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L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères

COUR DES COMPTES En images (1)

En 2019, la France a délivré 276 576 premiers titres de séjour à des ressortissants non européens. En augmentation de plus de 30 % depuis le début de la décennie, ces chiffres placent toutefois notre pays parmi les plus restrictifs en termes de séjour (3,72 titres accordés pour 1 000 habitants en 2016, contre 12,18 en Allemagne ou 7,65 en Espagne). À l’inverse, 154 620 demandes d’asile ont été enregistrées, plaçant la France dans la fourchette haute des pays de l’Union européenne et son système d’asile sous forte tension.

La moitié des titres de séjour attribués et la totalité des demandes d’asile reposent sur des procédures relevant de droits individuels protégés par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France, comme celui de déposer une demande d’asile à son arrivée sur le territoire. L’État, qui ne peut donc pas les limiter quantitativement, dispose d’un pouvoir de sélection restreint. À défaut de maîtriser les entrées, il a durci le régime du séjour en imposant le renouvellement fréquent d’une majorité de titres courts. Les relations entre l’administration et les usagers, qui n’ont pas fait l’objet d’une modernisation suffisante, en sont d’autant plus difficiles.
Enfin, le dispositif de premier accueil apparaît sous-dimensionné au regard des ambitions affichées en matière d’intégration.

Les fondements et le pilotage des procédures d’entrée et de séjour des personnes étrangères

Le régime de l’entrée, du séjour et du premier accueil des personnes étrangères dans notre pays repose depuis le début des années 2000 sur trois objectifs généraux réaffirmés par huit lois successives en 15 ans : maîtriser l’immigration, garantir l’exercice du droit d’asile, améliorer l’intégration des nouveaux arrivants. Faute de précision sur leur signification concrète et de cibles chiffrées, il n’est pas possible de déterminer si ces objectifs ont été atteints.
Le choix de confier la responsabilité des politiques d’immigration et d’asile au ministère de l’intérieur a conduit à constituer une administration centrale forte, compétente à la fois en matière de droit au séjour, d’intégration, de naturalisation, mais aussi, de plus en plus, d’hébergement et de travail. Les flux d’entrée sont aujourd’hui suivis et documentés, et les principales données annuelles largement accessibles. Leur présentation gagnerait toutefois à ne plus agréger immigration brève et immigration plus durable, et à mieux distinguer les titres selon qu’ils bénéficient à des personnes qui s’installent en France ou à celles qui y sont déjà présentes. Les départs, quant à eux, ne font l’objet d’aucun suivi et d’aucune communication, à l’exception des éloignements de personnes en situation irrégulière.
Faute de modernisation des procédures, les conditions de travail et la qualité de l’accueil et du service rendu en préfecture se sont dégradées. Alors qu’aucun enjeu de sélection ou de contrôle ne s’y attache vraiment, la complexité et la fréquence des renouvellements de titres opèrent une confusion entre maîtrise de l’immigration et régime du séjour.  
Les files d’attentes devant les préfectures et la saturation des guichets sont trop fréquentes. La simplification des procédures et la réduction des délais sont dès lors des enjeux majeurs. Y répondre permettrait aussi de porter un regard plus apaisé sur l’immigration.

L’asile : une politique sous forte tension depuis dix ans

Compte tenu de la croissance continue depuis dix ans de la demande d’asile, les moyens budgétaires alloués s’avèrent chaque année insuffisants. Malgré cela, l’important effort consenti par l’État ne permet toujours pas de respecter les objectifs fixés en matière d’hébergement (moins d’un demandeur d’asile sur deux est hébergé compte tenu de la saturation du parc) ou de délais de décision (dépassés de plusieurs mois).
Le droit d’asile, aujourd’hui garanti dans des conditions conformes à l’ordre juridique international et national, l’est au prix de délais importants, de dépenses croissantes et de conditions d’accueil dégradées.

