Seul le prononcé fait foi
Rapport public thématique
les coûts de la filière électronucléaire
Discours de M. Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Mardi 31 janvier 2012
Mesdames, Messieurs,
Je sais que le rapport que la Cour dévoile aujourd’hui sur les c
oûts de la filière nucléaire est attendu. La Cour a
depuis longtemps porté une attention particulière
à l’industrie
nucléaire civile, car celle-ci nécessite de réaliser
sur une très longue période d’importants investissements
. Elle avait déjà consacré en 2005 un rapport public au
démantèlement des installations nucléaires et à la gestion des déchets radioactifs dans lequel elle avait identifié
des insuffisances dans
l’évaluation des coûts futurs de la filière électronucléaire
.
Sur ce sujet controversé, la
valeur ajoutée de la Cour réside dans l’impartialité de ses analyses, garanti
e par les
trois principes qui guident ses travaux et qui ont pleinement été mis en œuvre pour ce rapport
: l’indépendance
dans la conduite des travaux, la collégialité dans la formulation des constats et des recommandations
–
garantie de neutralité
–
et la contradiction, écrite et formalisée, avec l’ensemble des tiers concernés, en
particulier les entreprises et établissements publics de la filière nucléaire.
Dans le contexte actuel et c
ompte tenu de la valeur ajoutée qu’une institution indépendante peut apporter aux
évaluations des coûts futurs de la filière nucléaire, la proposition faite par le Premier ministre que la Cour
travaille à nouveau sur ce sujet était bienvenue. Nous avons
choisi d’y répondre favorablement, compte tenu de
son intérêt et du rôle que la Cour doit désormais jouer, en application des nouvelles dispositions
constitutionnelles adoptées en 2008, pour assister le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation d
es
politiques publiques.
Désormais, et postérieurement à l’enquête sur le nucléaire, des dispositions sont venues préciser le pouvoir
dont dispose le Gouvernement de saisir la Cour de demandes d’enquêtes. Celles
-ci
permettront d’enrichir
l’approche des sujets qui intéressent le Gouvernement grâce à l’analyse d’une institution neutre et
indépendante.
Afin de préserver sa liberté de programmation, qui constitue une composante indispensable de
son positionnement de juridiction indépendante, la Cour veillera à ce que la conduite des enquêtes à la
demande de tiers représente une part limitée de son activité totale.
J’ai remis il y a quelques instants ce rapport
au Premier ministre et, pour le présenter devant vous maintenant,
je suis entouré de Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre, de Jean-Marie Bertrand, rapporteur
général de la Cour et président de chambre, ainsi que de Michèle Pappalardo, conseillère maître et de Jacques
Dupuy, conseiller maître et contre-rapporteur. Ils
m’assisteront
pour répondre à vos questions et je tiens à
saluer chacun pour son travail, ainsi que les quinze autres rapporteurs qui ont contribué à ces travaux
importants, menés dans un délai bref.
Je remercie aussi le groupe d’experts qui a accompagné la Cour dans
ses trav
aux et a permis, sur des sujets complexes, d’en renforcer l’expertise.
Seul le prononcé fait foi
Le rapport de la Cour rassemble l’essentiel des données factuelles permettant de se prononcer sur chacun des
coûts liés à la production nucléaire française civile, présentés dans un souci de transparence et de pédagogie.
Il a fallu recenser chacune des sources de coûts dans la filière nucléaire et les évaluer. Ces coûts peuvent être
passés, comme le programme de construction du parc actuel, présents, comme
l’exploitation
, ou futurs, comme
le démantèlement et la gestion des combustibles et des déchets. Autant que possible, des comparaisons
internationales ont été mises en œuvre pour tirer parti des expériences et des méthodes étrangères. Celles
-ci
peuvent apporter des informations éclairantes mais doivent être interprétées avec prudence, car les techniques
de production, les calendriers et les réglementations sont très différents d’un pays à l’autre.
Rassemblées,
expertisées et rendues publiques par la Cour,
ces données d’analyse des coût
s forment une sorte de base de
données à la disposition des responsables publics et de tous les citoyens.
