépassements s’élevaient à près de 2 MdF
(0,30 Md€). A fin 1998, ils dépassaient encore 1 MdF (0,15 Md€), soit
près de 10 % du budget de la DCN. Ils avaient pour contrepartie des
retards
de
paiements
aux
fournisseurs
de
la
DCN
(plus
de
1 MdF (0,15 Md€) à fin 1997 dont 100 MF, ou 15,24 M€, dus au fisc),
retards de paiement générateurs d’intérêts moratoires. En 1997, ces
intérêts se sont élevés à 72 MF (10,98 M€), mais la Cour a constaté que
certains établissements, comme celui d’Indret, ne liquidaient pas les
« petits » intérêts moratoires malgré les observations du comptable.
Ces
dépassements
se
sont
étalés
sur
plusieurs
années.
L’établissement de Lorient a ainsi construit le quart d’une frégate de type
La Fayette en dépassement budgétaire. Les établissements exportateurs
(Toulon, Cherbourg, Brest et Lorient) ont eu recours à de telles pratiques
notamment pour financer de lourdes pertes à l’exportation, mais bien
d’autres
programmes
nationaux
d’armement
se
sont
retrouvés
ponctuellement en dépassement budgétaire.
Le second constat concerne l’utilisation à grande échelle de
comptes d’attente devenus permanents. Ces comptes permettaient de
«mélanger» les dépenses entre les différents programmes y compris ceux
non ou « mal » autorisés. Par exemple, les dépenses de l’établissement de
Lorient pour la fermeture de la base sous-marine de Kéroman n’ont pas
fait l’objet d’un financement du ministère de la défense bien que cette
L
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ARMEMENT DE L
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TAT
63
fermeture ait été demandée par ce ministère. La DCN a alors imputé les
dépenses correspondantes sur un compte d’attente qui n’a été soldé sur ce
point que quand l’établissement de Lorient a pu dégager quelques profits
sur la construction de frégates pour Taïwan.
Ces comptes d’attente n’ont pas seulement servi à permettre
d’anticiper l’arrivée de crédits normalement prévus pour une opération
décidée mais non encore mis en place, ils ont également permis le
financement d’opérations pas encore décidées. La DCN a financé ainsi un
procédé de propulsion anaérobie pour sous-marins classiques, que la
Marine ne voulait pas financer car elle n'en avait pas l’utilisation. Ce
programme, baptisé MESMA, a dû être autorisé depuis pour près de
300 MF (45,73 M€). Les dépenses relatives à ce programme restent
néanmoins portées en compte d’attente. Celui-ci se soldera au fur et à
mesure que des clients étrangers acheteurs de sous-marins achèteront
éventuellement ce procédé.
Enfin, des usages encore plus contestables ont été constatés. Ainsi,
les pertes financières sur certains petits programmes de diversification
lancés à l’initiative des établissements, comme la vente de portes d’écluse
par l’établissement de Lorient, ont-elles été en partie imputées sur des
comptes d’attente, dissimulant ainsi les pertes liées à ces ventes.
Ces
utilisations douteuses ont fini par émouvoir la hiérarchie. En décembre
1995, le directeur de la DCN, écrivait à ses directeurs d’établissement :
« A l’examen, il s’avère que [ces comptes ont] donné lieu à des dérives
depuis plusieurs années. En effet, [ces comptes] ne sont qu’une facilité de
gestion qui ne doit pas être assimilée à une oasis comptable »
. En
conséquence, il limitait à 1 % de la production de chaque établissement le
recours à ces comptes et soumettait au visa du directeur d’établissement
toute opération les utilisant. Ces instructions n’ont pas été, dans
l’ensemble, respectées avant 1999.
Sur ces deux points, des actions correctrices ont été prises, mais
seule l’introduction d’un nouveau système de gestion a permis d’en
réduire la portée en globalisant les autorisations budgétaires et en
supprimant les comptes d’attentes non financés.
Au total, la gestion budgétaire de la DCN est restée longtemps hors
de contrôle. La Cour a estimé que la DCN avait dépassé, à fin 1997, ses
autorisations
budgétaires
de
près
de
2 MdF
(0,30 Md€).
Ces
dépassements budgétaires ont eu pour contrepartie des retards de
paiements considérables envers les fournisseurs (en moyenne près de
1 MdF, ou 0,15 Md€). Ces retards sont quasi permanents depuis 1996.
64
C
OUR DES COMPTES
2
Des comptes irréguliers et dépourvus de signification
économique
L’ordonnance organique du 2 janvier 1959 dispose que les
comptes de commerce tiennent une comptabilité générale suivant les
règles du plan comptable sauf si un décret en décide autrement. Le
compte de commerce de la DCN n’a jamais fait l’objet d’un tel décret. La
comptabilité générale correspondante a pourtant été très fortement
dérogatoire - et donc irrégulière – jusqu’en 2000.
Non seulement les pratiques comptables ont
été
souvent
incorrectes mais encore et surtout les méthodes comptables ont été
fortement hétérodoxes.
Ainsi, les méthodes comptables utilisées par la DCN prévoyaient-
elles, jusqu’en 1996, la réévaluation des immobilisations et des stocks
souvent même à un rythme supérieur à celui de l’inflation. Les encours,
stocks et immobilisations incorporaient de la TVA au seul motif que la
DCN ne récupérait pas cette taxe.
D’autres méthodes comptables irrégulières concernaient les fonds
propres, les stocks ou les frais de recherche.
Surtout la DCN peinait à faire appliquer à tous ses établissements
les mêmes méthodes comptables, de sorte que la consolidation des
comptes était vidée de son sens.
La Cour a constaté un vaste ensemble de mauvaises pratiques
comptables dont les plus significatives sont ici synthétisées :
- l’absence d’inventaire correctement tenu et périodiquement
vérifié s’est traduit par des écarts de valeur atteignant le milliard de
francs. Par exemple, des stocks de pièces détachées étaient comptabilisées
« en transit » depuis plusieurs années. Près de 300 MF (45,73 M€) de ces
stocks ainsi portés dans les comptes se sont révélés être sans réalité
physique après vérification, ces stocks ayant été consommés depuis
longtemps. A l’inverse, ont été gardés physiquement et comptablement
des stocks pour des matériels déjà retirés du service;
- les transferts de stocks étaient comptabilisés en forme d’achats
négatifs de sorte que des établissements ont pu certaines années
enregistrer
globalement
des
charges
négatives
de
fournitures
d’approvisionnement;
- l'insuffisance des provisions, notamment celles sur les pertes à
terminaison, au mépris du principe de prudence. Une estimation de ces
besoins de provisions à fin 1997 s’élevait pourtant à près de 2,5 MdF
(0,38 Md€) ;
L
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ARMEMENT DE L
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65
- l'absence de prise en compte de la totalité des dettes fournisseurs
ou fiscales (par exemple, DCN Brest a oublié en 1996 de comptabiliser et
de payer ses impôts locaux, tandis que Ruelle omettait la TVA intra-
communautaire) ou de la réalité et de l’utilité des actifs.
Au-delà de ces dysfonctionnements, le principe de gestion retenu
pour l’élaboration des comptes était profondément inadapté.
Ce principe voulait que le compte de commerce vende au budget
général du ministère de la défense au coût complet, mais sans marge.
Cette règle de l'absence de résultat a vidé le compte de résultat de sa
signification économique.
Parce que la DCN ne pouvait pas faire de pertes sur ses ventes à la
Marine, quels que soient les surcoûts, prévus ou non, récurrents ou
occasionnels, d'exploitation ou exceptionnels, tous ces surcoûts étaient
facturés ensuite à la Marine. Ce système déresponsabilisait la DCN, la
non-qualité de la gestion ou de la production étant ainsi automatiquement
facturée au client final qui n'en pouvait mais.
Alors que ce principe de gestion avait pour objet de "protéger" le
budget de la Marine de la position de monopole de la DCN, en
"interdisant" à celle-ci de réaliser une "marge" au détriment du budget
général, la réalité a été toute différente.
Enfin, au-delà des dysfonctionnements de la comptabilité générale,
la comptabilité analytique de la DCN, qui en découlait, présentait en elle-
même de graves défauts : extrême sophistication la rendant opaque
32
,
pratiques insincères
33
, défauts de conception
34
. Conçue pour fournir des
bases de facturation, elle était utilisée au quotidien pour donner des coûts
de production, et non pas pour améliorer la gestion en réduisant les
niveaux de frais généraux. Bien au contraire, elle a permis que se
développe une inflation de ces derniers qui s’est traduite par des pertes
considérables.
Ainsi, la comptabilité générale a été tenue pendant des années de
manière gravement irrégulière, avec pour conséquence qu’elle ne donnait
pas aux gestionnaires et à l’Etat une mesure pertinente de la performance
économique de la DCN ou de ses établissements. En conséquence, la
Cour a dû juger que les comptes qui lui ont été soumis n’étaient pas
32 Pas moins de 188 centres de calcul, parmi lesquels seulement 81 centres de
production, soit moins de la moitié.
33 Notamment, gonflement anticipé des coefficients préétablis de frais généraux
« pour tenir compte de l’inflation »,
ce qui, jusqu’en 1995, engendrait des écarts
d’incorporation positifs d’environ 200 MF par an (30,49 M€).
34 En particulier, un taux trop élevé, de l’ordre de 40 à 50 %, de frais généraux.
66
C
OUR DES COMPTES
réguliers et n’étaient pas en mesure de donner une image fidèle de la
situation économique et financière du compte de commerce.
3
Des systèmes informatiques inexistants ou obsolètes
La DCN n’a jamais réussi avant l’an 2000 à disposer d’un système
unique d’informatique de gestion. Chaque établissement avait le sien,
parfois avec des éléments communs avec un autre site, mais jamais un
système vraiment identique.
Au
surplus,
chaque
établissement
disposait
d’une
cellule
d’informaticiens qui pouvait modifier les codes sources. Cette facilité a
été largement utilisée dans les grands établissements de sorte que nul
n’était plus en mesure de garantir l’intégrité des logiciels comptables.
Plus généralement, la DCN a sous-investi dans ses systèmes
informatisés opérationnels.
Les systèmes informatiques soit ont été inexistants comme ceux
liés à la gestion des projets et des devis, soit sont devenus obsolètes
comme ceux relatifs à la gestion des systèmes achat ou de gestion de
stocks.
Les conséquences de cette situation ont été lourdes.
Les insuffisances des systèmes de gestion de projet et de devis ont
souvent conduit à des «erreurs» sur les devis entraînant de lourdes pertes
financières, sans que l’on puisse dire si les pertes constatées par rapport
au devis tiennent à l’incurie ou à la simple erreur, faute de traçabilité de
l’élaboration du devis. De tels errements furent fréquents dans les
opérations d’entretien de la flotte. Le cas de la réparation de navires pour
l’Arabie Saoudite est à cet égard significatif (cf. annexe jointe). Les
opérations dites de diversification locale, comme la réalisation de portes
d’écluse à Lorient ou de plates-formes pétrolières à Brest, ont été souvent
perdantes faute d’un devis initial correct.
Le sous-investissement dans la gestion informatique des pièces de
rechange et des munitions a eu des conséquences particulièrement
lourdes. Les stocks concernés, dits stocks militaires, sont considérables
tant en valeur (près de 24 MdF au total (3,66 Md€), essentiellement à
Brest et Toulon) qu’en nombre (481 000 articles).
L
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67
Valeur des stocks militaires
DCN de Toulon
DCN Brest
Pièces de rechanges
5 400 MF (823,22 M€)
4 700 MF (716,51 M€)
Armes et munitions
8 400 MF (1 280,57 M€)
4 700 MF (716,51 M€)
La DCN a longtemps hésité sur l’organisation de la gestion de ces
stocks. Finalement, il fut décidé d’en laisser le rôle central à
l’établissement de Toulon. Mais ces hésitations se sont traduites par
l’existence de deux systèmes informatiques différents à Brest et à Toulon.
Faute d'outil informatique mis à jour, les paramètres de gestion de
stocks n'ont plus été calculés à DCN Toulon à partir de fin 1994 ; les
réapprovisionnements ont alors été assurés empiriquement à la demande,
de plus en plus souvent en urgence.
DCN Toulon n’a donc pas disposé d'un véritable logiciel de
gestion des stocks de fin 1995 à mi 1998. Les conséquences financières
de ce sous-investissement sont considérables si on le rapporte aux pertes
de capacités opérationnelles de la flotte et au renchérissement des achats
effectués ''en urgence'', c’est-à-dire sans concurrence, depuis lors.
Une des façons simples de mesurer l’efficacité opérationnelle d’un
service de gestion des stocks est de considérer son taux de service. Celui-
ci est le rapport entre le nombre de demandes de pièces ou d’appareils
satisfaites immédiatement et le nombre de demandes émises. Les taux de
service se sont fortement dégradés à DCN Toulon comme le montre le
tableau suivant.
Taux de service
Moyenne 85-96
1997
1998
1999
Matériels banals
Global 92 %
82 %
70 %*
63 %
Rechanges de prévoyance
Global 92 %
75 %
65 %*
61 %
* Incidence de la grève de 1998 comprise : en mai 1998, le taux de service était à
peine de 39 % pour les matériels et de 9 % pour les rechanges.
Au fil des années, la dégradation est très forte puisque que l’on
passe d’un matériel indisponible dans un cas sur dix avant 1996 à plus
d’un cas sur trois en 1999, avec des conséquences lourdes sur la
disponibilité des bâtiments de la Marine. Le chef d’état-major de la
marine estimait en 2001 que les pertes de disponibilité opérationnelle des
68
C
OUR DES COMPTES
bâtiments de la Marine sont dues dans 35 % des cas à un manque de
pièces de rechange.
Le coût de la modernisation du système de gestion de la
configuration de la flotte et des stocks de rechanges, est aujourd’hui
évalué par DCN de Toulon à près de 100 MF (15,24 M€).
Enfin, l’éclatement des logiciels « achats » entre les établissements
n’a pas été sans conséquence. Outre les frais redondants de maintenance,
qui furent aggravés par le passage à l’an 2000 et à l’euro, ces systèmes
n’avaient pas de liens entre eux et des liens imparfaits avec les systèmes
comptables. De la sorte, la DCN, malgré sa puissance d’achat, ne
disposait pas et ne dispose pas encore d’un véritable fichier fournisseurs.
4
Des achats conduits sous la seule pression de l’urgence au
mépris des règles
Les achats sont d’une importance cruciale pour DCN. Ils
représentent en effet près de 60 % de ses charges (6,30 MdF, ou
0,96 Md€, en 1999). Les économies possibles sont probablement
significatives car, tant en raison de l’absence d’une centralisation des
achats que de la multiplication des fournisseurs locaux de chaque
établissement, la DCN ne présente pas un profil d’approvisionnement
comparable à celui d’un industriel de même taille.
Jusqu’à présent, la DCN avait privilégié l’achat local. Le plus gros
établissement, celui de Brest, avait poussé très loin cette logique au point
de s’entourer de grosses PME locales. Celles-ci, fortement dépendantes
des commandes correspondantes, ont connu depuis 1998 de sérieuses
difficultés.
Le choix de privilégier les achats locaux auprès de fournisseurs
dépendants, appuyé par un système informatique local d’achat connu
seulement de quelques agents, auquel s’est ajoutée l’absence complète de
contrôles de la hiérarchie, a ouvert la porte à toutes les malversations,
comme dans l’établissement de Toulon.
La gestion des achats de la DCN, particulièrement celle de son
établissement de Toulon, fait actuellement l’objet de deux procès pénaux
impliquant près de 80 personnes, agents publics ou fournisseurs.
La crise profonde des achats de la DCN a néanmoins d’autres
racines.
La principale est sans doute l’émiettement des achats et la quantité
des achats dits « d’urgence ». En 1998, 94 % des actes d’achats de la
DCN étaient de faible montant. Les achats sur facture, qui représentaient
L
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ARMEMENT DE L
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TAT
69
54 % de ces actes étaient d’un montant moyen de 6 444 F (982,38 €). Le
« coût de production » d’un tel achat était de 2 150 F (327,77 €). La DCN
dépensait donc en salaires et moyens informatiques plus de 2 000 F
(304,90 €) pour acheter des biens d’une valeur moyenne inférieure à
7 000 F (1 067,14 €).
La plupart de ces achats, notamment à Toulon, étaient dits urgents.
Cela permettait de n’avoir recours que trop rarement à la mise en
concurrence. Les difficultés informatiques et les fréquentes réformes de
structure, sans transfert de compétences humaines, ont contribué à
engendrer des retards tels que presque tous les achats devenaient urgents.