La gestion des procédures d’immigration régulière : une modernisation qui se fait attendre

La priorité donnée à l’asile depuis plusieurs années a ralenti la modernisation, devenue urgente, des procédures d’immigration régulière. Les longs délais ou l’approche procédurale guidant l’instruction des demandes et le renouvellement des titres contrastent avec la faible valeur ajoutée des vérifications opérées, les taux de refus étant très bas.
L’immigration professionnelle est la plus inadaptée. La tentative de recentrer les arrivées sur les « talents », amorcée il y a dix ans, n’a pas fait ses preuves, les flux concernés hors échanges universitaires apparaissant faibles. Aujourd’hui, c’est l’employeur qui recrute et introduit la demande de titre de séjour. Or le régime des « métiers en tension », qui détermine pour quelles professions un titre de séjour peut être accordé, ne correspond plus du tout à la réalité des secteurs économiques en difficulté de recrutement. Pour moderniser cette immigration professionnelle, la Cour recommande de s’inspirer du modèle canadien, un système de cibles quantitatives annuelles adossées à un schéma de sélection individuel sur critères.
La procédure de regroupement familial serait enfin à simplifier et à moderniser pour éviter qu’un grand nombre de décisions soient prises dans des délais indus.

L’accès aux droits sociaux, les dispositifs d’intégration et la naturalisation

La réussite de l’intégration à la société française des personnes étrangères relève essentiellement des politiques de droit commun. Les premiers dispositifs qui leur sont spécifiquement consacrés reposent surtout sur le contrat d’intégration républicaine (CIR), mais celui-ci ne bénéficie qu’à moins d’un arrivant sur deux, les étudiants internationaux en étant dispensés. Ce contrat est mis en œuvre sur tout le territoire, à l’exception dommageable de Mayotte. Le nombre d’heures consacrées à l’apprentissage du français, qui a pourtant doublé depuis 2016 et peut atteindre 600 heures, ne permet pas à tous d’atteindre le niveau minimal de maîtrise.
Enfin, la Cour observe que la naturalisation s’est substituée de facto à un régime de résident permanent, aujourd’hui quasiment inaccessible aux non-européens. Si l’administration a su engager la modernisation de ses services d’accueil, les délais règlementaires sont dépassés et le « contrôle de l’assimilation » prévu par le code civil, ne repose que sur un entretien bref et superficiel en préfecture, que la Cour recommande d’approfondir.   

La gestion du départ des personnes en situation irrégulière

L’exécution, au besoin par la contrainte, des mesures administratives ou judiciaires faisant obligation à des personnes de quitter le territoire français se heurte à des difficultés objectives, au premier rang desquelles figure la souveraineté des pays d’origine. Bien que le nombre de départs forcés ait progressé au cours des trois dernières années, celui-ci ne représente pas plus de 15 % des mesures prononcées, chiffre qui paraît ne pas pouvoir significativement progresser. Le dispositif des aides au retour volontaire, beaucoup moins coûteux, mériterait donc d’être amplifié.

Au total, la Cour formule 14 recommandations portant sur les titres de séjour, l’asile, les procédures d’immigration régulière, les dispositifs d’intégration et la naturalisation, le départ des personnes en situation irrégulière et la situation particulière de Mayotte.

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L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, nos rapports en 180 secondes ou presque