Cependant, je vous dois deux clarifications qui vous décevront peut-être, mais rassurez-vous, il y a dans ce
rapport des constats qui ne manqueront pas de vous intéresser.
D’abord, la Cour a évalué
de façon très
détaillée l’ensemble d
es coûts de la filière électronucléaire afin de répondre à la question posée par le Premier
ministre. Cette question n’appelait pas de prise de
position sur le niveau optimal de cette production par rapport
à d’autres formes d’énergie
, surtout dans un délai bref. Il ne faut donc pas y chercher de comparaison de coût
entre les énergies ou de scénario d’évolution du «
mix » énergétique de la France.
En outre, le mode de financement de ces coûts, notamment les tarifs payés par les consommateurs
, n’entrait
pas dans le cadre de la question posée à la Cour. En effet, ces tarifs incluent le transport et la distribution
d’électricité. Or,
ces activités n’ont pas été étudié
es par la Cour qui a limité le champ de son enquête aux seuls
coûts de
production d’énergie nucléaire, qui représente, comme le graphique qui s’affiche vous le montre, 40%
du tarif réglementé de l
’électricité
. Naturellement, les ajustements qui pourraient être apportés à
l’
évaluation
des coûts futurs liés à la production auront certainement un impact sur les tarifs dans leur ensemble, mais la
Cour n’a pas cherché à l’évaluer
; elle ne pouvait pas le faire dans le temps de l’enquête
.
Elle a recensé
l’ensemble des c
oûts de la filière nucléaire, du point de vue du citoyen, quel qu
’e
n soit le
financeur. Ce choix
l’a conduit à prendre en compte non seulement les coûts recensés par les exploitants, mais
aussi les dépenses financées par des crédits publics. Or celles-ci n
’étaient jusqu’ici
ni précisément identifiées,
ni évaluées
. L’exemple des dépenses de recherche illustre
pourtant le
rôle important joué par les
financements publics
: depuis 1957, ce sont en moyenne 1
Md€ par an, en euros de 2010, qui ont été
consacrés à la filière nucléaire dont plus des deux tiers sont des crédits publics. Aujourd’hui encore, ce
financement public représente 414 M€ par an, comme le schéma qui s’aff
iche vous le présente, soit un tiers de
l’effort
total, public et privé, de recherche. Les dépenses publiques relatives à la sécurité nucléaire, à la sûreté
et à la transparence de la filière envers les citoyens représentent aujourd’hui 230 M€ par an. Le f
inancement
public actuel de la filière
s’élève
donc à
644 M€. C’est une somme qu’il faut mettre en regard
avec le produit de
la ressource fiscale que perçoit l’Etat à cet effet, la taxe sur les installations nucléaires de base
, dont le montant
a considérablement augmenté depuis 2000 et
qui a rapporté 580 M€ en 2010
. Le produit de la taxe couvre
désormais l’essentiel des dépenses publiques en faveur de la filière électronucléaire.
Dans mon intervention, je vous exposerai
d’abord les
trois constats que la Cour tire de son étude des coûts :
le premier, c’est que le recensement des différents types de coûts à la charge des exploitants ont bien
tous été identifiés et figurent dans leur comptes
; la Cour n’a pas constaté d’«
oubli ». Par exemple, la
nécessité de prévoir le stockage ultime des déchets est bien prise en compte ;
le deuxième
, c’est que les évaluations des coûts futurs sont encore très incertaines, et que cette
incertitude ne peut être levée pour le moment, faute d’avoir vécu l’expérience concrète du
démantèlement de nos réacteurs ou de la mise en œuvre de stockage profond
;
Seul le prononcé fait foi
le troisième constat
, c’est que les évaluations des exploitants sont rigoureuses,
compte tenu des
connaissances disponibles, mais se situent plutôt dans la fourchette basse de ce que les comparaisons
internation
ales permettent d’estimer
.