Pour absorber une telle masse de petits actes, la Cour a également
observé que la DCN et surtout son établissement de Toulon ont eu
largement recours à des « sous-traitants » de l’achat comme l’UGAP,
mais aussi DCN-I ou DCN Log. Ces structures passaient les actes d’achat
que la DCN n’avait plus le temps de réaliser elle-même. Les achats ainsi
effectués, sans contrôle, ne se sont pas toujours révélés réguliers.
Enfin, la DCN et notamment sa branche ingénierie à Toulon ont eu
recours massivement à des marchés illégaux « d’assistance technique »,
permettant de bénéficier des services de personnels extérieurs travaillant
en son sein sous les ordres de sa hiérarchie. En 1997, plus de 1 000
personnes étaient ainsi employées à la DCN, dont 600 dans la branche
ingénierie. Ces marchés ont été parfois passés au mépris de toutes les
règles et un certain nombre d’entre eux font l’objet d’une instruction
pénale.
5
L’Etat gère avec difficulté les personnels affectés à la DCN
A périmètre comparable, la décroissance des effectifs de la DCN a
connu une certaine accélération en 1996 grâce à un ensemble de mesures
générales ou spécifiques.
Evolution des effectifs de la DCN
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
Effectifs à fin d’année
21 764
20 883
19 367
17 633
16 418
15 095
15 180(P)
Source DCN
(P)= prévision
Les mesures spécifiques sont de deux ordres :
- la possibilité offerte aux agents relevant du statut « d’ouvriers
d’Etat » de prendre leur retraite à 52 ans : cette mesure,
particulièrement coûteuse, a été en vigueur jusqu’au 31 décembre
70
C
OUR DES COMPTES
2000. Elle était financée par un fond d’adaptation industriel lui-
même abondé par l’abandon de commandes de la Marine ;
- divers dispositifs de transferts vers d’autres services du ministère
de la défense, notamment vers les services administratifs de la
Marine : compte tenu de la nécessité de faire appel au seul
volontariat, ces dispositifs n’ont eu d’effet que dans les ports
militaires, c’est à dire à Toulon et à Brest.
Au total, la diminution des sureffectifs a été opérée principalement
par une mesure d’âge, socialement bien perçue mais financièrement
coûteuse.
En 2001, l’incidence de la réduction du temps de travail à
35 heures, dont la mise en oeuvre a fait l’objet d’un accord avec les
syndicats en 2000, conduira à une hausse modeste des effectifs, mais qui
rompt singulièrement avec leur décroissance organisée à grands frais
jusqu’alors.
La Cour a cependant constaté que la DCN cumulait les difficultés
des sureffectifs et du sous-encadrement.
6
Une faible productivité témoignant d’un important sureffectif
Les sureffectifs directs proviennent principalement de la baisse du
plan de charge de la DCN, mais ils sont aussi pour partie masqués par la
sous productivité d’ensemble de cet organisme.
Cette
sous-productivité
de
la
DCN
peut
s’apprécier
soit
globalement soit par une étude plus précise de chaque site de production.
Les deux méthodes conduisent aux mêmes conclusions.
L’approche globale fait ressortir deux constats :
- la structure d’emploi du personnel montre qu’il y a un agent dans
les tâches de soutien pour un agent affecté à la production (cet
indicateur traduit également le fait que la production a une
définition relativement étroite à la DCN).
- les charges de personnel sont élevées par rapport au chiffre
d’affaires au regard des standards industriels usuels qui situent le
chiffre d’affaires par agent à au moins 1 MF (0,15 M€) par an.
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71
Chiffre d’affaires par agent
1995
1996
1997
1998
1999
Recettes
effectives
17 274 MF
(2 633,40 M€)
15 965 MF
(2 433,85M€)
16 667 MF
(2 540,87 M€)
13 301 MF
(2 027,72 M€)
11 624 MF
(1 772,07 M€)
Effectifs à fin
d’année
21 764
20 883
19 367
17 633
16 418
Recettes par
agent
0,79 MF
(0,12 M€)
0,77 MF
(0,12 M€)
0,86 MF
(0,13 M€)
0,76 MF
(0,12 M€)
0,71 MF
(0,11 M€)
Le niveau modeste de l’indicateur relatif aux recettes par agent
peut s’expliquer en partie par le fait que le processus de production de la
DCN est très intégré et qu’il n’y a pas beaucoup de sous-traitance dans les
fonctions de production. Les écarts sont néanmoins tels avec d’autres
industries comparables que ces données ne peuvent qu’amener à la
conclusion que la DCN peut encore gagner beaucoup en productivité.
Les analyses des sites industriels de DCN conduites par la Cour
corroborent cette conclusion.
L’existence de poches de sous-productivité a été constatée dans
nombre d’ateliers. Par exemple, à Lorient, les ateliers traitant de
l’entretien flotte ou de la fabrication de coques en matériaux composite
ont été longtemps sous-occupés. L’atelier de production de torpilles de
Saint-Tropez, d’un effectif d’environ 80 personnes, est resté sans
production pendant près de dix ans. A Toulon, le surcroît dû à
l’absentéisme pour cause médicale par rapport aux établissements bretons
de la DCN représente à lui seul l’équivalent de 70 emplois.
Le parc de machines industrielles est fortement sous-utilisé.
Certaines machines lourdes, jugées indispensables par la DCN, servent
moins d’un mois par an. C’est notamment le cas à Ruelle, mais aussi à
Indret. Ces parcs de machines ont néanmoins leurs équipes d’exploitation
et leurs équipes d’entretien. De façon plus générale, on doit constater que
rares sont les ateliers de la DCN où les machines travaillent en 2 fois
8 heures. A Indret, seules 31 machines sur 97 sont utilisées plus de 2 400
heures par an.
Dans certains cas, la sous-utilisation des matériels traduit
simplement une mauvaise gestion. A Indret, la DCN s’est dotée il y a dix
ans d’une machine à souder les hélices en titane. La Marine et la DGA
ont opté, tant pour les sous-marins que pour le porte-avions, pour des
hélices en cupro-aluminium. Comme la DCN n’avait pas la capacité de
production de ce type d’hélices, elle en a sous-traité la fabrication à un
72
C
OUR DES COMPTES
industriel
35
. Mais la machine d’Indret a été néanmoins conservée et
entretenue.
7
Un encadrement insuffisant
La Cour a constaté que la DCN ne dispose pas des cadres qui lui
sont nécessaires ni en quantité ni dans certains métiers, notamment ceux
de gestion. Tel est en particulier le cas pour des spécialistes des achats ou
des experts-comptables.
Le sous-encadrement de la DCN provient du manque d’appétence
des ingénieurs et des cadres du ministère de la Défense pour une structure
industrielle affectée par autant de difficultés et aux perspectives
incertaines. L’activité de réparation et d’entretien de la flotte en service
est particulièrement victime de ce sous-encadrement. Ainsi s’expliquent,
au-delà de la mauvaise gestion des stocks de pièces de rechanges, les
déplorables performances industrielles de cette activité. Pour certains
types de bâtiments de la flotte de surface, moins d’un bâtiment sur deux
est disponible pour l’état-major de la marine.
La DCN reproduit elle-même les conditions dont elle est victime
en ne valorisant pas assez les fonctions de production : près d’un agent
sur deux est affecté à des tâches de soutien.
En définitive, la gestion du personnel de la DCN a souvent toléré
de regrettables habitudes de sous-productivité. Celles-ci sont tantôt
générales tantôt propres à tel ou tel atelier. Les exemples abondent
d’ateliers laissés sans réaction en sous charge comme celui de l’atelier de
production de torpilles de Saint-Tropez ou comme celui chargé de la
production des hélices en titane à Indret.
Il importe désormais de revenir à des pratiques plus proches de
celles des industriels comparables.
Cette adaptation des effectifs au plan de charge prudemment
prévisible est un premier impératif.
L’adaptation des effectifs passe également par une meilleure
composition de la structure des emplois et de l’organisation industrielle,
c’est à dire un meilleur équilibre quantitatif entre cadres et ouvriers,
comme entre tâches de production et de soutien.
Enfin, les poches de sous productivité comme les ateliers en sous
charge durable ou les surcapacités doivent être réduites sans délai.
35 Ce qui a été à l’origine des difficultés rencontrées dans la mise au point des hélices
du porte-avions Charles de Gaulle.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
73
B
La modernisation de la gestion reste inachevée
Les difficultés de gestion de la DCN ont fini par convaincre les
ministères de la défense et des Finances d’engager à partir de 1998 une
série de réformes.
1
Une nouvelle charte de gestion
En 1999, pour changer profondément les modes de gestion de la
DCN et les rapprocher de ceux d’une véritable entreprise industrielle, les
ministres de la défense et des Finances ont publié une instruction, dite
« charte de gestion », ayant pour objectif de mettre fin aux errements
antérieurs.
La charte de gestion de DCN
Le fonctionnement du compte de commerce est fondé sur les
principes suivants.
La contractualisation des commandes
Les activités de la DCN au profit d’organismes budgétaires et de
clients privés respectent le principe de contractualisation. La facturation
des prestations est faite à l’avancement, au prix du contrat.
Les autorisations de programme imputées au budget de la défense
sont consommées par des contrats budgétaires. La consommation des
autorisations de programme se traduit par la mise à disposition
d’autorisations d’engagement à due concurrence au profit du compte de
commerce.
Les contrats budgétaires définissent l’échéancier de mise en place
des crédits de paiement.
Une structure de coût transparente
Le modèle de coût de revient de la DCN distingue désormais les
coûts de production, les coûts de structure et les coûts hors exploitation
normale. Les coûts hors exploitation normale correspondent aux charges
liées aux mesures de dégagement des cadres et aux rémunérations et
charges sociales liées au sureffectif.
Le sureffectif est égal à l’écart entre les effectifs réels et ceux
prévus au plan d’évolution des effectifs pour l’année considérée. Ce plan
est arrêté en cohérence avec les prévisions d’activité.
74
C
OUR DES COMPTES
Les prix des contrats doivent permettre de couvrir globalement les
coûts de production et les coûts de structure. Chaque contrat doit dégager
une marge positive sur les coûts de production.
La couverture éventuelle des pertes
La DCN établit son résultat annuel suivant les règles du plan
comptable général. Dans l’hypothèse où le résultat est négatif et ne peut
être imputé sur des réserves, la perte ainsi constatée est financée par des
apports du budget d’investissement de la défense. Les charges hors
exploitation normale sont couvertes par des ressources en provenance du
fonds d’adaptation industrielle.
Le pilotage stratégique et financier
Un plan stratégique est établi pour une durée de cinq ans et
actualisé chaque année.
Il est institué un conseil stratégique composé de représentants des
ministère de la Défense et des Finances.
Le bilan de la DCN fait l’objet d’une révision comptable menée
conformément aux principes du droit commun, avec l’assistance d’experts
indépendants.
Cette charte de gestion marque à l’évidence un progrès.
Cependant, son texte ne prévoit pas de sanctions en cas de manquements
à ses dispositions, ce qui est regrettable tant que la DCN reste dans le
périmètre du budget de l’Etat.
Un contrôle financier « déconcentré », en fait exécuté par un acteur
unique, l’Agent comptable des services industriels de l’armement
(ACSIA), a été mis en place à titre expérimental en 2000, puis a été
généralisé en 2001 dans la DCN. Il ne porte toutefois que sur des masses
globalisées.
2
La conception et la mise en place d’un nouveau système de
gestion
A partir de 1999, la DCN s’est lancée dans un grand projet de
modernisation de sa gestion pour un coût direct de 200 MF (30,49 M€)
environ. Ce projet comporte un nouveau système informatique et de
nombreuses actions de formation pour améliorer la culture économique
des agents.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
75
Un nouveau système de gestion (NSG) a été mis en chantier. Au
prix d’un effort financier élevé (coût total de 140 MF, ou 21,34 M€, et
coût d’établissement d’un bilan d’entrée : 47 MF, ou 7,17 M€), il vise à
doter la DCN d’un outil performant.
Mais la mise en place progressive de ce NSG se fait dans des
conditions difficiles, avec d’ores et déjà des pratiques irrégulières (17 000
factures payées manuellement, pas de ventes...) ; bien plus, le cadre
comptable d’ensemble reste à élaborer ; le volume des fonds propres de la
DCN reste par ailleurs à déterminer.
Ce projet, indispensable et urgent, se heurte à des difficultés. Les
outils informatiques modernes ont du mal à cohabiter avec les
programmes informatiques plus anciens que la DCN a souhaité garder
dans un souci d’économie. Cette difficile cohabitation ralentit le paiement
des fournisseurs de la DCN. Ainsi, à fin 1999 comme à fin 2000, la DCN
présentait des retards de paiements pour environ 1 MdF (0,15 Md€), alors
même qu’elle disposait de la trésorerie nécessaire pour honorer ces
factures.
La modernisation de la gestion des projets industriels doit être
poursuivie avec ténacité. L’outil informatique choisi par la DCN reste
sous-utilisé. Lors de l’enquête de la Cour, au premier semestre de 2001, la
moitié des projets industriels en cours de réalisation n’avait pas encore de
budget déclaré dans le nouveau système de gestion.
3
Un recentrage encore inachevé
Le recentrage du compte de commerce sur les missions
industrielles de la DCN est largement inachevé six ans après la réforme
destinée à séparer les fonctions industrielles des fonctions étatiques. Ces
opérations de séparation, non seulement ne sont pas terminées, mais
surtout, fait plus grave encore, elles ont été conduites en regardant le
présent et en préparant insuffisamment l’avenir.
Elles n’ont pas donné lieu à transfert de biens au budget général de
l'Etat, de sorte que le compte de commerce contient encore tous les actifs
déclarés étatiques mais valorisés à une somme nulle. Près de 25 MdF
(3,81 Md€)
sont
ainsi
traités
(stocks
militaires,
munitions,
immobilisations, etc.).
Au-delà des outils de gestion, le partage des missions entre la DCN
et les services étatiques n’est pas achevé. Par conséquent, le partage des
actifs industriels correspondants n’est pas clairement précisé et les
responsabilités sur ces actifs restent floues. Les discussions pour décider
quel service doit supporter les charges d’entretien et de modernisation de
76
C
OUR DES COMPTES
tous les biens en cause ont été très longues, quant elles sont terminées, et
n’ont pas aidé à une maintenance correcte de certains outils industriels
comme les grues des ports militaires.
4
Une profonde restructuration de l’organisation des achats
La réforme mise en oeuvre a consisté à rattacher les services achats
des établissements, non plus aux directeurs locaux des sites de la DCN,
mais à une direction centrale des achats aux moyens et compétences
renforcés.
Un plan de réforme a été conçu et son exécution est suivie de mois
en mois. Il tente de lutter contre les dysfonctionnements précédents en
réduisant le nombre des achats de faible montant, en recourant plus
souvent à la concurrence, en qualifiant les fournisseurs et en globalisant
les achats de sous-traitance.
La création d’une direction centrale des achats va dans le sens du
rétablissement de la situation, mais elle est récente. La DCN risque
néanmoins de buter sur l’obstacle du manque de personnels suffisamment
qualifiés dans ce domaine aussi longtemps qu’un changement de statut ne
lui aura pas donné davantage de souplesse pour les embauches.
IV
Les autorités de tutelle n’ont pas tiré les
enseignements de l'expérience des autres arsenaux
pour faire évoluer la DCN
Comme on l’a vu ci-dessus, dans ses premières années d’existence,
GIAT industries avait cru assurer son salut dans une politique
aventureuse d’expansion, de diversification et de prise de contrats à
l’exportation. Les conséquences financières d’une telle politique ont été
lourdes. Malheureusement, l’Etat, c’est-à-dire ici les autorités de tutelle,
n’a pas tiré pour la DCN les leçons de cette expérience.
A
L’Etat n’a pas su empêcher la prise d’affaires
à l’exportation à tout prix
Pour conforter son plan de charge, ou pour occuper des positions
sur certains marchés, la DCN a recherché des contrats d’exportation ou de
diversification.
Les
résultats
de
ces
actions
peuvent
s’analyser
globalement en termes d’activités et de résultats, mais aussi contrat par
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
77
contrat, cette seconde approche permettant de tirer simultanément
diverses conclusions relatives aux établissements concernés.
Globalement, les contrats d’exportation et de diversification ont
représenté pendant la dernière décennie une part non négligeable de
l’activité de la DCN, de l’ordre de 20 % en moyenne. La part des
exportations s’est d’ailleurs accrue ces dernières années, avec une hausse
à 28 % en 1998, une baisse à 16 % en 1999 et une remontée à 25 % en
2000. Actuellement, les activités de l’espèce représentent donc environ le
quart de l’activité totale de la direction.