Le rapport « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères » examine l’ensemble des procédures d’immigration régulière et d’asile – c’est le droit au séjour –, les dispositifs consacrés à l’intégration des nouveaux arrivants, la naturalisation Française et l’éloignement des personnes en situation irrégulière. Cet ensemble mobilise environ 1,6 % du budget de l’État, soit 6,6 milliards d’euros. C’est un sujet sensible, très présent dans le débat public, qui pourrait gagner en sérénité s’il était présenté avec davantage de précision statistique et juridique.
Ce rapport aborde de nombreux points et formule 14 recommandations.
Premier grand message : depuis quinze ans, toutes les lois se donnent pour objectif de « maîtriser » l’immigration sans préciser ce que cela signifie concrètement, ni fixer d’objectifs chiffrés.
Or, la Cour note que sur les 276 000 titres de séjour accordés en 2019, seule la moitié dépend d’une décision souveraine de l’État – c’est-à-dire qu’il peut dire oui ou non aux candidats au séjour – : ce sont en gros les 90 000 étudiants non européens et les 39 000 titres de séjour professionnels. L’autre moitié résulte de droits individuels protégés par la Constitution ou par les conventions internationales signées par la France (notamment pour ce qui concerne l’arrivée en France d’environ 49 000 conjoints ou enfants étrangers de citoyens Français, soit les 3/5ème de l’immigration familiale).
La Cour recommande de communiquer autrement sur les chiffres de l’immigration pour mieux faire apparaître ces différents régimes et ces différentes situations, par exemple le fait qu’un tiers des titres de séjour correspond à des séjours brefs de quelques mois et qu’un quart des titres bénéficie à des personnes déjà présentes sur le territoire.  
Deuxième grand message : les procédures d’immigration sont restées à l’écart des chantiers de modernisation de l’Etat, notamment en matière numérique. Les files d’attente au guichet, l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous, les délais, sont autant de réalités pénibles et tangibles pour les personnes étrangères comme pour les agents des préfectures. Le régime actuel privilégie les titres courts à renouvellement fréquent dans une optique de « contrôle » qui n’a pourtant pas d’enjeu réel puisque le taux de refus des dossiers est très faible (en pratique, les personnes ne déposent des dossiers que s’ils respectent tous les critères).
Troisième message : l’immigration professionnelle est tombée à un niveau très bas avec 39 000 titres en 2019, soit seulement 14 % du total. Et ce alors même que de nombreux secteurs économiques, du moins avant la crise du Covid, avaient des difficultés pour recruter. La Cour préconise une modernisation en profondeur de l’immigration professionnelle en s’inspirant de la politique canadienne, fondée sur une sélection individuelle et des cibles quantitatives, alors qu’aujourd’hui, ce sont les employeurs qui font venir sur le territoire les personnes qu’elles ont sélectionnées.
Quatrième message, spécifique à l’asile : c’est largement connu, l’Europe et la France ont enregistré une forte croissance des demandes d’asile depuis 2015 (il y en a eu 140 000 en 2019 contre 80 000 en 2015). Le système Français peine à s’adapter malgré de réels efforts. Les délais légaux pour enregistrer les demandes et rendre les décisions ne sont pas respectés et les conditions d’accueil se dégradent puisque, par exemple, moins d’un demandeur sur deux est effectivement hébergé.
Cinquième message en matière d’accueil et d’intégration : s’il est vrai que le niveau d’exigence de maîtrise du Français a été relevé et que des moyens ont été alloués aux cours de langue, il n’existe pas vraiment de lien entre l’assiduité aux dispositifs d’une part et l’octroi ou non de titres de séjour d’autre part. La Cour constate aussi qu’en dépit d’une tentative de modernisation, les procédures d’accès à la nationalité Française demeurent longues, complexes et assez formalistes : par exemple, le « contrôle de l’assimilation » exigé par le code civil prend la forme d’un simple entretien de vingt à trente minutes en préfecture, que la Cour recommande de rendre plus substantiel.
Sixième message lié au départ des personnes en situation irrégulière, qui sont estimées entre 350 et 400 000 aujourd’hui. Les éloignements forcés coûtent très cher pour une faible efficacité puisque 15 % seulement des obligations de quitter le territoire sont exécutées, surtout parce que les pays concernés refusent de réadmettre leurs ressortissants. Ces éloignements forcés restent indispensables lorsqu’il n’y a pas d’autre solution mais la Cour recommande de privilégier autant que possible les départs volontaires assortis d’un pécule, qui sont une procédure moins coûteuse et plus efficace, à la condition d’en faire davantage la promotion puisqu’elle ne concerne aujourd’hui que 10 000 personnes par an (pour 19 000 éloignements forcés).
Le rapport aborde d’autres points et recommande d’autres mesures qui vont dans le sens général de la modernisation et de la simplification des procédures, sans modification des grands principes et des grands équilibres fixés par la Constitution et la loi.

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