Cette étude des coûts invite à aller plus loin. Je vous présenterai les
trois enseignements qu’en tire la Cour
:
le premier, c’est que si les incertitudes sur les coûts futurs sont importantes, le
ur effet sur les coûts est
très relatif :
l’impact d’une augmentation massive de
s coûts futurs sur le coût annuel de production se
révèlerait limité.
le deuxième enseignement est que le paramètre le plus déterminant
pour l’évolution des coûts
est bien
dav
antage la durée de fonctionnement des centrales actuelles, qui devrait faire dès aujourd’hui l’objet
d’orientations stratégiques exp
licites ;
enfin, le troisième enseignement est que des investissements importants seront nécessaires à court et
moyen terme, quels que soient les options retenues pour maintenir la production électrique à son
niveau.
**
La Cour a estimé les coûts passés, présents et futurs de la filière électronucléaire.
S’agissant du
passé
, les coûts sont assez bien connus. Ils vous sont présentés en euros de 2010, afin de
pouvoir les comparer aux coûts présents qui figurent dans les comptes des exploitants. Les derniers comptes
disponibles étant ceux de l’année 2010, l’ensemble des coûts qui vous sont présentés sont exprimés en euros
de 2010.
Le schéma qui s’affiche vous présente
les coûts d’investissement passés
:
-
Il s’agit pour l’essentiel de
la construction par EDF, entre la fin des années 1970 et 2002, du parc actuel
de 58 réacteurs nucléaires à eau pressurisée, dit de deuxième génération, qui forme un ensemble
homogène. Le coût, en euros de 2010, représente 96 Md€.
Il faut relever que les coûts de construction,
rapportés à l’énergie produite, n’ont fait qu’augmenter avec le temps, sous l’effet conjugué de la hausse
du coût des travaux et du renforcement continu des référentiels de sécurité.
-
Il faut ajouter à cet investissement initial
, pour 6 Md€, le coût de
des 8 réacteurs de la première
génération, construits essentiellement dans les années 1960, qui ont utilisé différentes technologies de
production. Ces réacteurs sont depuis longtemps arrêtés et leur démantèlement est en cours.
-
En outre, les investissements du groupe COGEMA devenu AREVA, pour
l’enrichissement et
le
retraitement du combustible, représentent un coût total de 4
0 Md€ de 2010 dont
une partie a été
financée par des clients étrangers. La part des coûts d’investissement supportée par
la France a été 19
Md€ de 2010.
-
Les dépenses de recherche que j’ai déjà évoquées, publiques et privées, représentent 55 Md€ de
2010, soit près de la moitié des coûts de construction.
-
Enfin, le coût
total du projet Superphénix représente 12 Md€ de 2010
, hors démantèlement.
Au total, les investissements nécessaires au parc nucléaire actuel ont eu un coût de 188
Md€ de 2010.
A cet investissement initial s
’ajoute un investissement continu, appelé
investissement de maintenance, pour
maintenir un bon état de fonctionnement du parc et le préparer, éventuellement, à une augmentation de sa
durée de vie. Il n’a pas été possible de calculer le montant total de ces
investissements dans le passé, faute de
documentation. Cependant, la Cour a mis en évidence un sous-
investissement d’EDF dans la maintenance au
début de la décennie 2000, qui a entraîné par la suite une réduction de la disponibilité du parc actuel et donc sa
production, à un
niveau significativement inférieur à nos voisins. Ainsi, l’effort constaté en 2010, d’un montant
de 1,7
Md€, devra certainement être augmenté. J’y reviendrai
.
Seul le prononcé fait foi
Les coûts d’exploitation
présents, c'est-à-dire liés au processus de produ
ction d’électricité,
hors
investissements de maintenance, sont connus avec une relative précision. Comme vous le voyez, i
l s’agit de
l’achat et de la préparation du combustible,
du personnel des centrales, des consommations externes et des
fonctions suppor
t, pour 9 Md€ par an. Il faut
prendre aussi en compte les charges présentes financées par
l’Etat, c'est
-à-dire 414 M
€
par an
pour la recherche publique et 230 M€ pour les dépenses publiques relative
s à
la sûreté, la sécurité et l’information des citoyens.