Le bilan économique et financier des activités correspondantes est
particulièrement difficile à dresser. En effet, certains de ces contrats
conclus, soit dans un contexte de sous-charge qu’il s’agissait de
minimiser, soit pour acquérir des positions à l’exportation, ont été
négociés à partir de prix ne couvrant pas la totalité des charges, directes et
indirectes, susceptibles de leur être imputées. Dans d’autres cas, c’était
tout simplement la charge de travail nécessaire qui était mal évaluée, ou
les négociations commerciales conduites
de
façon
quelque
peu
hasardeuse, avec une insuffisante transmission d’informations entre
l’organisation
industrielle
et
l’organisation
commerciale.
Ces
observations étant faites, les travaux conduits par la Cour conduisent à
constater que :
- les contrats exécutés pendant la période 1992-1997 présentent
tous des résultats positifs, les charges étant calculées en coûts complets ;
- durant la période 1997-2001, les contrats exécutés à l’exportation
conduisent à une perte d’exploitation en coûts directs supérieure à
1,3 MdF (0,20 Md€) et à une possibilité de pertes supplémentaires
pouvant aller jusqu’à 800 MF (121,96 M€). Ne couvrant même pas leurs
charges directes de production, ces contrats n’ont évidemment pas pu
absorber une part quelconque des frais indirects ou hors exploitation.
Mais, s’ils n’avaient pas été pris, la DCN, et donc le budget de la
Défense, auraient dû supporter des frais de personnels supplémentaires
que l’on peut estimer compris dans une fourchette de l’ordre de 960 MF
(146,35 M€) à 1 450 MF (221,05 M€) suivant les hypothèses de mobilité
inter établissements envisageables. Ainsi, le bilan financier de la période
peut-il aller d’une valeur faiblement positive (100 MF ou 15,24 M€) à
une valeur fortement négative (- 1 200 MF ou - 182,94 M€) ;
- synthétiquement, sur la période 1992-2002, les contrats à
l’exportation auraient conduit d’une part à un bilan voisin de l’équilibre
financier pour la DCN, d’autre part à une économie de l’ordre de 2 MdF
(0,30 Md€) pour le budget de la marine nationale, enfin à des recettes
supplémentaires pour le budget de l’Etat de 1,4 MdF (0,21 Md€).
78
C
OUR DES COMPTES
Ce constat, globalement positif, n’enlève rien aux critiques
susceptibles d’être formulées à l’encontre des principaux contrats à
l’exportation, et qui portent sur leur déroulement et leur résultat financier,
comme sur les conséquences qu’ils ont pu avoir sur les divers
établissements de la DCN.
1
Les frégates de type La Fayette
L’établissement de Lorient de la DCN a construit en cinq
exemplaires pour la marine nationale des frégates furtives
36
de type La
Fayette. De ces bâtiments, ont été dérivés, principalement par adaptation
du système d’armes, des frégates destinées à l’exportation.
L’établissement DCN de Lorient
Consacré à la construction des bâtiments de surface de moyen
tonnage, l’établissement DCN de Lorient occupe une superficie de
27 hectares
à
l’embouchure
de
la
rivière
Scorff.
Il
employait
2 500 personnes en 1998 ; il a réalisé cette année là un "chiffre d’affaires"
de 1 580 MF (240,87 M€).
DCN Lorient a mis au point et utilisé avec succès une méthode de
construction par préfabrication d’« anneaux », c’est-à-dire de tranches
complètes de navires. Ces anneaux sont ensuite assemblés entre eux dans
un bâtiment appelé « forme », grâce à un puissant pont roulant.
Cette méthode a été appliquée pour la première fois pour les
frégates de type Lafayette destinées à la Marine nationale et à des
bâtiments destinés à l’exportation et dérivés des précédents.
La charge de travail correspondant à l’exportation a été forte pour
l’établissement pendant la décennie quatre-vingt-dix : alors qu’en 1990, la
production pour la Marine nationale représentait 90 % de la charge totale,
ce pourcentage est passé à 31 % seulement en 1999.
Pour l’avenir, la charge de travail possible pour l’établissement se
présente dans des conditions dans l’ensemble favorables : outre le
programme de frégates Horizon destiné à l’équipement de la force
aéronavale, la Marine nationale affiche des besoins de renouvellement de
sa flotte en bâtiments de cette classe, sous la forme d’une frégate multi-
missions, qui se déclinerait principalement en une frégate anti sous-marine
36 Des formes de coque et de superstructures particulièrement étudiées permettent de
diminuer la réflectivité radar du bâtiment, lui permettant ainsi d’être moins aisément
détectable.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
79
et une frégate polyvalente. Et le marché à l’exportation, en Europe et hors
d’Europe s’annonce dynamique.
Trois contrats concernant ces frégates ont été obtenus à
l’exportation :
- le contrat Bravo, entré en vigueur en décembre 1991, consistait
en la vente de six bâtiments non armés à un client asiatique. Les
bâtiments ont été livrés de mars 1996 à janvier 1998, dans le respect du
calendrier pourtant serré prévu au contrat. Un notable profit a été dégagé,
autorisant à la fin de 1997 un prélèvement au bénéfice du Budget général
des produits financiers résultant du contrat, pour un montant de 1,4 MdF
(0,21 Md€).
- le contrat Sawari II avec un client du Moyen-Orient, entré en
vigueur pour deux bâtiments en novembre 1994 et pour un troisième en
1997, les livraisons s’effectuant en 2002 et 2003. Suivant les prévisions
actuelles de la DCN, ce contrat devrait être bénéficiaire en coûts
complets.
- le programme Delta, signé en mars 2000 avec un autre client
asiatique, pour un ensemble de six bâtiments, dont un entièrement
construit en France et les cinq autres terminés dans des chantiers du
client, à livrer à partir de janvier 2005 pour le premier, jusqu’en juillet
2007 pour les éléments fabriqués en France du dernier. La DCN prévoit
actuellement que ce contrat sera pour elle bénéficiaire en coûts complets.
2
Le contrat d’entretien Mouette
Le contrat Mouette concernait des fournitures et des prestations de
carénage de six frégates et deux pétroliers précédemment livrés par la
France à l’Arabie saoudite. Il a été réalisé par l’établissement DCN de
Toulon.
80
C
OUR DES COMPTES
L’établissement DCN de Toulon
Etablissement très ancien (sa fondation remonte à plus de quatre
siècles), DCN Toulon a pour mission essentielle le maintien en condition
opérationnelle (MCO) de bâtiments de surface de tous types de la marine
nationale : porte-avions, frégates de tous types, transports de chalands de
débarquement, mais également de sous-marins nucléaires d’attaque, ainsi
que de munitions de tous types : classiques, missiles, torpilles et mines.
Jusqu’à une date récente, il assurait la gestion centralisée des
rechanges de la marine nationale. Cette mission est actuellement en cours
de reprise par le Service de soutien de la flotte (SSF) dépendant de l’état-
major de la marine.
Enfin, il assure la modernisation et l’entretien de bâtiments de
combat de marines étrangères. C’est dans le cadre de cette mission qu’a
été conclu le contrat Mouette.
Il dispose d’infrastructures développées, dont 225 000 m
2
de
surfaces bâties sur 130 hectares pour le site principal. Il employait 2 989
personnes à la fin de 1999.
L’établissement a connu, et connaît encore, de graves difficultés,
liées à une productivité d’ensemble qui demande impérativement à être
améliorée, mais également à une succession d’enquêtes judiciaires liées
aux achats et qui ont conduit à la mise en cause d’un nombre important de
personnels. Ces difficultés se sont traduites par une disponibilité très
inférieure aux valeurs souhaitées pour des bâtiments importants pour la
Marine nationale, tels les frégates lance-missiles ou les sous-marins
nucléaires d’attaque.
Signé le 31 janvier 1994, pour un montant de 3 310 MF
(504,61 M€), le contrat Mouette a été préparé, conclu et exécuté dans des
conditions qui appellent de fortes critiques. Les devis ont été établis dans
la précipitation et en méconnaissance de l’état réel des navires, la DCN
n’ayant pas jugé nécessaire d’aller sur place inspecter les bâtiments en
cause ; les spécifications techniques ont été rédigées de façon imprécise,
voire ambiguë, et donc susceptibles d’interprétations différentes, toujours
réglées en pratique au bénéfice du client. La multiplicité des acteurs due à
la complexité du montage administratif destiné à assurer les liaisons entre
un service industriel étatique et un client étranger a conduit à un défaut
d’affichage des objectifs réels poursuivis et à l’absence d’identification de
la perte en temps utile.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
81
En définitive, la réalisation de ce contrat a glissé dans le temps de
huit mois, et surtout, le bilan financier aboutit à une perte de 1 142 MF
(174,10 M€), soit 34,5 % du montant du contrat supportés par la seule
DCN, les autres industriels concernés n’ayant pas accepté une réduction
de leur marge.
3
Les sous-marins Agosta et Scorpène
Un contrat portant sur la construction de trois sous-marins
d’attaque à propulsion classique du type Agosta 90 B a été conclu le
21 septembre 1994 avec un client asiatique. Il prévoyait que le premier
exemplaire serait réalisé entièrement en France, que le deuxième serait
assemblé par le client et que le troisième serait entièrement construit par
ses soins. Le premier sous-marin a effectivement été livré en décembre
1999, les sections du deuxième fabriquées en France sont arrivées chez le
client en mai 1998 ; quant aux tronçons fabriqués en France du troisième,
ils ont été livrés en février 1999.
Mais le déroulement de ce contrat a connu de considérables
difficultés de divers ordres : l’assistance technique sur les sites du client
s’est heurtée à de multiples problèmes de disponibilité de postes
budgétaires à l’étranger pour les fonctionnaires et les militaires,
d’absence de volontariat pour les personnels ouvriers du fait de la
faiblesse des frais de mission ; difficultés de récupération par la DCN de
la TVA sur ses achats ; utilisation d’assistance technique illégale. Au
total, la perte à terminaison est estimée aujourd’hui à près de 20 % du
montant du contrat ; elle est susceptible d’être presque doublée en cas
d’échec du transfert de technologie prévu.
Le programme Scorpène est, quant à lui, le résultat d’un contrat
signé le 17 décembre 1997 entre la DCN et l’entreprise espagnole Bazan
d’une part, la marine chilienne d’autre part pour la fourniture de deux
sous-marins. En comptabilisant les dépenses afférentes à ce contrat en
coûts de production uniquement (donc sans contribution aux frais de
structure de la DCN) et hors taxes, la DCN dit aujourd’hui pouvoir
obtenir l’équilibre financier de ce contrat. Mais il est prématuré d’estimer
si cet objectif sera atteint. En tout état de cause, l’essentiel des frais de
développement (350 MF, ou 53,36 M€, sur 500 MF, ou 76,22 M€) restera
à la charge de la DCN.
Au total, on voit que les programmes de sous-marins à
l’exportation, s’ils ont apporté à l’établissement de Cherbourg une charge
bienvenue (bien que, au moment de leur signature, la sous charge
constatée localement ait été moindre que la DCN ne voulait bien le dire)
82
C
OUR DES COMPTES
vont se solder par des résultats, soit fortement déficitaires, soit, au mieux,
à peine équilibrés, même en ne tenant compte que des seuls coûts directs.
4
Les plates-formes de forage pétrolier SFX
Dans le cadre de sa politique de diversification et pour compléter
la charge de son établissement de Brest, la DCN a accepté de conduire
l’étude et la réalisation de deux plates-formes de forage pétrolier en mer
au profit d’un groupe spécialisé étranger. Les contrats relatifs à cette
fourniture furent signés entre février et mai 1998 : leur montant total
s’élevait à 2 553 MF (389,20 M€), dont 1 023 MF (155,96 M€) de part
DCN. Leur exécution connut diverses difficultés, liées pour partie à
l’inexpérience de la DCN dans un métier nouveau pour elle, pour partie à
la complexité de l’édifice financier et commercial mis en place entre la
DCN et son client, pour partie enfin à des imprécisions des spécifications
techniques. Quoi qu’il en soit, la perte industrielle à terminaison de ce
contrat, calculée sur les seuls coûts directs, était estimée par la Cour en
1999 à 400 MF (60,98 M€), soit 38 % environ du montant du contrat
initial.
Cette perte est d’autant plus regrettable que, de l’avis même de la
DCN, elle n’a pas permis de déboucher vers d’autres marchés de l’off-
shore pétrolier. La diversification de l’activité de DCN Brest dans ce
domaine, entreprise à grands frais, apparaît désormais aussi vaine que
coûteuse.
L’analyse qui précède se résume dans la constatation que, sur les
dix dernières années, seuls les contrats relatifs aux frégates ont été
bénéficiaires en coûts complets, ou restent susceptibles de l’être. Tous les
autres, qu’il s’agisse des contrats de construction de sous-marins,
d’entretien ou de diversification, conduisent à des pertes, même en coûts
directs. L’application des principes inscrits dans la charte de gestion
devrait permette d’éviter à l’avenir le retour d’une telle situation,
éminemment insatisfaisante.
B
L’Etat n’a pas encore correctement dimensionné
la DCN
Alors que l’exemple de la SNPE et le contre exemple du GIAT ont
montré l’intérêt de concentrer la production industrielle sur un petit
nombre de sites correctement dimensionnés et modernisés, l’Etat n’a pas
encore procédé ainsi avec la DCN.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
83
La principale action concrète conduite à ce jour a consisté à établir
sur chaque site des plans d’investissement destinés à rationaliser l’outil
industriel, en diminuant les emprises au sol et les surfaces couvertes, tout
en définissant un partage entre celles des installations ayant vocation à
rester au sein de la DCN industrielle, quelle que soit l’évolution de son
statut, et celles destinées à rester au sein de l'Etat. Une telle action était
évidemment nécessaire. Mais, telle qu’elle a été conduite, elle est très loin
d’être suffisante, pour deux raisons principales :
1 - Le dimensionnement correct d’un outil industriel suppose
l’analyse soigneuse de ses missions et de ses activités futures, à échéance
aussi lointaine que possible. En ce qui concerne les missions, les choses
sont claires pour certains établissements (la construction de bâtiments de
moyen tonnage à Lorient, celle de sous-marins à Cherbourg, l’entretien
des sous-marins SNLE à Brest, celui de la flotte de surface à Toulon et à
Brest). Mais d’autres établissements ont des missions futures moins
claires.
L’établissement DCN de Brest
L’établissement de Brest occupait au 1er janvier 2001 plus de 4000
personnes.
Sa mission était jusqu’à maintenant triple :
- il assurait depuis l’origine de ces matériels l’entretien des sous-
marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), dans la base de l’Ile-Longue,
à l’opposé de l’établissement principal sur la rade de Brest,
- il a réalisé des constructions neuves, particulièrement des
bâtiments de grande longueur : le porte-avions Charles de Gaulle y a été
construit ; il a construit également des anneaux de frégates en sous-
traitance de l’établissement de Lorient,
- une activité de diversification a été constituée ces dernières
années par la construction de plates-formes SFX destinées à l’industrie
pétrolière off shore.
Mais il n’est guère envisageable qu’une aventure analogue à celle
des plates-formes SFX soit tentée à nouveau, compte tenu du très mauvais
résultat financier enregistré par cette opération.
D’autres cas posent également problème. Il en va ainsi pour les
établissements de Saint-Tropez et Ruelle.
Pour Saint-Tropez, on peut s’interroger sur le point de savoir s’il
est toujours pertinent d’y produire des torpilles en bord de mer, au pied
84
C
OUR DES COMPTES
d’un château inutilisé qui appartient à l’établissement, alors même qu’il
existe un atelier moderne de torpilles à Toulon.
L’établissement DCN de Saint-Tropez
Spécialisé dans le développement et la fabrication de torpilles, le
centre de Saint-Tropez est, dans la nouvelle organisation de la DCN,
rattaché à la branche Systèmes de combat et Equipements.
Pendant les années quatre-vingt, sa charge de travail a été
essentiellement constituée par la fabrication de la torpille lourde F 17 et
par le développement et l’industrialisation de la torpille légère Murène.
Cette dernière a été finalement abandonnée sous cette forme, mais reprise
dans un programme franco-italien sous le nom de MU 90, dont la
production commence actuellement. Quant à la torpille lourde destinée à
remplacer la F 17, son lancement n’est pas décidé, bien qu’il s’agisse d’un
matériel stratégique pour l’armement des sous-marins.
Depuis longtemps, la charge de travail de l’établissement a été en
forte décroissance : en 1993, elle s’établissait à moins du tiers de celle de
1983 ; et de 1993 à 1997, le centre a connu une forte sous-activité, qu’il
n’a résorbée que partiellement par des travaux d’usinage en sous-traitance
fort mal rétribués, qui ont été à l’origine de pertes élevées.