Il s’agit maintenant d’aborder les dépenses
futures
. La production d’électricité nucléaire a pour particularité
qu’une partie de ses coûts est reportée après la période de production elle
-même, pour des montants
importants et sur une période de temps long
ue. Ainsi, l’ampleur et le calendrier des coûts qui y sont associés
sont souvent mal connus et leur chiffrage repose sur de nombreuses hypothèses. Il s’agit essentiellement de
dépenses d’investissement, de nature
hétérogène, qui doivent toutes être provisionnées dans les comptes des
exploitants :
tout d’abord le démantèlement de toutes les installations nucléaires arrêtées
;
la gestion des combustibles usés, qu’ils soient recyclables ou non
;
enfin, le stockage des déchets ultimes.
Le tableau qui s’affiche
montre, pour chaque type de dépenses futures, les charges estimées, en euros de
2010, dont le total est de 79,4 Md€, dont 62 Md€ pour EDF. Le tableau montre également les provisions qui
sont aujourd’hui associées à ces charges futures dans les comptes de
chaque exploitant.
Le premier poste de dépenses futures est le
démantèlement
des installations. Le coût du démantèlement du
parc actuel d’EDF, c'est
-à-
dire des 58 réacteurs, est estimé à 18,4 Md€. La Cour n’est pas en mesure de
valider ce montant. En effe
t, en l’absence d’expérience réelle et comparable de démantèlement dans l’histoire,
cette estimation repose sur de multiples choix et paramètres dont la contradiction technique ne peut pas être
apportée par la Cour.
Celle-ci constate cependant que les comparaisons internationales, qui doivent être interprétées avec la plus
grande prudence, mettent en évi
dence des coûts très dispersés. Le tableau qui s’affiche
reprend par ordre
croissant les estimations de pays étrangers, en les extrapolant pour les rendre comparables aux 58 réacteurs
du parc français
. Il montre que l’estimation d’EDF se situe dans la fourchette basse. La mise en œuvre d’audits
approfondis, à la commande du ministère chargé de l’énergie, devrait permettre de réduire l’incertitude sur ce
coû
t et d’ajuster son estimation.
La gestion des combustibles usés, qui recouvre le transport, l’entreposage, le traitement éventuel et le stockage
dans l’attente d’une solution définitive, entraîne un coût futur
estimé à 14,8 Md€ de 2010 et ne comporte pas
d’incertitudes majeures.
Un autre coût futur important est la gestion à long terme des déchets, pour un coût estimé à 28 Md€. Cette
estimation est fragile car le projet envisagé pour le stockage des déchets à vie longue, c'est-à-dire leur
enfouissement en grande profondeur, n’est pas encore définitif. L’Agence nationale pour la gestion des déchets
radioactifs, l’ANDRA, qui est chargée
de ce projet, a récemment approfondi ses études et réévalué ses devis à
la hausse, ce qui devrait conduire les charges estimées à augmenter.
En outre, la décision de mettre en œuvre
ou non la quatrième génération de réacteurs nucléaires, si son développement industriel aboutit, aura des
conséquences importantes sur le mode de gestion des produits de la filière de retraitement, notamment du
MOX et de l’uranium de retraitement enrichi, que les centrales actuelles utilisent peu et dont une partie
importante est actuellement stockée. En application du principe comptable de prudence, EDF calcule ses
Seul le prononcé fait foi
charges
dans l’hypothèse où
la quatrième génération de réacteurs ne serait pas mise en place, ce qui implique
que ces déchets relèvent du stockage géologique profond
. Cependant, il n’est pas certain que le coût calculé
prenne bien en compte to
us les aménagements nécessaires à la mise en œuvre de cette hypothèse,
notamment le fait que le projet actuel de stockage souterrain serait alors trop exigu pour stocker ces
combustibles.