Ses moyens industriels et ses effectifs ont certes été réduits : c’est
ainsi qu’en 1991 le site industriel dont le centre disposait sur la commune
de La Londe a été fermé, de préférence à l’établissement principal,
pourtant plus vétuste et géographiquement davantage enclavé. Quant à
l’effectif, de plus de 1 100 personnes au total en 1990, il est prévu qu’il se
limite à 300 agents seulement en 2002.
En fait, l’avenir de cette activité dépend essentiellement des futurs
programmes de torpilles qui seront décidés à l’échelon européen, des
alliances qui seront nouées de ce fait et de la répartition des missions
industrielles entre les partenaires. Dans l’hypothèse d’une vaste alliance
européenne, il n’est pas exclu que ce site, s’il est alors doté d’une charge
satisfaisante, puisse être conservé . Dans l’hypothèse inverse, un
déménagement à Toulon devrait être envisagé.
L’incertitude sur l’avenir de ce site impose en tout cas une
réflexion avant de l’inclure dans le périmètre futur de la DCN. Cette
réflexion doit d’ailleurs prendre en compte la perpective de réaliser à
terme une opération immobilière profitable : la DCN possède en effet, à
Saint-Tropez et à Gassin, un patrimoine non négligeable, dont un château
en bord de mer, des villas et un anneau au port de Saint-Tropez,
patrimoine dont la valeur peut justifier le maintien de l’établissement
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
85
dans le secteur industriel, dans une optique d’apport de fonds propres à la
future société nationale.
Pour Ruelle, le problème se présente dans des termes un peu
semblables.
L’établissement DCN de Ruelle
Fondé dès le 18
ème
siècle, l’établissement de Ruelle a été spécialisé
jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale dans la fabrication de
canons.
Après le développement et la fabrication dans les années cinquante
et soixante du système de missiles MASURCA
37
, qui est resté sans suite,
l’établissement s’est reconverti une nouvelle fois dans le métier
d’équipementier, dans des produits soit à dominante mécanique (systèmes
embarqués de manutention ou de lancement), soit à dominante
électronique (simulateurs d’entraînement, baies électroniques). Il possède
des machines de grandes dimensions permettant l’usinage de corps longs,
comme les lignes d’arbre.
Mais ces activités ne lui procurent qu’une charge de travail très
incertaine : de 1995 à 1998, celle-ci a décru de 1 133 milliers d’heures à
864, soit une baisse de près de 25 %. D’ici les cinq prochaines années, les
prévisions les plus optimistes font état d’un chiffre d’affaires de 600 MF
(91,47 M€) seulement. Cependant, l’établissement produit un système de
lancement vertical des missiles Aster qui pourrait apporter dans les
prochaines années un supplément de charge bienvenu.
Les effectifs sont eux-mêmes en décroissance régulière : de plus de
2 000 au total à la fin des années soixante, ils n’étaient plus que de 1 000 à
la fin de 1998, avec une moyenne d’âge élevée de 43 ans.
Mais la poursuite, pourtant nécessaire, de la décroissance de ce site
ne peut que poser la question de l’intérêt pour la DCN de continuer à
disposer à terme d’un établissement dont l’effectif sera très amoindri et
dont, au demeurant, les missions, particulièrement mal assurées,
pourraient sans nul doute être facilement reprises par d’autres
établissements de la DCN ou par l’industrie privée. C’est évidemment le
cas pour les activités de mécanique et d’électronique, y compris dans les
systèmes de lancement de missiles. Quant aux machines à usiner de
grande capacité, elles pourraient être transférées à l’établissement
d’Indret, ou encore à l’usine de GIAT industries de Bourges. On peut
regretter que, malgré les recommandations de la Cour, ce problème de la
37 Missile antiaérien, aujourd’hui en fin de vie, qui équipe les frégates antiaériennes.
86
C
OUR DES COMPTES
rationalisation des moyens d’usinage à grandes dimensions n’ait pas
encore été abordé par la Délégation générale pour l’armement : les
conclusions de cette analyse auraient été de nature à éclairer grandement
le destin du site d’Indret.
Enfin, une analyse sur l’opportunité d’inclure l’établissement de
Ruelle dans le périmètre de la future société doit de toutes façons être
lancée d’urgence. Si, ce qui est probable, elle conduit à l’absence
d’intérêt à long terme de cette solution, l’établissement de Ruelle doit être
maintenu dans le secteur étatique, et son avenir défini dans ce cadre, avec,
à terme, de nouvelles missions confiées par le ministère de la Défense, et,
à court terme, une gestion par la future entreprise permettant la poursuite
des activités qui se révéleraient rentables, telle la fabrication de systèmes
de lancement de missiles.
2 - Le partage des moyens au sein de chaque établissement entre
secteur étatique et secteur industriel doit prendre en compte la rentabilité
future des moyens concernés et la nécessité de les maintenir pour
satisfaire
à
des
impératifs
de
permanence
d’approvisionnements
considérés comme stratégiques. C’est la question fondamentale que pose
l’avenir de l’établissement de Cherbourg.
L’établissement DCN de Cherbourg
DCN Cherbourg existe depuis bientôt deux siècles. Après un siècle
de construction de bâtiments de surface en bois, il s’est lancé, dès 1897,
dans celle de sous-marins.
Actuellement, il occupe une superficie de 28 hectares dans
l’enceinte du port militaire de Cherbourg, il emploie 2 950 personnes pour
un chiffre d’affaires proche de 2 300 MF (350,63 M€).
DCN Cherbourg se distingue par le haut degré de complexité de
son produit essentiel, le sous-marin nucléaire capable de discrétion dans la
plongée à grande profondeur. Mais, cet établissement a également
développé, en vue de l’exportation, une gamme de sous-marins à
propulsion classique, dont il espère tirer un complément de charge
susceptible de pallier la baisse du volume de travail au profit de la Marine
nationale.
DCN Cherbourg dispose d’une capacité de développement et de
fabrication de sous-marins, aussi bien à propulsion nucléaire pour
l’équipement de la Marine nationale en sous-marins lanceurs d’engins
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
87
(SNLE) et en sous-marins d’attaque qu’à propulsion classique pour
l’exportation.
Outil essentiel du maintien à niveau de la force nationale
stratégique (FNS), cette capacité doit évidemment être conservée aussi
longtemps que la FNS restera au coeur de notre politique de défense. Or
son avenir paraît aujourd’hui poser des questions fondamentales.
Pendant longtemps, l’arsenal de Cherbourg n’a eu à affronter
aucun problème de charge :
« L’étude, puis la construction de six SNLE
du type Le Redoutable, les études liées aux refontes pour l’adaptation des
missiles M4 à ces bâtiments, la réalisation à Cherbourg de deux de ces
refontes, dans la période même où se construisaient six sous-marins
d’attaque (SNA), les études puis la construction des SNLE de nouvelle
génération ont maintenu à Cherbourg un haut niveau d’activité pendant
les trente dernières années… »
Tel est le constat d’un rapport remis en
1998 au ministre de la défense sur le maintien des compétences et
l’optimisation économique de DCN Cherbourg.
Mais la réduction du format de la flotte sous-marine de 6 à 4 SNLE
et à 6 SNA, décidée en 1996, est venue changer la donne, d’autant que
l’allongement de la durée de vie prévue pour les nouvelles plates-formes
ne correspond plus statistiquement qu’à l’engagement d’un sous-marin
nucléaire tous les 42 mois en moyenne et à la mise à l’étude d’une
nouvelle génération de sous-marins tous les quinze ans au mieux.
Jusqu’à maintenant, la conjugaison d’une baisse sensible des
effectifs (passés de 4 290 en décembre 1994 à 3 245 en décembre 1999),
conjuguée à la charge additionnelle apportée par deux contrats à
l’exportation ont permis d’éviter toute sous charge excessive. La
poursuite de la déflation des effectifs grâce à des mesures d’âge, ainsi que
l’obtention d’un nouveau contrat à l’exportation, pourraient permettre de
passer le cap des années 2000-2002 sans trop de difficultés. Ensuite, la
fabrication du SNLE NG n° 4, puis la construction des SNA futurs de
classe
Barracuda
pourraient conduire à éviter trop de problèmes sérieux
jusqu’en 2007 environ.
Mais ces considérations peuvent être infirmées si les espoirs
d’exportation de sous-marins classiques ne sont pas suivis de réalisation.
A défaut d’exportations, la charge apportée par les activités au profit de la
seule Marine nationale décroît rapidement : à partir d’un effectif de 3 000
personnes environ en 2000, et en supposant leur déflation continuée avec
les outils actuels, on aboutit à un sureffectif possible de l’ordre de 500
personnes vers 2003-2005, puis de l’ordre de 1 800 personnes en 2008.
L’exportation d’un sous-marin classique par an en moyenne
permettrait d’assurer l’emploi d’environ 500 personnes en sureffectif.
88
C
OUR DES COMPTES
C’est dire son importance pour l’avenir de l’établissement, importance
qui, aux yeux des responsables de la DCN, justifie les efforts consentis
jusqu’ici pour pénétrer ce marché à l’exportation, d’abord en développant
à ses frais un type nouveau de bâtiment, le Scorpène, puis en le
promouvant à l’exportation, avec, jusqu’à maintenant, un succès et un
échec (cf. en annexe l’analyse des programmes à l’exportation de la
DCN). Deux autres consultations sont actuellement en cours. Si elles
aboutissent favorablement, la DCN aura temporairement gagné son pari,
et seulement partiellement. La surcapacité en Europe dans ce secteur est
en
effet
telle
qu’une
concentration
est
inéluctable.
Mais
cette
concentration, de laquelle le chantier allemand
38
HDW ne sera pas
absent, ne concernera pas les activités de la DCN liées aux sous-marins
nucléaires.
On en vient dans ces conditions à se demander si ne devrait pas
être retenue une solution consistant à identifier à Cherbourg les capacités
nécessaires à la pérennité des bâtiments à propulsion nucléaire, à les
maintenir sous la main de l'Etat du point de vue de la propriété, et à les
faire mettre en oeuvre par la future Société nationale des constructions
navales, par le canal d’une convention à intervenir entre elle et l'Etat. Les
activités au profit de l’exportation que cette société pourrait conduire, en
liaison avec un ou plusieurs partenaires européens, feraient l’objet d’un
traitement financier approprié, par exemple sous la forme d’une
redevance ou d’une participation versée à l'Etat. Sans préjuger les
résultats d’une telle réflexion, force est de de constater que celle-ci n’a
pas été encore engagée.
C
Le coût des atermoiements de l’Etat va désormais
croissant
Si l’Etat a accepté d’engager un effort substantiel de modernisation
des outils et des méthodes de gestion de la DCN, les autres composantes
de l’avenir de la DCN ont été laissées en jachère.
La compétence technique de son personnel, qui a longtemps
constitué un atout de la DCN comme en témoignent les succès techniques
qu’elle a remportés, est aujourd’hui menacée. Les mesures d’âge chez le
personnel ouvrier ont pour contrepartie une perte d’expérience et de
compétence parfois difficile à gérer. Le sous-encadrement ne fait pas que
nuire à la disponibilité de la flotte, il augure mal de la conception, à
38 Qui a acquis le Suédois Kockums, a noué des accords de coopération avec l’Italien
Fincantieri et se préoccupe de l’avenir de l’Espagnol Bazan.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
89
l’avenir, des systèmes de combat qui sont désormais le coeur des
performances des navires de guerre.
Le redimensionnement et la modernisation de l’outil industriel de
la DCN restent à faire. Ceux-ci dépendent évidemment étroitement des
décisions à prendre sur le format de la DCN ainsi que sur les missions et
leur localisation.
Les difficultés financières de la DCN vont également croissant.
Après les lourdes pertes à l’exportation, les premières opérations de
redimensionnement ont été effectuées sur les fonds propres du compte de
commerce qui auraient pu constituer les futurs fonds propres d’une
société industrielle à créer.
Mais surtout, son statut actuel de régie directe de l'Etat lui interdit
de nouer toute alliance structurelle directe avec quelque société que ce
soit française ou étrangère. Or l’industrie européenne se restructure
actuellement en profondeur.
L’industrie européenne navale militaire : vue d’ensemble
Sept pays européens disposent d’une industrie navale de défense
significative : la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie,
les Pays-Bas, la Suède.
En
France
, l’acteur principal est aujourd'hui la DCN (chiffre
d’affaires total : 11 MdF ou 1,68 Md€, dont 10 MdF militaires), qui assure
la maîtrise d’oeuvre des programmes nationaux majeurs, et se trouve
également
présent
à
l’exportation
par
l’intermédiaire
de
DCN
International. Le deuxième acteur français est Thales (chiffre d’affaires
total : 45 MdF ou 6,86 Md€, dont 5 MdF militaires ; effectifs : 50 000
personnes) dont l’activité du « business group » naval est fortement
tournée vers l’extérieur
39
. La filiale Thomson Marconi Sonars (TMS) est
l’un des leaders mondiaux dans le domaine des sonars. Thales et DCN
sont déjà partenaires à l’exportation, à travers deux filiales communes,
UDSI pour les systèmes de combat pour sous-marins et SFCS pour la
réalisation d’un système de combat pour des frégates destinées à l’Arabie
Saoudite. Une société commune de commercialisation et de gestion de
programmes à l’exportation et en coopération est en cours de constitution.
Pour les bâtiments de faible tonnage ou faiblement armés, deux autres
acteurs sont présents : les Constructions Mécaniques de Normandie
(CMN ; chiffre d’affaires total : 0,4 MdF ou 0,06 Md€, dont 0,3 MdF
militaire ; effectifs : 628 personnes) et Alstom Marine (Chantiers de
l’Atlantique et Alstom Leroux Naval ; le chiffre d’affaires total du groupe
est de 8,6 MdF ou 1,31 Md€, dont 0,6 MdF militaire ; ses effectifs totaux
39 Les filiales françaises de Thales réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires
à l’exportation, et les filiales étrangères représentent plus de la moitié de l’activité
totale.
90
C
OUR DES COMPTES
de 4 400 personnes). Dans le domaine énergie-propulsion (dont
l’ingénierie d’ensemble est assurée par la DCN), Technicatome est
compétent pour la propulsion nucléaire, SEMT-Pielstick et Wärtsila
France pour la propulsion diesel.
Au
Royaume-Uni
, la société dominante est maintenant BAe
Systems, issue de la fusion entre BAé et Marconi Electronic Systems,
compétente aussi bien pour les plates-formes (avec les trois chantiers
VSEL, Yarrow et Kvaerner Govan), les systèmes ou les équipements
(chiffre d’affaires total du groupe : 123 MdF ou 18,75 Md€, dont 12 MdF
militaires ; effectifs : 83 400 personnes). Dans le domaine des systèmes,
outre les activités de l’ex-BAe SEMA (systèmes de combat pour bâtiments
de surface et sous-marins), BAe Systems détient 49 % de STN Atlas,
leader allemand dans le domaine de la lutte anti sous-marine, et a repris les
participations de Marconi dans les « joints ventures » AMS avec l’italien
Alenia et avec Thomson Marconi Sonars. Une concurrence subsiste
cependant pour les navires à faible et moyen tonnage avec Vosper
Thornycroft (chiffre d’affaires : 2,7 MdF ou 0,41 Md€, 1 MdF militaire).
Trois chantiers privatisés (Rosyth, appartenant au groupe Babcock,
Devonport et Portsmouth, géré par une société commune entre Vosper
Thornycroft et Bae Systems) assurent la majorité des travaux de
maintenance de la Royal Navy. Dans le domaine de la propulsion, Rolls
Royce occupe une place centrale, à la fois pour la propulsion nucléaire et
pour la propulsion classique civile et militaire.
En
Allemagne
, l’industrie navale fait intervenir des chantiers de
construction
navale
mixtes
civils/militaires,
séparés
des
systémiers/équipementiers. La part militaire représente moins de 5 % de la
production navale totale, et la surcapacité d’ensemble laisse prévoir de
nouvelles restructurations. Les industriels allemands sont les leaders
mondiaux dans le domaine des sous-marins classiques
40
; ils sont fédérés
à cet effet au sein du German Submarine Corporation (GSC), conduit par
HDW (chiffre d’affaires : 5 MdF ou 0,76 Md€, dont 3,7 MdF militaires ;
effectifs : 4 300 personnes) qui vient de fusionner avec le Suédois
Kockums. Dans le domaine des bâtiments de surface, Thyssen Werfen
(chiffre d’affaires total : 5 MdF ou 0,76 Md€, dont 3,7 MdF militaires ;
effectifs : 2 846 personnes), qui regroupe les deux chantiers Blohm &
Voss et Thyssen NSW, occupe de bonnes positions à l’exportation
(programme de frégates 124). A côté de cet acteur principal, Lürssen
(chiffre d’affaires total : 1 MdF ou 0,15 Md€, dont 0,7 MdF militaire ;
effectifs : 700 personnes) et également Abeking & Rassmunsen sont
spécialisés dans les navires de faible tonnage. Les chantiers privés assurent
l’entretien lourd des navires de la marine allemande. Pour les systèmes de
combat, STN Atlas détient le marché des sous-marins de conception
allemande. Enfin, dans le domaine de l’énergie–propulsion, on trouve
MTU (turbines à gaz) et MAN (diesel). Une initiative récente est à
remarquer : par une déclaration commune en date du 27 octobre 2000, le
chancelier et les industries de l’armement naval allemand indiquaient en
substance que les groupes Thyssen Krupp et Babcock concluraient une
alliance stratégique « de façon à maintenir la position de leader ainsi que
40 Près de 50 sous-marins du type 209 ont été exportés.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
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TAT
91
les compétences clés de l’industrie allemande…Cette alliance serait
ouverte à d’autres partenaires allemands et européens…Les entreprises
désireuses de s’associer devraient avoir un statut conforme aux principes
de l’industrie privée… ». Depuis cette date, les deux groupes industriels
précités ont effectivement conclu un accord de coopération.