La Cour conclut de ses investigations que
les coûts futurs sont bien tous identifiés par les exploitants,
mais ne sont pas évalués avec le même degré de précision. Même si de nombreuses incertitudes
pèsent, par nature, sur ces estimations, la Cour estime que l
es risques d’augmentation de ces charges
futures sont probables
, ainsi que les deux exemples du démantèlement et du stockage profond l’illustrent
.
L’importance de ces charges futures nécessitera pour les exploitants de mobiliser un financement suffisant au
moment où l’exploitation s’achèvera. La loi du 28 juin 2006 a
fixé des obligations nouvelles pour les exploitants
de
constituer un portefeuille d’actifs investis appelés «
actifs dédiés », destinés à couvrir les provisions pour
charges futures liées au démantèlement et à la gestion à long terme des déchets. Cette obligation vise à éviter
de faire reposer sur les générations futures des coûts liés
à la consommation d’
électricité de la génération
actuelle. Sur un total de provisions à couvrir représentant
aujourd’hui 27,8 Md€, 18,2 Md€ sont
désormais
couverts par des titres financiers cotés au 31 décembre 2010. La crise ayant affecté la rentabilité des
portefeuilles constitués, des dérogations ont été apportées permettant de considérer des couvertures croisées
entre opérateurs du nucléaire comme des actifs dédiés, pour un montant de 6
,9 Md€
. Ces dérogations sont
cependant
contraires à l’esprit de la loi de 2006 qui entendait diversifier le risque du portefeuille, et ne pas
le
faire reposer sur les acteurs de la filière. Le principe des actifs dédiés a par ailleurs été abandonné pour le
CEA, l’Etat s’engageant à assurer le moment venu les financements budgétaires nécessaires. L’objectif d’une
couverture totale, initialement fixé à 2011, a été repoussé à 2016.
La Cour recommande que l’ensemble du
dispositif soit réexaminé dans le contexte
de la crise actuelle, car l’équilibre voulu par le législateur a été remis
en cause par des dérogations successives à chaque nouvelle difficulté rencontrée.
Enfin, pour compléter ce panorama des coûts, je voudrais insister sur différents éléments difficilement
traduisibles en valeur monétaire qui doivent être pris en compte dans l’analyse de la politique énergétique de
notre pays
et la comparaison avec d’autres formes d’énergie. Il peut s’agir d’effets a priori positifs comme la
contribution à l’indépenda
nce énergétique ou les moindres émissions de gaz à effet
de serre. Il peut aussi s’agir
d’effet
s négatifs
sur la santé et l’environnement
comme la manipulation de produits radioactifs ou le
réchauffement des rivières à proximité des centrales. Il est aussi nécessaire de prendre en compte le rôle de
l’Etat, dont j’ai déjà décrit le rôle de financeur de la recherche et de la sécurité nucléaire.
Il est engagé pour
l’avenir, car il sera le financeur des charges futures du CEA
, estimées
aujourd’hui
à près de 7 M
d€ et
fréquemment revues à la hausse. Il supportera aussi les dépenses publiques de recherche sur la quatrième
génération, si cette voie est poursuivie.
L’Etat est aussi l’assureur essentiel du risque nucléaire. En effet, les couvertures assurantielles o
bligatoires à la
charge des exploitants sont plafonnées à un niveau très peu élevé
–
91
M€
bientôt porté à
700
M€
–
au regard
des dommages potentiels d’un accident nucléaire,
même si sa
probabilité est très faible. Dans un tel cas, l’Etat
serait conduit à
financer l’essentiel des indemnisations. Une évaluation de la prime d’assurance implicite de
cette garantie aujourd’hui gratuite n’est pas possible aujourd’hui
.