En
Italie
, Fincantieri, leader de la construction navale (chiffre
d’affaires total : 10,6 MdF ou 1,62 Md€, dont 1,8 MdF militaires ;
effectifs : 8 582 personnes), est présent à la fois sur les marchés civils et
militaires ; sa privatisation est envisagée. Les filiales
41
du groupe étatique
Finmeccanica AMS et Wass sont spécialisées respectivement dans les
systèmes de combat et les radars et dans les sonars et les torpilles. Les
arsenaux militaires de la marine italienne réalisent une part importante de
la maintenance des navires.
En
Espagne
, Izar (chiffre d’affaires total : 8,85 MdF ou 1,35 Md€,
dont 3,1 MdF militaires ; effectifs : 11 173 personnes), qui a regroupé les
établissements d’Etat Bazan et AESA
42
couvre l’ensemble du domaine
naval : construction, intégration des systèmes de combat et entretien.
Aux
Pays-Bas,
Royal Schelde est spécialisé dans la construction et
l’entretien des bâtiments de surface. Le chantier RDM, spécialisé dans les
sous-marins, est en cours de restructuration. Signaal, filiale de Thales, est
spécialisé dans les systèmes de combat et les radars.
En
Suède,
les activités navales sont l’apanage du groupe Saab, qui
a absorbé récemment Celsius.
Les
alliances et coopérations internationales
sont nombreuses.
Les
programmes
en
coopération
provoquent
de
nombreux
rapprochements ; tel est le cas par exemple du GIE Eurotorp entre Thales,
TMS et Wass pour la commercialisation de la torpille légère MU 90, du
consortium Horizon pour les frégates franco-italiennes, de la coopération
entre DCN et Bazan pour la construction des sous-marins Scorpène, de la
coopération entre Bazan, Loockheed Martin et Bath Irons Works relative
aux frégates F 100 pour l’Espagne et l’exportation, de la coopération entre
HDW et Fincantieri sur le sous-marin U 212. Jusqu’à une date récente, les
alliances plus structurelles concernaient plus particulièrement les systèmes
et équipements, avec notamment les sociétés communes TMS, entre
Thales et BAe Systems, et AMS, entre BAe Systems et Finmeccanica ;
l’acquisition par Bae Systems d’une partie du capital de STN Atlas ; et
enfin l’acquisition de Signaal par Thomson-CSF. La fusion récente de
HDW et Kockums a créé un acteur majeur dans le domaine des sous-
marins classiques. Les mouvements de concentration déjà engagés se
poursuivront à coup sûr dans les années à venir.
41 Détenues conjointement avec BAé Systems.
42 Dont la privatisation est prévue en 2001.
92
C
OUR DES COMPTES
Aujourd’hui, la DCN est le seul constructeur naval en Europe qui
soit encore un arsenal d’Etat. Par conséquent, la DCN est, de jure et de
facto, à l’écart des restructurations en cours au niveau européen dans
l’industrie navale militaire. Le risque majeur est de voir la DCN être
laissée de côté lors d’un regroupement d’industriels européens visant à
créer un acteur dominant. Cet acteur dominant, comme il en existe un
désormais dans la construction aéronautique, serait alors entièrement non
français. La DCN, et derrière elle l’Etat, paieraient cher cette situation : la
DCN peinerait à exporter de manière rentable et la logique des économies
d’échelle ferait que même la Marine nationale serait tentée à terme de se
fournir auprès de cet acteur dominant. Cette situation aurait pour
contrepartie une réduction très forte de l’activité navale en France. Un
statut de société commerciale permettrait au contraire à la DCN de nouer
des alliances fortes avec un ou plusieurs partenaires français et, ensuite ou
simultanément, de rechercher des partenariats européens.
Dans ce contexte, la décision gouvernementale du 6 juillet 2001 de
transformer la DCN en société détenue par l’Etat prend tout son sens. Il
reste maintenant à faire passer d’ici 2003 cette décision de principe dans
les faits.
Ce qui est vrai au niveau de la DCN tout entière vaut également
pour certaines de ses activités principales.
Dans le domaine des torpilles, le GIE constitué entre Thales,
l’Italien Wass et la DCN pour la commercialisation de la torpille légère
MU 90 gagnerait à se transformer en alliance plus structurelle, qui
pourrait s’étendre à l’ensemble du domaine des torpilles
43
. Cela
permettrait d’aborder rationnellement le problème des actifs susceptibles
d’être apportés, venant de l’établissement de Saint-Tropez. A lui seul, le
statut actuel de la DCN interdit toute évolution en ce sens.
L’établissement d’Indret de la DCN, spécialisé dans la propulsion
navale, est dans une situation voisine.
43 Et, dans un avenir plus ou moins proche selon les contraintes budgétaires, ne
manquera de se poser la question d’un programme de torpille lourde susceptible de
remplacer la F 17 en voie d’obsolescence.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
93
L’établissement DCN d’Indret
L’établissement DCN d’Indret rassemble l’ensemble des moyens et
compétences dans les domaines de la propulsion et de la production
d’énergie. Il assure ainsi l’ingénierie et la maîtrise d’oeuvre de systèmes
intégrés de propulsion nucléaire et classique équipant l’ensemble des
bâtiments produits par la DCN, ainsi que d’équipements composant ces
systèmes (transmissions mécaniques, échangeurs de chaleur, propulseurs
hélices, etc, modules auxiliaires, etc.)
En
2001,
il
réalisera
un
chiffre
d’affaires
de
1 204 MF (183,55 M€), avec un effectif total de 1 100 personnes.
La DCN a conclu à ce jour divers accords de coopération
d’ampleur limitée :
- avec la société anglaise Rolls-Royce, pour une réponse commune
à l’appel d’offres sur la maîtrise d’oeuvre de l’appareil propulsif des
frégates Horizon ;
- avec la société américaine Northrop Grumman pour la licence de
fabrication d’éléments de la turbine à gaz WX 21.
Elle coopère avec Technicatome dans le domaine des chaufferies
nucléaires et avec Air Liquide dans celui des systèmes anaérobies
(MESMA, piles à combustible).
Une compétence complète dans le domaine de la propulsion est
évidemment nécessaire à un industriel majeur, comme veut le rester la
DCN. Mais cette compétence ne pourra très vraisemblablement se
maintenir qu’au prix d’accords plus complets, permettant aux partenaires
qui le signeraient d’imaginer, puis de construire un avenir commun. Dans
ce cas encore, le changement de statut de la DCN est un préalable
indispensable.
94
C
OUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
__________
L’analyse qui précède montre que les évolutions nécessaires pour
assurer le destin de la DCN n’ont d’ores et déjà que trop tardé.
Les incontestables atouts dont la DCN dispose encore ne
garderont de valeur que si des restructurations préalables sont menées à
bien.
Les nombreuses actions déjà engagées pour améliorer l’efficacité
d’ensemble doivent évidemment être conduites à leur terme, qu’il s’agisse
de l’organisation elle-même, du système comptable, du suivi technique,
industriel et financier des affaires, ou du contrôle de gestion et
d’obtention de la qualité.
Mais, et cela a été insuffisamment fait jusqu’à maintenant, ces
travaux doivent être conduits dans la perspective de la future société
nationale, dimensionnée pour affronter dans les meilleures conditions la
concurrence qui ne manquera pas de lui être opposée :
- les missions et activités susceptibles d’être confiées à chaque
établissement doivent être clarifiées ;
- le périmètre de la future société doit être déterminé en
conséquence, seuls étant apportés les actifs susceptibles d’une utilisation
convenable
avec
des
perspectives
de
charge
raisonnablement
envisageables. Cette règle est à appliquer tant aux établissements
complets, qu’au sein de chaque établissement, pour le partage entre les
actifs susceptibles d’être apportés et ceux que l’Etat doit conserver (avec
éventuellement pour ces derniers une convention d’utilisation au profit de
la société à constituer). Le cas des actifs considérés comme stratégiques
compte tenu de la politique militaire nationale, mais dont la charge de
travail ne serait pas complètement assurée, devrait faire l’objet d’une
réflexion identique.
Le bilan d’entrée pourra alors, mais alors seulement, être établi. Il
devra l’être avec le souci de tirer parti de toutes les sources de fonds
propres issues de l’ancienne activité de la DCN.
Le statut des personnels devra faire l’objet d’un examen attentif,
tenant compte des situations antérieures, mais permettant également à la
DCN de conserver une compétitivité convenable. Diverses solutions sont
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
95
possibles, dont il conviendra de peser les avantages et les inconvénients,
ainsi que l’acceptabilité sociale.
Si ces conditions sont remplies, la DCN pourra espérer connaître
une évolution plus proche de celle de la SNPE que de celle de GIAT
industries.
Dans cette perspective, la Cour recommande que :
- les efforts déjà engagés pour améliorer l’efficacité et la
compétitivité de la DCN soient vigoureusement poursuivis avec
notamment la mise en place effective du nouveau système de gestion,
une spécialisation correcte des divers sites et de bonnes relations avec
les services étatiques d’achat des prestations navales ;
- la DCN puisse améliorer son taux d’encadrement et réduire ses
sureffectifs, afin de maintenir à haut niveau ses compétences
techniques ;
- soient menées à leur terme, et sans délai, les réflexions
nécessaires au bon dimensionnement de l’outil industriel, des effectifs
et des disponibilités financières initiales, en veillant à un partage aussi
judicieux que possible des droits et obligations entre la DCN et le
secteur étatique. Cela implique que la future société ne dispose que des
capacités lui permettant de faire face à un plan de charge futur
raisonnablement assuré, l’excédent éventuel de charge étant destiné à
être sous-traité, à l’instar des tâches industrielles banales. La réflexion
correspondante devra s’intéresser à certains des sites actuels de la DCN
(Ruelle et Saint-Tropez), dont il n’est pas certain qu’ils doivent lui être
durablement affectés, ainsi qu’à la spécialisation de certains autres
(construction des sous-marins à Cherbourg et constructions neuves à
Brest) et enfin à la destination à donner à toutes les installations
existantes (maintien dans le secteur étatique ou apport à la future
société) ;
- après la décision de principe de changer le statut de la DCN
pour la transformer en société détenue par l’Etat, cette transformation
soit effectivement réalisée dans les délais prévus, pour lui permettre de
prendre enfin sa place dans les restructurations européennes en cours.
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Chapitre V
Conclusion générale
98
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L’analyse des évolutions qu'ont connues depuis 30 ans des
établissements à vocation industrielle que l’histoire avait situés au sein du
ministère de la défense, et des problèmes qu’ils ont aujourd’hui à
affronter
pour
assurer
leur
avenir,
conduit
à
des
conclusions
convergentes.
1. Pour tout un ensemble de raisons, tenant pour les unes au statut
étatique lui-même qui se révéla incompatible avec certaines évolutions
nécessaires (cas du service des poudres et du monopole correspondant),
pour les autres, et de façon plus permanente, aux rigidités découlant des
règles financières et de gestion applicables aux organismes d’Etat, ce
dernier est mal armé pour exercer en son sein des activités de nature
industrielle. Cette conclusion est confortée par la constatation qu’en
Europe, la France est le dernier des pays possédant une industrie de
l’armement notable à ne pas avoir transféré la totalité de ces activités au
secteur des entreprises, publiques ou privées.
Dans l’organisation qui prévalait à la fin des années soixante au
sein du ministère de la défense, les fonctions dites « étatiques », destinées
en toute hypothèse à demeurer au sein de l’Etat et celles proprement
« industrielles » étaient imbriquées dans des structures spécialisées par
domaine : les poudres, l’armement terrestre, les constructions navales.
Leur séparation, qui était un préalable à toute évolution ultérieure, s’est
effectuée à des époques très différentes : il y a plus de 30 ans dans le
secteur des poudres, de 1970 à 1980 pour l’armement terrestre, en 1997
seulement -et partiellement- pour les constructions navales.
Le statut des activités industrielles a connu quant à lui des
évolutions différentes suivant les secteurs concernés :
- imposée par la suppression du monopole des poudres en
application du traité de Rome, la création de la SNPE intervint
dès 1970 ;
- la création de GIAT industries, possible dès la fin des années
soixante-dix, a dû attendre 1990, faute de décision politique ;
- la transformation en société industrielle et commerciale du
service
à
compétence
nationale
qui
constitue
la
DCN
aujourd’hui, pourtant unanimement reconnue comme nécessaire
et urgente, vient d’être décidée dans son principe mais reste à
effectuer concrètement ;
- enfin, le ministère de la défense semble pour l’instant considérer,
contrairement à l’avis de la Cour, que le changement de statut
des AIA n’est pas un dossier urgent.
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99
Or, décaler exagérément les décisions nécessaires n’a, l’histoire le
montre, que des inconvénients :
- la SNPE, créée très tôt, a pu en trois décennies d’existence,
pallier la chute progressive de volume et de rentabilité de ses
activités militaires grâce à un développement de ses activités
civiles, qui, sans avoir encore atteint sa pleine maturité, leur
laisse un avenir pleinement ouvert ;
- la société GIAT industries, créée seulement à la fin de la guerre
froide, a vu son plan de charge décroître de façon régulière et
durable, sans jamais réussir à adapter son potentiel productif à
cette charge déclinante ; sa situation industrielle et financière
rend difficile une alliance européenne ;
- la DCN, encore service d’Etat, et donc dans l’incapacité de nouer
de véritables alliances industrielles, se trouve dans une situation
identique : l’industrie navale militaire européenne est pourtant en
pleine restructuration, sous la houlette, pour l’instant, des
industriels allemands ;
- les AIA voient leur charge, et donc leur compétitivité, décroître
régulièrement et de façon sans doute irréversible.
Le changement de statut des structures industrielles encore sous la
main directe du ministre de la défense, conduisant à leur transformation
en sociétés industrielles et commerciales, comme le principe vient d’en
être arrêté pour la DCN, est donc nécessaire et urgent.
2. Le deuxième enseignement tiré de cette analyse des évolutions
passées et de la situation actuelle est que ne doivent être apportées aux
structures nouvelles, et maintenues dans celles-ci, que les capacités
industrielles correspondant au coeur de métier et susceptibles d’être
complètement utilisées dans le futur :
- cette règle a été respectée pour la SNPE à sa création : les
poudreries dont le plan de charge futur était insuffisant avaient
été fermées ou reconverties au préalable ;
- GIAT industries a été créée en 1990 avec le périmètre défini
vingt ans auparavant, et qu’il aurait fallu revoir à la baisse. La
résorption de ces moyens excédentaires n’a jamais pu être
conduite avec l’ampleur et la célérité qui auraient été nécessaires
pour permettre à la société de retrouver son équilibre. Force est
de constater que l'Etat, dans ses diverses composantes, a répugné
à accepter les décisions correspondantes, certes socialement
difficiles. Aujourd’hui, c’est la survie même de cette entreprise
qui est mise en cause par cet attentisme ;
100
C
OUR DES COMPTES
- pour la DCN, la détermination des activités à maintenir dans le
périmètre
proprement
industriel
est
en
cours.
Mais
les
considérations liées à la charge future des diverses installations
sont insuffisamment prises en compte.
3. Le dernier enseignement qu’inspire l’histoire des anciens
arsenaux est relatif au statut des personnels. Les divers avantages dont
jouissent les personnels sous statut de fonctionnaires ou d’ouvriers d’Etat
sont peu compatibles avec l’exercice d’un métier industriel dans des
conditions de compétitivité suffisantes. Il est exclu que ces avantages
puissent être supprimés sans compensation par une décision unilatérale de
l’Etat employeur. Les expériences antérieures n’ont pas été vraiment
satisfaisantes :
- les ouvriers d'Etat du service des poudres se sont vu offrir le
choix entre le maintien de leur statut et le passage au régime des
conventions collectives moyennant une indemnité compensatrice.