Sous ces réserves,
la Cour a présenté différentes approches de coût complet de l’énergie élec
tronucléaire,
tenant compte des coûts passés, présents et futurs. Les méthodes divergent selon la manière de rémunérer le
capital qui est un facteur essentiel, compte tenu de l’importance des capitaux que mobilise la production
nucléaire. Aucune n’est plei
nement satisfaisante et chacune répond à des questions différentes : par exemple
Seul le prononcé fait foi
le
calcul de tarifs ou la comparaison entre modes d’énergie. La plus simple s’appuie sur les données
comptables et considère le capital déjà investi comme une ressource gratuite. Dans ce cas, le coût comptable
total de l’électricité nucléaire est de
33,4
€ par MWh produit. En prenant en compte la rémunération du capital,
selon la méthode dite du coût courant économique, qui permet des comparaisons entre modes
d’énergie,
le coût du MWh produit s’élève à 49,5 €
.
**
J’ai insisté sur l’incertitude qui s’attache aux coûts futurs et qui, en l’actuel état des connaissances, ne peut être
levée. Pour mieux prendre en compte cette incertitude, la Cour a mené des simulations
afin d’
estimer
dans
quelle mesure une augmentation massive des coûts futurs auraient un impact sur le coût annuel de
production. Cet impact s’avèrerait
en fait non négligeable, mais limité
. En effet, ces charges futures, en
particulier celles de démantèlement et de gestion à long terme des déchets, donneront lieu à des
décaissements dans plusieu
rs dizaines, voire plusieurs centaines d’années. Elles doivent donc
, pour être
estimées,
être converties en euros d’aujourd’hui
. Pour cela,
il faut procéder à l’
actualisation de ces dépenses,
afin de prendre en compte la valeur du temps. Ce processus a pour effet de réduire
le coût d’ensemble des
dépenses futures
d’en moyenne 48
%.
La fixation du taux d’actualisation –
le prix du temps
–
constitue un paramètre important : plus il est bas, plus
les euros dépensés demain ont une valeur proche de celle d’aujourd’hui. Toute hypothèse de taux est
discutable, les exploitants français ont tous retenu un taux nominal de 5% qui se situe à un niveau intermédiaire
par rapport à d’autres pays de l’Union européenne. Le processus d’actualisation joue un rôle «
d’étouffoir
» des
dépenses futures, en particulier celles qui sont les plus lointaines. La sensibilité du coût courant économique à
une variation brutale de ces charges futures apparaît faible. Ainsi, un doublement du coût du démantèlement
conduirait à une hausse du coût courant économique de 5 % seulement, un doublement du
devis de l’ANDRA
pour la gestion des déchets, de 1 %.
Davantage que les paramètres de démantèlement ou de stockage ultime,
l’analyse de la Cour montre que la
durée de fonctionnement des centrales du parc actuel constitue une donnée majeure
dont l’effet sur
l’équilibre écono
mique de la filière est le plus important.
Le parc de réacteurs français a été conçu à l’origine pour fonctionner 30 ans. Mais l
a durée de fonctionnement
de chaque centrale fait l’objet d’un examen décennal par l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) qui pré
cise les
conditions d’une éventuelle autorisation de poursuivre l’exploitation. Actuellement, seuls deux réacteurs des
centrales du Triscastin et de Fessenheim ont reçu une autorisation de fonctionnement jusqu’à 40 ans, sous
réserve de la réalisation de travaux significatifs pour en améliorer la sécurité. Les règles comptables imposent
d’amortir les centrales sur la durée de fonctionnement la plus probable. Dans les comptes d’EDF, la durée
retenue est de 40 ans depuis 2003.
Or, la durée de fonctionnement des centrales a un impact significatif sur le coût de production réel en
permettant d’amortir les investissements sur un plus grand nombre d’années. D’autre part, elle repousse dans
le temps, les dépenses de démantèlement et le besoin d’investissement dans
de nouvelles installations de
production.
Le parc français est vieillissant
: l’âge moyen des centrales était de 25 ans à la fin de 2010. Comme le schéma
le montre, notre pays n’est pas le seul dans cette situation. Mais, depuis 1993, nous
avons peu investi et mis en
service deux réacteurs
seulement, comme l’illustre le schéma qui s’affiche
. Or, l
a Cour constate que d’ici la fin
de l’année 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront leur quarantième année de fonctionnement. Par conséquent,
Seul le prononcé fait foi
dans l’hypothèse d’une
durée de fonctionnement
de 40 ans et d’un maintien de la production électronucléaire à
son niveau actuel, il faudrait
un effort très considérable d’investissement permettant de
constru
ire 11 EPR d’ici
la fin de 2022. La mise en œuvre d’un tel programme d’
investissement à court terme paraît très peu probable,
voire impossible, y compris pour des considérations industrielles. Cela signifie qu’à travers l’absence de
décision d’investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà
: soit à faire durer nos
centrales au-delà de 40 ans, soit à faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers
d’autres sources d’énergie
ou vers un effort accru d’économies d’énergie
. De telles orientations stratégiques
n’ont pas
fait l’objet d’une décision explicite, connue du grand public, alors qu’elles nécessitent des actions de
court terme et des investissements importants.
En effet, et ce sera la dernière conclusion de mon intervention,
quels que soient les choix retenus, afin de
maintenir la production actuelle, des investissements importants sont à prévoir à court et moyen terme,
qui auront des conséquences significatives sur le coût de production global
.
Trois facteurs rendent une augmentation de l’effort d’investiss
ement de maintenance inévitable :
le premier est le maintien du taux de disponibilité des centrales à un niveau acceptable, pour éviter de
commettre les mêmes erreurs de sous-inve
stissement que j’ai mentionné
;
le second est le prolongement éventuel du
fonctionnement jusqu’à
40 ans et peut-être au-delà. Ces
deux facteurs ont conduit EDF à proposer un programme d’investissements de 50 Md€ sur
15 ans.
Ceci représente un effort considérablement accru
: si la tendance actuelle d’investissement de
maintenance se prolongeait,
ce n
e serait pas 50 Md€ qui seraient investis sur la même période de
15
ans mais seulement 25
Md€
;
un
troisième facteur plus récent doit aussi être pris en compte, il s’agit des conséquences des
évaluations de sûreté faites par l’Autorité de sûreté nucléaire
à la suite de l’accident de Fukushima. Par
rapport au programme d’investissement envisagé par EDF, un surcoût évalué à 5 Md€
pourrait être
ajouté, sans que la Cour en ait expertisé le contenu.
La prise en compte de ces trois facteurs rendent nécessaire
plus qu’
un doublement du rythme actuel
d’investissement de maintenance, passant d’un montant annuel de 1,5 M
d
€ constaté sur la période 2008
-2010
à près de 3,7 Md€ par an jusqu’en 2025.
Ces investissements accrus feront augmenter le coût courant
économique de production de 10 %
. Sans qu’aucune assurance puisse en être donnée, EDF vise
, grâce à ces
investissements, un prolongement de la durée de fonctionnement
des centrales jusqu’à 60 ans. De telles
autorisations ont été délivrées aux Etats-Unis pour des réacteurs similaires
mais l’Autorité de sûreté nucléaire
devra expertiser, le moment venu et au cas par cas, les prolongations possibles de la durée de fonctionnement
des réacteurs.
Dans ce domaine de la production d’énergie électrique, où le cycle d’investissement est long, particulièrement
pour le nucléaire, ne pas décider revient à prendre une décision qui engage l’avenir. Il apparaît
souhaitable que
l
es choix d’investissements fut
urs ne soient pas effectués de façon implicite mais
qu’une stratégie
énergétique soit formulée et adoptée de manière explicite, publique et transparente
. Le rapport de la
Cour, sans prendre position sur
le contenu d’une telle stratégie
, met à disposition, de façon impartiale, une
base de données complète sur les coûts de la filière électronucléaire
, dans l’état des connaissances actuelles
.
Les estimations de coûts qu’il contient devront être actualisées et enrichies
de façon continue pour prendre en
compte les progrès et les expériences futures. Ce rapport vivant
contribuera ainsi, j’en suis persuadé, à enrichir
le débat sur l’avenir énergétique de la France qui doit aujourd’hui se tenir.
Je vous remercie de votre attention.