Les conditions proposées ont fait que seuls les ouvriers les plus
âgés ont choisi de changer de statut. La SNPE a ainsi conservé,
sur plus de 25 ans, des personnels de statuts différents ;
- pour GIAT industries, le statut d’Etat des personnels ouvriers leur
a été conservé, de même que la possibilité de refuser les
propositions d’emplois publics susceptibles de leur être offertes.
Cette situation constitue un handicap de l’entreprise en termes de
compétitivité, et une contrainte lorsqu’elle essaye d’adapter son
potentiel à la charge de travail.
Pour autant, ce problème difficile reste susceptible de recevoir une
solution satisfaisante, que l’ensemble des personnels soient maintenus
dans une structure interne du ministère de la défense, ou que des
conditions
suffisamment
attractives
pour
eux
accompagnent
la
proposition d’un changement de statut qui leur serait présentée.
En définitive, l’échec n’est pas inéluctable dans la mise en oeuvre
des évolutions des établissements à vocation industrielle du ministère de
la défense. Le succès est lié à la volonté de prendre les décisions
nécessaires dès qu’elles sont techniquement possibles. Et de les prendre,
aussi bien pour le dimensionnement industriel que pour les questions liées
aux personnels, avec la rigueur et l’audace qu’impose l’exigence de
compétitivité des entreprises.
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101
Annexe
Les opérations d’exportation de la DCN
La complexité de certaines opérations d’exportation de la DCN
mérite qu’elles soient étudiées en elles-mêmes. Les trois chapitres qui
suivent décrivent par quels mécanismes elles peuvent être cause de
lourdes pertes.
102
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1
La construction et la vente de trois
sous-marins de type Agosta
Si le contrat Agosta de vente de trois sous-marins de type Agosta
au Pakistan, signé en 1994 et s’étendant jusqu’en août 2002, a peut-être
permis à la DCN de prendre pied sur le marché de l’exportation des sous-
marins militaires, ce fut au prix de lourdes pertes financières.
Sur le plan technique, ce contrat se caractérise par un transfert de
technologie en faveur des chantiers locaux, qui construiront les deux
derniers sous-marins, et par le développement et la fourniture d’un
système de propulsion anaérobie « MESMA », qui permet des durées
d’immersion très supérieures aux possibilités habituelles des sous-marins
classiques.
Aujourd'hui sa réalisation, bien avancée, présente encore de
nombreux risques, tant du côté du vendeur (respect des délais de
livraison, performances des navires, mise au point du système de
propulsion anaérobie), que de celui du client (retards de construction des
sous-marins 2 et 3, insolvabilité du pays).
Sur le plan financier le contrat affiche une lourde perte pour le
Ministère de la défense, connue dans son principe dès la signature du
contrat en 1994.
La DCN a autofinancé sa part des coûts de développement du
module MESMA pour un montant de 155 MF (23,63 M€), par le
mécanisme des opérations d’adaptation industrielle (OAI). Enfin, dans le
cadre d’un protocole d’accord conclu entre la DCN et les Chantiers de
l’Atlantique (CA) en 1992, les CA reçurent à titre d’indemnisation pour
des dépenses d’investissement et de prospection commerciale engagées
sur ce marché une somme de 29 MF (4,42 M€). Ce protocole prévoyait
également une rémunération conditionnelle dans le cas de vente de sous-
marins dans les six ans suivant la signature du protocole, qui s’élève, dans
le cadre du contrat Agosta, à 108 MF (16,46 M€), dont la moitié a déjà
été versée. (Ce montant a été pris en compte dans le devis et est
comptabilisé dans le déficit à terminaison).
Le déficit total peut donc être évalué aujourd’hui à 20 % environ
du montant du contrat.
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103
Objet de négociation entre le ministère de la défense soucieux de
maintenir de la charge à l’arsenal de Cherbourg et le Ministère des
finances, cet exemple illustre l’organisation dangereuse des circuits de
décision industrielle au sein de l’Etat. Aucune directive émanant de la
DCN ou d’une autorité du ministère n’a pu être produite, qui aurait fixé
aux négociateurs la marge à l’intérieur de laquelle il leur était permis
d’évoluer. Aucun document ne permet de savoir si les responsables de la
DCN ou de DCN-I ont admis, à un instant quelconque des négociations,
que le contrat allait être déséquilibré alors que la première offre reposait
déjà sur un devis optimiste. Enfin, comme aucun document relatif à
l’équilibre financier du contrat en cours de négociation, adressé au
cabinet du ministre ou reçu de lui, n’a pu être trouvé ou fourni après
demande, il s’avère impossible de savoir qui a décidé, et avec quelle
connaissance du dossier, de signer un contrat à perte.
104
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OUR DES COMPTES
2
La construction et la vente de deux sous-
marins de type Scorpène au Chili
Malgré un financement sur fonds propres et une exonération de
frais généraux, ce programme affiche un déficit du fait d'un devis sous-
évalué et de retards dans la mise en place des autorisations d’engagement.
I
Un navire développé exclusivement pour
l’exportation
Le sous-marin Scorpène est un sous-marin à propulsion classique
de nouvelle génération, développé par la DCN en coopération avec le
chantier naval espagnol Bazan (devenu Izar). Il a été développé par la
DCN, essentiellement sur ses fonds propres.
Le programme "Scorpène Chili" consiste en la fabrication, en
collaboration avec Bazan, de deux sous-marins destinés à la marine
chilienne, qui est, à l’été 2001, le seul client ferme de ce produit.
Signé le 17 décembre 1997, le programme doit se dérouler jusqu'en
2005, date des derniers essais à la mer. Les livraisons des deux navires
sont prévues les 31 mars 2004 et 2005. Les établissements concernés de
la DCN sont principalement DCN ingénierie Paris pour les études, DCN
Cherbourg pour la construction, DCN ingénierie Sud et DCN Ruelle pour
les systèmes de combat, et DCN Indret pour la propulsion.
Le partage avec Bazan est globalement de deux tiers/un tiers, au
profit de la partie française; le développement étant partagé à raison de
70/30 (les études de conception préliminaires revenant entièrement à la
DCN), la production et les approvisionnements à deux tiers/un tiers,
tandis que le poste logistique est partagé par moitié.
La fabrication de sous-marins classiques pour satisfaire les besoins
français ayant cessé en 1978, le développement d’un nouveau produit a
mobilisé des ressources élevées, de l'ordre de 350 MF (53,36 M€) pour la
partie française. Ce développement a été financé par le mécanisme des
opérations d'adaptation industrielle (OAI), alimenté initialement par les
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105
bénéfices provenant du programme de frégates Bravo, ainsi que par le
fonds d'investissement de la DCN
44
. La signature fin 1997 du contrat
Scorpène a conduit à mobiliser toutes les ressources disponibles de ce
fonds pour ce programme.
II
Les errements du programme Scorpène
La signature du contrat a été précédée d'une phase de double
négociation, d'une part avec le client chilien, d'autre part avec Bazan.
Mais les chiffrages sous-tendant ces négociations au sein de la
DCN, se sont avérés, au mieux, des approximations incomplètes et peu
étayées, au pire ils étaient inexistants. Ainsi, les devis « plate-forme » de
DCN Cherbourg furent établis pour des sous-marins entièrement
construits à Cherbourg
45
et manquaient de justifications solides, tandis
qu’aucun devis véritable des prestations de DCN Ingénierie Sud pour la
part « système de combat » n'avait été établi avant la signature du contrat.
Par ailleurs le devis de développement ne comportait aucune
provision pour aléas et la provision pour risques et aléas du devis de
réalisation n'était que de 3 %, ce qui est très insuffisant au début d'un
projet, réalisé en coopération de surcroît. De plus, les premiers devis,
bases des négociations commerciales, ne prenaient pas en compte le coût
des heures d’encadrement.
Au sein même du "groupe DCN", le coût des prestations incluses
dans le coefficient commercial de DCN-I et celui de l’intervention de la
structure financière Sofrantem n'ont pas été arrêtés avant la signature du
contrat avec le client, mais peu après, à la suite de nouvelles négociations.
Ce n'est finalement qu'en janvier 1998 que DCN Cherbourg
établissait un premier devis analytique complet de la partie plate-forme,
lequel ne fut d'ailleurs jamais transmis officiellement à l'équipe parisienne
de direction de projet. Quant aux premiers éléments concernant la partie
système de combat, qui représente environ le quart du coût global de
réalisation du projet, faute de désignation d'un responsable et des
ressources nécessaires, ils ne furent fournis par DCN Ingénierie Sud qu'en
octobre 1998, soit 10 mois après la signature du contrat.
44 Le conseil de gestion de la DCN a décidé en juin 1995 d'affecter 100 MF par an
(15,24 M€) pendant trois ans à des études de recherche et développement.
45 Par exemple, les transports de pièces entre Cherbourg et Carthagène ont été mal
anticipés.
106
C
OUR DES COMPTES
Enfin, le devis initial intégrait des profits financiers découlant de la
courbe de paiement favorable proposée à la marine chilienne, lesquels se
sont en grande partie évanouis, la courbe des recettes étant finalement
beaucoup moins favorable que prévu.
L'absence initiale d'éléments clés du devis a ainsi conduit à signer
ce contrat international sur la base d'estimations trop succinctes.
1 - Au conseil de gestion de la DCN, il a été prévu dès le 27 avril
1998,
au
vu
des
résultats
prévisionnels,
d'imputer
le
contrat
exclusivement en coûts de production. Le montant prévisionnel des frais
de structure ainsi non affectés est de l'ordre de 160 MF (24,39 M€), qui
sont donc à répartir au premier chef, sur les prestations fournies à la
Marine nationale.
2 - Le développement sur fonds propres doit être considéré comme
un investissement stratégique. La direction des constructions navales
considère en effet qu'il a permis "la conclusion d'un contrat à
l'exportation, essentiel à l'activité et au maintien des compétences de la
DCN dans ce domaine".
Il ne pourra cependant être apprécié et validé qu'à l'aune des succès
commerciaux à l'exportation de ces sous-marins.
3 - Les autorisations d’engagement (AE) nécessaires à la DCN ont
été mises en place le 26 novembre 1998, soit quarante-neuf semaines
après la signature du contrat, et 8 mois après sa date d'entrée en vigueur
(31 mars 1998).
Ce retard est attribué par la DCN au visa tardif par le contrôleur
financier des contrats réfléchis dits « double achat-vente » entre DCN-I,
SOFRANTEM et DCN qui sont une conséquence des montages
complexes imposés à la structure étatique pour pouvoir déployer une
action commerciale internationale (DCN-I), et gérer les flux financiers
relatifs à un contrat particulier (Sofrantem).
Les conséquences de ce retard d'AE sont de trois ordres. Le
démarrage tardif de l'industrialisation a désoptimisé celle-ci par rapport
aux projets initiaux, (études faites au fur et à mesure et non à l'avance,
utilisation d'équipes de nuits, déplacements en Espagne, décalage de
certains achats) ; les délais raccourcis de négociation et les définitions
plus
tardives
de
besoins
ont
lourdement
pénalisé
le
poste
approvisionnements ; enfin, les délais plus serrés d'études et de
fabrication augmentent les risques d'aléas, tel un retard de livraison du
premier sous-marin, qui entraînerait le versement de pénalités au client.
Pour le contrat Scorpène, l'évaluation des conséquences de ces
retards d'AE est estimée par la DCN à 53 MF (8,08 M€).
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107
4 - En septembre 2000, le déficit à terminaison était estimé à
22 MF (3,35 M€), le contrat étant chiffré exclusivement en coûts de
production.
La DCN affiche cependant un objectif de résultat à terminaison à
l'équilibre, s'appuyant sur un plan d'actions correctrices qui concerne le
suivi des coûts, la gestion des approvisionnements, des essais et celle des
risques.
En l'absence d'un autre marché à l'exportation, ce déficit d’un
contrat qui bénéficie, de plus, d'une coûteuse exonération "interne" de
frais généraux, doit pour l’instant être rapproché d'un coût de
développement annoncé de 350 MF, non inclus dans le contrat.
Le démarrage du programme Scorpène a été ainsi marqué par un
grave manque de professionnalisme lors de l'élaboration initiale des
devis, et par la très pénalisante mise en place tardive des autorisations
d'engagement. Les seules conséquences de ce retard dans la gestion
financière sont supérieures au déficit à terminaison du projet, tel qu’il a
été évalué en septembre 2000.
La DCN a fait le choix de financer les développements de ce
programme sur fonds propres, ne vendant à son premier client que la
construction. Elle considère en effet que ce contrat à l'exportation est
essentiel à l'activité et au maintien de ses compétences dans le domaine
des sous-marins classiques, où elle espère réaliser 50 % de son chiffre
d’affaires à l’exportation, en obtenant 25 à 30 % d’un marché mondial
accessible estimé à 40 MdF (6,10 Md€) sur 10 ans.
108
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OUR DES COMPTES
3
Le programme de construction de deux
plates-formes pétrolières SFX à Brest
Le projet SFX avait pour objet la construction de deux prototypes
de plates-formes de forage semi-submersibles pour l’exploitation
pétrolière offshore. Ces plates-formes, parmi les plus grandes et les plus
lourdes de leur génération étaient destinées à opérer dans des mers
chaudes et jusqu’à 2 500 m de profondeur.
Pour chacune d’elle, le contrat initial fut signé par DCN/DCN-
International et la société Triton Holding Ltd le 5 décembre 1997. Ce
projet entrait dans le cadre d’une politique de diversification civile de la
DCN Brest engagée en 1995, qui s’était déjà traduite en 1997 par la
réalisation d’un contrat de transformation d’une plate-forme pétrolière
pour le même client. Il visait à obtenir une charge de travail pour
compenser la diminution des commandes militaires.
Le déroulement de ce chantier a été marqué par de nombreuses
évolutions des spécifications demandées par le client, conduisant le devis
à évoluer notablement et ouvrant un contentieux qui ne fut réglé qu’en
janvier 2001.
I
Les difficultés de réalisation et les décalages de
calendrier
Les dates de livraison contractuelles initiales étaient octobre 1999
et janvier 2000, mais du fait de nombreux aléas, les plates-formes n’ont
été livrées que les 29 juin et 27 juillet 2000.
L'établissement de Brest, maître d'oeuvre, devait réaliser les études
de conception détaillée, assurer la maîtrise des sous-traitances majeures,
la réalisation des flotteurs tribord, l’assemblage des plates-formes,
l’armement et les essais, tandis que DCN Lorient, sous-traitant, assurait la
construction du flotteur bâbord de chaque plate-forme.
Initialement prévu pour assurer 3 490 milliers d’heures de travail
(dont 1630 à DCN Brest, 450 à DCN Lorient, et 1 410 en sous-traitance),
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109
le projet a finalement exigé près de 80 % d’heures en plus, avec un total
de 6 241 milliers d’heures, réparties entre les sites de Brest (4 600
milliers d’heures, dont 878 pour DCN Brest) de Lorient (533 milliers
d’heures dont 340 pour DCN Lorient) et d’autres sites pour 1 108 milliers
d’heures (en particulier 532 milliers d’heures aux chantiers de
l’Atlantique de Saint-Nazaire).
Compte tenu de l’ampleur des travaux à réaliser, le chantier a été
maintenu ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Il a rassemblé sur le site
de DCN Brest jusqu’à 2 500 intervenants divers.
Les causes des déficits prévisionnels, apparus dès le printemps
1998, sont variées : mauvaise connaissance par la DCN de ce type de
produit et de marché, manque de compétitivité par rapport aux chantiers
civils, inadaptation du processus d’établissement des devis, qui a affecté à
la fois la part traitée par les établissements et celle confiée à la sous-
traitance. Cette dernière, significative dès le début, a de plus constamment
augmenté au fur et à mesure de l'avancement des travaux, pour atteindre
environ 80 % de la charge des contrats.
La DCN estime que ce chantier a eu néanmoins des retombées
positives en la confrontant à des exigences nouvelles, notamment du fait
du contrôle exercé par la société de classification ABS, responsable de
l’acceptation de la plate-forme et de l’émission du certificat de classe
préalable à toute mise en exploitation d’un bâtiment, et en lui donnant
l’accès à de nouveaux fournisseurs, comme en la contraignant à revoir ses
procédures.
Cependant, l’analyse faite par la Cour du déroulement de ce
programme au sein des deux établissements principalement concernés a
mis en évidence l’absence de transparence dans les relations inter-
établissements, caractérisée par la conservation de marges de manoeuvres
non déclarées et la non-contractualisation des relations.
II
Un lourd déficit
Le montant initial de chaque contrat s’établissait à 1 276,50 MF
(194,60 M€), comprenant une part de construction proprement dite et une
part d'approvisionnement des "Owner Designated Equipment", (ODE)
ainsi réparties :
110
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OUR DES COMPTES
SSFX 1
SSFX 2
Total
Construction (DCN)
526,5
MF
(80,26 M€)
496,5
MF
(75,69 M€)
1 023
MF
(155,96 M€)
Appros. ODE (DCN-I)
750 MF
(114,34 M€)
780 MF
(118,91 M€)
1 530 MF
(233,25 M€)
TOTAL
1 276,5
MF
(194,60 M€)
1 276,5
MF
(194,60 M€)
2 553
MF
(389,20 M€)
A la part contractuelle dite de construction, correspondant à
1 023 MF (155,96 M€) de recettes pour la DCN, s'ajoutèrent des
financements publics destinés à l’exécution de travaux annexes, pour un
montant de 142 MF (21,65 M€). Le total des recettes attendues par la
DCN pour la construction des deux plates-formes s’élevait donc
initialement à 1 165 MF (177,60 M€).
Au contrat d’origine de 1 023 MF (155,96 M€) se sont ajoutés un
« accord collatéral », signé fin août 1999 et chiffrant certaines
modifications à 270 MF (41,16 M€), les coûts des « Variation Orders »
46
acceptés bilatéralement, soit 43,20 MF (6,59 M€), ainsi qu’un second
accord intervenu en janvier 2001, soldant l’ensemble du contentieux entre
DCN-I et THL au prix d’une soulte de 250 MF (38,11 M€) en faveur de
DCN/DCN-I.
Compte tenu du déficit prévu dès juin 1999, de 272 MF
(41,47 M€), la DCN décida de réduire globalement ses investissements et
ses frais de fonctionnement de 250 MF (38,11 M€) sur les exercices 1998
et 1999 afin de compenser ces seules pertes nées du programme SFX.
Mais le bilan final, tel qu’il s’établit en avril 2001, compte tenu de
diverses recettes annexes mineures (assurances, produits financiers), se
traduit par un déficit global de 340 MF (51,83 M€) pour l’Etat, soit
finalement près de 20 % des recettes (subventions encaissées comprises).
Bien entendu, les pertes évoquées ci-dessus étant relatives aux seuls coûts
directs, aucune charge fixe n’a été absorbée par ce contrat.
L’inexpérience de DCN dans le domaine très particulier de l’off-
shore a ainsi très lourdement affecté la réalisation des contrats “ Sedco
Express ” et “ Sedco Energy ”.
46 Dans le domaine de l’off shore, le donneur d’ordre peut imposer au constructeur
des modifications techniques, exprimées par des « variation orders », qui
s’imposent
à celui-ci, les modalités contractuelles étant négociées par la suite.
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La politique d'exportation et de diversification de la DCN avait été
présentée comme poursuivant trois objectifs : maintenir la compétence,
assurer de la charge et couvrir les frais de fonctionnement. Aucun de ces
objectifs n'a, dans le cas d’espèce, été finalement atteint. En effet, ce
contrat a peu contribué au plan de charge des établissements de la DCN,
puisque 80 % de la charge a été sous-traitée. Il est peu probable que la
compétence acquise dans le domaine de l’off-shore trouve de nouveau à
s’employer à court terme. Le programme n'a en rien contribué à alléger
les frais de fonctionnement de l’établissement de Brest, non plus que ceux
du siège.
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Réponses des administrations
et des organismes intéressés
114
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115
REPONSE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’INDUSTRIE
Je tiens à saluer le travail réalisé par la Cour dans son rapport sur les
industries d’armement de l’Etat, dont les éléments d’analyse et de proposition
sont particulièrement utiles.
Comme le souligne le rapport, à côté des grandes entreprises du
secteur (EADS, Thalès, SNECMA), dans lesquelles l’Etat détient des
participations significatives, les industries d’armement de l’Etat sont
aujourd’hui à des étapes différentes de leur transformation : SNPE et GIAT
industries sont des sociétés commerciales alors que le service de la
maintenance
aéronautique
et
la
direction
des
constructions
navales
constituent des services dont les opérations commerciales s’imputent sur des
comptes de commerce.
Je partage la conclusion de la Cour selon laquelle le statut de celles de
ces industries qui ont vocation à fonctionner comme de véritables entreprises
mérite d’être banalisé, car seule une structure de société commerciale permet
d’obtenir la souplesse et la réactivité nécessaires à une activité industrielle.
Dans ce contexte, j’ai pris connaissance avec intérêt des réflexions de
la Cour sur les enseignements des évolutions industrielles passées, tant en
matière de moyens de production, de périmètre des activités que de statut des
personnels. Le rappel des expériences de SNPE et de GIAT industries permet
d’éclairer utilement les recommandations de la Cour sur l’évolution future de
la DCN et le cas échéant du SMA.
Le gouvernement a annoncé le 6 juillet 2001 sa décision de
transformer la DCN en société publique avant le 1
er
janvier 2003. Cette
réforme permettra de donner à la DCN les moyens d’assurer son
développement interne et international et de conduire des projets communs
avec ses partenaires industriels. Les dispositions législatives nécessaires
seront présentées au Parlement dans les meilleurs délais. Le gouvernement a
décidé de mettre en place un comité de pilotage de cette réforme. Ce comité
veillera à ce que toutes les dispositions soient prises pour permettre à DCN
de relever ce défi dans les délais impartis. La direction de DCN a d’ores et
déjà identifié douze chantiers pour la conduite du projet. Sont notamment
concernées la politique industrielle, la stratégie d’alliances, les ressources
humaines, la certification des comptes.
Dans ce cadre, les éléments de méthode suggérés par la Cour me
paraissent particulièrement intéressants : clarification préalable des missions
et activités confiées à chaque établissement, détermination du périmètre en
fonction des perspectives de marché, statut du personnel préservant la
compétitivité mais aussi l’acceptabilité sociale de la réforme. Enfin, je
partage l’avis de la Cour sur la nécessité de poursuivre l’amélioration des
116
C
OUR DES COMPTES
modes de gestion de DCN et de la doter à cette fin des moyens humains
nécessaires, à la fois au travers de ressources internes et externes.
Comme le montrent les précédents de GIAT industries et de SNPE, la
transformation d’un service de l’Etat en société commerciale est un chantier
lourd et difficile, compte tenu des enjeux sociaux, économiques, industriels et
budgétaires qu’il implique. L’objectif du gouvernement, s’agissant de DCN,
est de parvenir à la création d’une société économiquement viable, dotée de
l’outil industriel et des compétences nécessaires compte tenu des perspectives
d’activité et des évolutions prévisibles du secteur.
Dans le cas de SNPE, le gouvernement soutient le projet de
regroupement des activités de propulsion solide de SNPE et SNECMA au
sein de la société Herakles. J’estime qu’il est également de l’intérêt de SNPE
de mener à terme les négociations européennes engagées à la fois dans le
domaine de la propulsion des missiles tactiques et dans celui des poudres et
explosifs militaires. Le développement de l’entreprise dans les activités
chimiques devra également être soutenu en tenant compte du contexte
nouveau créé par la catastrophe survenue le 21 septembre dernier à Toulouse,
ville près de laquelle SNPE dispose de nombreuses capacités de production.
Dans le cas de GIAT industries, il me semble que les différentes
tutelles de l’entreprise sont conscientes de la nécessité de s’inscrire dans
l’esprit du plan stratégique, économique et social qui s’achève en 2002. Une
réflexion sur le format de l’entreprise devra le cas échéant être effectuée en
fonction des perspectives d’activité, notamment celles liées à de nouveaux
contrats à l’exportation. Elle devra également tenir compte des perspectives
d’alliances industrielles auxquelles les efforts d’ores et déjà consentis mettent
GIAT industries en mesure de participer.
L
ES INDUSTRIES D
ARMEMENT DE L
’E
TAT
117
REPONSE DU MINISTRE DE LA DEFENSE
L'analyse faite par la Cour des comptes de l'évolution au cours de ces
dernières années de SNPE, du SMA (service de maintenance aéronautique),
de GIAT industries et de DCN n'appelle pas d'objections majeures, en dehors
de quelques observations particulières. En revanche, les perspectives tracées
par la Cour dans ses conclusions ne paraissent pas, du point de vue du
ministère de la défense, comme les seules possibles ni toujours les plus
opportunes.
SNPE
Alors que le rapport souligne la pertinence de la politique industrielle
suivie par SNPE au cours des trente dernières années, les conclusions tirées
par la Cour laissent entrevoir que l'entreprise pourrait être menacée
d'éclatement du fait des rapprochements ou alliances qu'il lui faut envisager
et qu'elle prévoit d'ailleurs déjà. Or, une telle interprétation de la situation de
SNPE serait infondée.
En effet, SNPE n'est pas un "petit groupe" à l'échelle européenne,
comme le mentionne le rapport. Il est au contraire en position de leader sur
un ensemble de lignes de produit et dispose de deux pôles d'excellence :
- les matériaux énergétiques et la propulsion solide ;
- la chimie fine.
Les restructurations et rapprochements en cours devraient consolider
chacun de ces pôles de compétences, en faisant accéder la société, pour le
premier pôle, au premier rang en Europe et, pour le second pôle, au
cinquième rang mondial.
Par ailleurs, même si les synergies entre les deux pôles ont tendance à
diminuer du fait que, dans chacun de ces domaines, les applications se
développent sur des axes de spécialisation de plus en plus diversifiés, il n'en
demeure pas moins qu'il s'agit dans l'un et l'autre cas du même métier, avec
des préoccupations techniques ou des façons de faire qui restent communes.
L'avenir de SNPE passe par la poursuite d'une politique de
développement d'un ensemble industriel conservant une unité dans le réseau
d’alliances qui est en train de se former.
Le Service de Maintenance Aéronautique (SMA)
Le rapport porte un jugement extrêmement sévère sur la situation du
SMA et estime nécessaire une transformation de la structure actuelle.
Laissant entendre que, sur les trois ateliers industriels de l’aéronautique
constituant le SMA, il y en aurait au moins un de trop, il prend position en
118
C
OUR DES COMPTES
faveur de la constitution d’un pôle intégré de maintenance aéronautique
autour d’un industriel constructeur.
Même si l’on peut comprendre la logique de cette option, le ministère
de la Défense considère que le rattachement actuel à l’utilisateur que sont les
armées offre comparativement de très nombreux avantages. Ce n’est
d’ailleurs pas un hasard si des pays tels le Royaume-Uni, l’Allemagne,
l’Espagne ou les Etats-Unis ont fait le choix délibéré de maintenir, voire de
créer récemment, des structures similaires à l’organisation française.
Le maintien du SMA au sein du ministère de la Défense est une
garantie de réactivité et d’optimisation de la politique de maintenance des
matériels qui équipent les forces armées : les opérations extérieures récentes
en ont d’ailleurs démontré toute la pertinence.
Le SMA constitue, de plus, un moyen de dialogue utile dans les
relations économiques avec des constructeurs. De ce point de vue en effet, il
ne serait pas conforme à la réalité de laisser entendre que le SMA est une
structure qui accumulerait des pertes et ne serait pas compétitive. Les
données rassemblées ci-après permettent de donner un éclairage différent et
de présenter un diagnostic réaliste de la situation actuelle.
En effet, la baisse conjuguée de l’activité et des effectifs reste
maîtrisée et n’a pas affecté l’efficacité du service. De 1980 à 2000, les AIA
ont toujours maintenu des résultats de gestion équilibrés, en assurant
systématiquement l'adéquation entre leur charge et leur capacité.
Sur une période plus récente, l’examen des résultats du SMA
témoigne de la maîtrise des performances économiques des AIA. Pour
chaque exercice de la période 1997 – 2000, le SMA a dégagé un résultat net
positif qui a été obtenu malgré une stabilité des prix de vente en francs
courants et une baisse d'activité de l'ordre de 2 % par an. Cette performance
témoigne de la capacité des AIA à dégager des gains de productivité
substantiels.
Si le rapport signale deux
sources
différentes
d'appréciation
prospective du plan de charge du SMA -l'une fournie par le service, l'autre
présentée au conseil général de l'armement faisant apparaître une activité
prévisionnelle plus faible-, il convient de souligner que les deux estimations
ont été élaborées dans des contextes distincts et à des périodes différentes.
Les données de l'étude présentée au conseil général de l'armement datent en
effet d'avril 2000, alors que celles qui ont été fournies à la Cour sont
postérieures d'un an. Entre-temps, le plan de charge du SMA s'est précisé sur
un certain nombre de programmes, en particulier sur le Rafale, le Puma et les
moteurs PT6. Ainsi, les données actuelles du SMA, bien qu'elles soient
établies de manière prudente, prévoient à l'horizon 2008 une baisse d’activité
qui s’inscrit dans la tendance générale observée dans le secteur et dont les
conséquences ont été bien prises en compte dans l’évaluation des capacités à
venir du service.
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ARMEMENT DE L
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119
La nature même de l'activité du SMA, dimensionnée par le format des
forces armées, lui permet d'avoir, à périmètre constant, une vision réaliste de
son plan de charge à cinq ans, voire à plus long terme, et donc de gérer ses
évolutions et leurs conséquences, notamment en termes d'effectifs.
Le SMA dispose d'outils et de méthodes lui permettant de corréler les
besoins en ressources aux prévisions pluriannuelles d'activité. L’évolution
des effectifs, planifiée depuis plusieurs années, est en particulier conduite
pour conserver à terme les compétences nécessaires à l’activité du SMA.
L'optimisation de l'organisation du travail et le développement des synergies
possibles ont permis, et permettront, un abaissement du poids relatif des
charges de structure de manière à maintenir la performance économique du
SMA dont la compétitivité a pu être vérifiée à diverses occasions. Ainsi, pour
la transformation du standard K1 en standard K2 du Mirage 2000, le prix
payé par le client au SMA a été inférieur à la moitié du devis présenté par le
constructeur. Cette performance économique est d’ailleurs vérifiée par le
marché puisque les industriels constructeurs font appel au SMA comme sous-
traitant de certaines de leurs opérations à l’exportation.
GIAT industries
- Sur le programme majeur d'armement Char Leclerc
Même si "le Char Leclerc a été conçu dans le contexte de
l'affrontement potentiel en Europe des forces de l'Alliance atlantique et de
celles du pacte de Varsovie" et si après la fin de la guerre froide les
conditions d'emploi des unités de l'armée de terre ont été profondément
modifiées, le char reste un outil de défense indispensable, comme l’ont
démontré les événements récents. Il serait impensable, compte tenu de la
variété des crises ou des conflits auxquels la France pourrait être confrontée,
de ne pas disposer d'un système d'armes comme le char Leclerc.
Les prix unitaires mentionnés dans le rapport sur le coût d'acquisition
du char Leclerc correspondent à un coût complet supporté par l'armée de terre
française, incluant les frais d'investissement occasionnés par le démarrage du
programme, ces frais ayant d’autant plus pesé sur les coûts unitaires que la
série initiale a été fortement réduite. C’est pour cette raison qu’il n’est pas
d’usage de calculer le prix moyen d’un matériel d’armement en amortissant
tous les frais fixes et la logistique sur la série. En effet, en cas de réduction de
cible (de 1 400 à 406 pour le char Leclerc) le prix moyen fait un bond brutal
alors qu’il n’y a pas réellement de dérive de conception ou de fabrication…
- Sur la situation générale de l’entreprise et son avenir
Le ministère de la défense partage globalement le constat effectué sur
la situation de l’entreprise et la nécessité de continuer à l’adapter à ses
perspectives d’activité.
120
C
OUR DES COMPTES
Toutefois, la rédaction du rapport laisse entendre que le retour à
l'équilibre financier, avec un resserrement des capacités industrielles et des
effectifs, conditionne la participation de GIAT industries à des opérations de
restructuration à l’échelle européenne, alors qu’en réalité il est déjà en
discussion avancée avec des partenaires industriels.
S'il est juste, comme c'est déjà le cas, de "se poser… le problème de la
taille optimale que la société doit avoir pour retrouver une rentabilité", cette
question ne prend tout son sens que par rapport à un projet industriel visant à
renforcer les pôles d’excellence à conserver. Les restructurations à opérer en
interne et les alliances à nouer en externe sont directement dépendantes de cet
objectif.
Dans l’état actuel où se trouve l’entreprise, la poursuite de
l’adaptation de son organisation, de son mode de fonctionnement et de son
outil industriel permet de préserver, au très haut niveau qu’exige la
satisfaction de nos futurs besoins de défense, les compétences nécessaires à
l’activité de systémier et au maintien en condition opérationnelle du parc de
blindés.
DCN
La situation décrite par la Cour n'est pas seulement imputable aux
rigidités et aux insuffisances de son mode de gestion mais également à des
circonstances exceptionnelles.
Il convient, en effet, de rappeler que DCN a été à l'origine de
réalisations industrielles et techniques de premier plan et qu'il a du faire face,
au cours des dernières années, à de nombreuses contraintes dans un contexte
particulièrement défavorable. L’adaptation de notre outil de défense s’est
traduite par une diminution du chiffre d’affaires, de plus de 50 % en 7 ans,
qui s’est répercutée sur le plan de charge des établissements. Cette
diminution a conduit DCN à adapter ses effectifs, avec des marges limitées
pour gérer cette adaptation. Au total, les effectifs de DCN ont diminué de
30 % en cinq années seulement, alors que le statut d'administration imposait
des contraintes inhabituelles pour une activité industrielle, non seulement
pour la gestion des ressources humaines, mais également en matière
financière et d’achats.
Néanmoins, DCN a entrepris depuis plusieurs années un ensemble
d’actions destinées à adopter un comportement d’entreprise de plein
exercice : charte de gestion imposant à DCN le strict respect du plan
comptable et la contractualisation de ses relations avec le client étatique ;
mise en place d’un conseil stratégique, d’un comité d’audit et de suivi, et
d’un contrôle financier déconcentré ; modernisation des outils comptables ;
création d'un service d'audit interne ; réforme structurelle des services
achats ; spécialisation des établissements ; organisation de la production en
trois branches spécialisées.
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ARMEMENT DE L
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121
Ces efforts portent leurs fruits et ont conduit à des progrès
substantiels. Ainsi, DCN est-il sur le point de produire, pour la première fois,
des comptes issus du nouveau système de gestion et élaborés dans le cadre
d'une structure comptable unifiée.
Quant à la recherche de marchés à l'exportation, elle est indispensable
pour maintenir DCN dans une sphère d'activité compétitive par rapport aux
autres acteurs industriels européens.
L'activité d'exportation, qui représente aujourd'hui entre 20 % et 30 %
de l'activité totale de DCN selon les années, apporte une contribution très
significative à son équilibre global.
Le ministère de la défense partage l'analyse de la Cour pour limiter le
périmètre des immobilisations de la future société au strict nécessaire. C'est
pour la même raison que les personnels seront maintenus au sein de l'Etat et
mis à la disposition de la société.
Il est néanmoins clair que DCN comme son client principal ont un
intérêt tout particulier à ne pas séparer les activités nationales de l'activité
export, les gains de productivité et la stimulation industrielle apportés par
celle-ci bénéficiant aux commandes nationales.
Dans la suite logique des efforts substantiels de modernisation
engagés depuis plusieurs années, le gouvernement a décidé le 6 juillet 2001
de transformer DCN en société détenue par l'Etat pour lui donner les moyens
d'assurer son développement interne et international et de développer des
projets communs avec des partenaires européens.
Cette importante évolution donnera à DCN la réactivité inhérente au
statut d'entreprise tout en tirant pleinement profit des effets des réformes
mises en oeuvre depuis l'intervention de la séparation entre les fonctions
industrielles et les fonctions étatiques en 1997. Elle lui permettra également
de conclure les alliances qui s'avèrent nécessaires pour le sortir de son
isolement et assurer son développement dans un marché de plus en plus
concurrentiel.
Conclusion
L'évolution depuis dix ans, décrite par la Cour elle-même, témoigne
de la ferme volonté des pouvoirs publics d’adapter les modes de gestion.
Qu'il faille accélérer les réformes et adopter des structures souples pour tenir
compte des changements permanents qui interviennent, est incontestable ;
mais d'ores et déjà des résultats positifs sont constatés, avec l'évolution de
SNPE, la mise en place du service de maintenance aéronautique, les efforts
continus de rationalisation des moyens de GIAT industries, et le changement
de statut en cours de DCN.
Le choix des activités retenues par la Cour ne donne pas une vision
exacte de la réalité du rôle efficace joué par l'Etat-entrepreneur dans le
122
C
OUR DES COMPTES
domaine de l'armement : le nucléaire avec le CEA – militaire, les
constructions aéronautiques avec principalement Aérospatiale
47
et SNECMA
ont correspondu, ou correspondent encore, à des secteurs qui ont atteint le
niveau de développement qui leur est reconnu dans un cadre étatisé
d'entreprise. Le fait de ne pas avoir pris en compte ces activités influence
certainement le jugement que la Cour porte sur le secteur étatique de
l'armement.
47 Maintenant intégré dans le leader européen EADS.
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ARMEMENT DE L
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123
REPONSE DU PRESIDENT DIRECTEUR GENERAL DE LA SOCIETE
NATIONALE DES POUDRES ET DES EXPLOSIFS
La SNPE n’a pas d’observation à faire sur le bilan qui est conforme à
ce qu’ont été les 30 premières années de SNPE.
SNPE souhaiterait toutefois apporter quelques compléments qui
éclaireront mieux l’ampleur des efforts consentis par le groupe pour réussir
sa reconversion et préserver l’emploi.
Dans le chapitre II consacré à l’évolution de la société depuis sa
création, le paragraphe B mériterait d’être complété par un point spécifique
sur les trois établissements dont l’apport a été décidé dans un deuxième
temps et réalisé entre 1973 et 1975.
L’établissement de Toulouse a été et demeure la principale plate-
forme de développement de la chimie dans le groupe avec des effectifs qui
sont passés de 322 au moment de l’apport à 471 fin 2000.
L’établissement d’Angoulême, spécialisé dans les fabrications de
poudres traditionnelles, est en voie de fermeture en raison de l’effondrement
des commandes et ne compte plus que 155 personnes fin 2000.
L’établissement de Pont-de-Buis, qui ne figure plus dans le périmètre
du groupe SNPE, mais qui abrite deux sociétés dans lesquelles SNPE a
détenu des participations importantes :
- Sofisport qui exerce ses activités dans la chasse occupe 150
personnes et,
- la société Livbag spécialisée dans les générateurs de gaz pour
airbags, qui emploie plus de 1 000 personnes (dont un partie
d’anciens poudriers).
Globalement, le site emploie près de 1 200 personnes contre 600
personnes lors de l’apport.
Ces
emplois,
tous
créés
dans
les
années
90,
améliorent
significativement le bilan de SNPE en matière de création d’emploi.
Dans le chapitre II paragraphe C, l’appréciation des résultats
financiers ne peut pas ne pas tenir compte de l’ampleur des coûts de
restructuration supportés par le groupe.
Au seul titre des plan sociaux, SNPE a engagé 553 MF (84,30 M€). A
cela, il convient d’ajouter tous les coûts indirects ainsi que les pertes liées aux
périodes de transition. Ainsi, c’est environ 800 MF (121,96 M€) MF que
SNPE a pris en charge durant les années 90, ce qui revalorise d’autant la
124
C
OUR DES COMPTES
performance financière. Ces charges sont à l’origine d’une partie significative
de l’endettement.
Enfin, il est évoqué plusieurs fois dans le rapport un déclin des
synergies entre activités militaires et activités civiles.
Ce n’est pas le vécu de l’entreprise même si l’accent a été mis dans la
communication externe sur le développement autonome de la chimie civile
ces dix dernières années. Et il ne faut pas s’en étonner car les deux domaines
d’activités du groupe ont été construits autour du savoir-faire de chimiste de
la Défense : par exemple, les réactions de nitration sont au coeur des deux
activités.
Ces synergies demeurent bien réelles en raison de l’unicité du métier.
Les deux grandes matières premières de base des matériaux énergétiques de
Défense Espace, perchlorate d’ammonium et coton-poudre, sont produites
par deux unités opérationnelles de la chimie, à Bergerac et à Toulouse. De
même les nouveaux composants de ces matériaux, CL20, PAG, butacène,
ADN, hétérocycles azotés, etc… sont typiquement des produits de chimie
fine.
Les savoir-faire industriels, les procédés mis en oeuvre, la nature et le
pilotage des projets de développement, les pratiques de sécurité, parfois
même les installations industrielles sont communs ou présentent de
nombreuses similitudes. Les discussions relatives à Herakles ont bien mis en
évidence les difficultés qui en découlaient pour définir la frontière entre
SNPE et sa filiale et la nécessité de faire souvent des choix de compromis
(alors que ce problème n’existe pas entre SNECMA et HERAKLES).
Parmi les exemples récents de synergies, les interventions de SNPE
concernant l’élimination des stocks anciens de munitions explosives ou
chimiques fondées sur les deux volets du métier ne seraient plus possibles en
cas de séparation des deux domaines.
Il est certain enfin que la quasi-totalité des progrès futurs des
matériaux énergétiques de Défense et d’Espace, en performances, en fiabilité,
en sécurité, en nuisances, en coûts, reposeront – comme toujours depuis
Lavoisier – sur les savoir-faire chimiques.
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REPONSE DU PRESIDENT DIRECTEUR GENERAL
DE GIAT INDUSTRIES
J’adhère globalement à l’analyse présentée dans le rapport public.
Toutefois, j’aimerais apporter quelques commentaires de compléments pour
ce qui concerne la politique de diversification, le coût des produits et le statut
public de l’entreprise.
1. La Cour estime à 52 MF (7,93 M€) les pertes engendrées par les
activités de diversification de l’entreprise menées jusqu’en 1995. Il s’agit là
des seules pertes imputables aux participations de la société Gitech SA -
aujourd’hui toutes soldées. Elles n’englobent pas les pertes occasionnées par
les diversifications gérées directement par GIAT industries, telles que les
supports de miroir du grand télescope européen, les chariots de supermarché
en plastique, les véhicules de lutte contre l’incendie… Ces pertes beaucoup
plus importantes sont estimées à 250 MF (38,11 M€). Plusieurs facteurs en
sont la cause : méconnaissance des marchés civils, non-compétitivité des
coûts de fabrication, difficulté de tenue des délais contractuels, par exemple.
Devant l’ampleur de ces pertes - au demeurant répréhensibles au
regard du droit de la concurrence - cette politique a été abandonnée.
Toutefois, si la vocation première de GIAT industries est la conception et la
fabrication de systèmes militaires, certains produits, savoir-faire industriels et
d’études, ainsi que des actifs fonciers peuvent être exploités sur les marchés
civils afin de maintenir ou de créer des emplois. A cette fin, GIAT industries
déploie des ressources financières, techniques, humaines de la manière
suivante :
- La Sofred (notre société de reconversion dotée d’un capital de
300 MF, soit 45,73 M€) finance l’implantation d’activités nouvelles à
proximité de nos sites. Elle a contribué à créer de l’ordre de 5 000 emplois
depuis 1995. C’est ainsi qu’à Rennes, au Mans, les emplois créés sont
supérieurs en nombre à ceux qui ont disparu suite à la restructuration de
GIAT industries.
- Les centres industriels de GIAT industries s’efforcent de compléter
leur plan de charge par des sous-traitances portant en général sur des produits
sophistiqués (train d’atterrissage d’Airbus, plancher de rames ferroviaires…).
Ces activités de haut niveau technologique sont compatibles avec les coûts de
GIAT industries et font l’objet de devis très précis afin de ne pas engendrer
de pertes. Ces activités de “ commerce direct usine ” viennent compenser
partiellement les placements de charge à l’extérieur qui apparaissent parfois
plus avantageux que la fabrication sur place.
- GIAT industries a créé la SDPI (Société de Développement et de
Participations Industrielles dotée d’un capital de 100 MF, soit 15,24 M€) afin
126
C
OUR DES COMPTES
de détenir les participations dans des sociétés qu’elle a créées en partenariat
avec d’autres industriels. C’est ainsi que les activités d’abris techniques de
Rennes font l’objet d’une société commune avec le britannique Hunting, que
66 % de Cime-Bocuze ont été repris par l’autrichien Plansee et que des
projets sont en cours pour assurer le développement en partenariat d’autres
activités du portefeuille de GIAT industries (par exemple : NBC, Optique,
Syegon…). Ces partenariats sont essentiels pour combler le manque de
compétences commerciales de GIAT industries dans ces marchés civils.
L’exemple le plus frappant est celui de la société SPRIA (association de
GIAT industries et de l’espagnol Dalphimétal) qui créera, à partir des savoir-
faire techniques de pyrotechnie de GIAT industries, une activité de
générateurs de gaz pour coussins de sécurité dont la partie commerciale sera
confortée par les relations déjà établies chez les grands constructeurs
automobiles par Dalphimétal.
Ainsi cadrées et sécurisées par des partenariats, les activités de
développement peuvent jouer un rôle important à l’égard de la revitalisation
des bassins d’emplois touchés par la restructuration de GIAT industries. Mais
elles ne seront pas d’un volume suffisant pour régler la totalité des problèmes
d’emploi du Groupe, contrairement aux souhaits véhéments exprimés par les
syndicats souvent relayés par les élus locaux.
2. La Cour considère que le char Leclerc “ produit phare de GIAT
industries ” est “ très performant, mais cher ”. Peut-être apparaît-il ainsi,
quand on lui impute la totalité des programmes d’étude et de Recherche et
Développement préalables, engagés par l’Etat avant le lancement du
programme - au demeurant prévu à hauteur de 1 200 unités au lieu d’une
dotation de 406 finalement fixée par l’Armée de Terre. Mais le prix de vente
aujourd’hui pratiqué avec une marge raisonnable s’ajoutant aux frais de
production, d’étude et de commercialisation est bel et bien compétitif.
L’ouverture des plis sur deux offres successives en Grèce a montré que le
Leclerc est au même prix que l’Abrams US ou le Challenger britannique. Si
l’offre allemande est légèrement plus basse (entre 10-15 %), il faut savoir
qu’elle comporte des matériels d’occasion faisant l’objet d’un important
rabais – voire de dons. Il faut savoir aussi rappeler que le Leclerc offre des
fonctionnalités plus élaborées et n’exige que trois hommes d’équipage au lieu
de quatre, ce qui vient significativement abaisser son coût de possession.
D’une manière plus générale, le catalogue de GIAT industries, qui
montre une gamme parmi les plus modernes du monde, contient des produits
nouveaux dont le prix a été calibré pour s’adapter aux restrictions budgétaires
qui se généralisent. C’est ainsi que le système d’artillerie Caesar (automoteur
de 155 mm sur camion) est vendu au tiers du prix du nouvel obusier allemand
PZH 200. L’obus “ intelligent ” Bonus est quant à lui proposé à un prix
inférieur de 30 % à celui du SMART allemand.
3. La Cour souligne le handicap que constitue le statut d’entreprise
nationale de GIAT industries dans la recherche d’alliances structurelles avec
L
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ARMEMENT DE L
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127
d’autres industriels, français ou étrangers. Elle mentionne à juste titre,
l’impact négatif de ses résultats comptables. Il faut ajouter à ces difficultés le
statut très particulier de la moitié des effectifs (ouvriers sous décret ou
fonctionnaires détachés).
C’est ainsi que le projet de rapprochement avec TDA initialisé par la
DGA a buté sur le refus des actionnaires de TDA d’intégrer des personnels
sous statut, que les négociations avec des partenaires anglais, américains,
puis allemands ont échoué malgré l’attrait exercé sur eux par les technologies
de GIAT industries.
La seule voie envisageable désormais est de constituer des filiales par
segments de marché – blindés lourds – blindés légers – armes et munitions –
dotées du strict nécessaire en terme de parc industriel et de ressources
humaines afin de rendre envisageable un dialogue avec ses partenaires
potentiels. Ces entités, qui ne doivent pas porter le poids du contrat EAU, ni
celui des sureffectifs et sur-moyens planifiés encore aujourd’hui, sont
économiquement viables et peuvent jouer leur rôle dans les restructurations
européennes ou mondiales d’ores et déjà lancées.
Des difficultés juridiques subsisteraient toutefois, comme le montre la
circulaire du 15 mars 2001 du ministère de l’Emploi, qui fait l’objet d’un
recours contentieux auprès du tribunal administratif, ainsi que d’une requête
pour excès de pouvoir auprès du Conseil d’Etat que GIAT industries a été
contraint de déposer pour qu’il soit bien établi que c’est bien le droit du
travail qui s’applique aux ouvriers sous décret en dehors des domaines
explicitement mentionnés dans la loi n° 89-924 du 23 décembre 1989 ou dans
le décret n° 90-582 du 9 juillet 1990.
Ce type de contentieux, s’ajoutant à l’étroite tutelle en matière de
fixation des salaires, à la procédure d’acceptation des prix de vente des
principales offres, etc… tend à prouver combien la gestion d’une entreprise
nationale comme GIAT industries reste encore trop éloignée du droit
commun et que du chemin reste à faire pour que sa responsabilité de gestion
soit clairement établie aux yeux des tiers.